13 juin 2007

Gauche à refonder, leader à trouver...

Mardi 12 juin 2007
 
Refondation de la gauche ( 2 )
Pour une nouvelle cohérence économique et sociale
La semaine dernière, l'ancien ministre de l'Economie avait ouvert notre grand débat sur la rénovation de la gauche. Il dessinait les frontières d'un réformisme
sans tabous. Cette semaine, il plaide pour un socialisme du réel qui ne se contente pas de corriger, après coup, les méfaits du capitalisme, mais qui intervienne
sur le fonctionnement même du système de production. Et il définit une méthode : le contrat entre l'Etat et ses différents partenaires par Dominique Strauss-Kahn
 

Deux constats s'imposent à nous. Notre compétitivité s'érode : la France est en train de perdre la bataille économique. Notre modèle social a un coût très
élevé alors même que son efficacité dans la lutte contre les inégalités paraît faiblir. De ces deux constats indiscutables, Nicolas Sarkozy a tiré une
stratégie et une diatribe : la France doit retrouver sa compétitivité en liquidant son modèle social. Il semble penser de surcroît que cette liquidation
ne suscitera guère de protestations, puisque ce modèle procure moins de bénéfices que par le passé et qu'il n'est plus créateur d'espoir. Largement enfermée
dans le schéma de la relance par la demande, la gauche a refusé de prendre toute la mesure de la perte de compétitivité de l'économie française et a continué
de faire comme si l'on pouvait redistribuer sans trop se préoccuper de produire. Dans le même temps, elle n'a pas suffisamment pris en compte la montée
en puissance de nouvelles formes d'inégalités et a considéré que les politiques sociales traditionnelles continuaient à fonctionner de façon satisfaisante.
Leur évidente incapacité à lutter contre la pauvreté et l'explosion des inégalités a été attribuée non à leur inadéquation grandissante, mais à une force
de frappe insuffisante. Il ne s'agissait plus dès lors de les faire évoluer : il suffisait de les renforcer. Que la thérapie retenue par Nicolas Sarkozy
soit inappropriée ne change rien au diagnostic : entre deux constats fondés et partagés par une grande majorité de Français et une analyse doublement décalée,
les électeurs ont choisi. Pour rétablir sa crédibilité, la gauche doit retrouver une cohérence économique et sociale qui permette de fonder une critique
radicale du libéralisme sans se limiter à un pamphlet contre le capitalisme.
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La compétitivité et l'égalité réelle
Si l'on veut remédier à la perte de compétitivité de notre économie, il faut en identifier les causes. Sur un marché devenu mondial arrivent une quantité
importante de travail et une moindre quantité de capital. Devenu relativement abondant, le travail voit son prix baisser ; demeurant relativement rare,
le capital bénéficie d'une rémunération croissante. Pour autant, la stratégie conduisant la France à renouer avec une compétitivité forte ne passe pas
par l'abaissement du coût du travail : quelle que soit l'amertume de la potion libérale imposée à l'économie française, le coût du travail n'y sera jamais
assez faible pour autoriser notre pays à rivaliser en la matière avec les économies émergentes. Il faut au contraire promouvoir le type de travail qui,
à l'échelle du monde, reste rare et peut donc être cher : le travail suffisamment qualifié pour nourrir l'innovation. Quant à notre modèle social, il souffre
aujourd'hui de deux faiblesses qui le rendent peu apte à contribuer à l'égalité réelle. Les politiques sociales sont d'abord trop réparatrices et pas assez
préventives. Il ne suffit plus de constater les inégalités créées par le marché et de chercher à les compenser au moyen d'allocations diverses : il faut
les attaquer à la racine, là où elles se forment, dès l'enfance, au travail, dans le tissu urbain. On ne peut plus se contenter d'aider les pauvres : il
faut construire une société qui fabrique moins de pauvres. De ce point de vue, les politiques d'éducation et de santé sont les premières en cause. D'où
la nécessité, sur certaines parties du territoire, d'allouer massivement du capital public à ceux qui ont peu de capital personnel. C'est ce qui justifie
de limiter à quinze élèves l'effectif des classes dans certaines banlieues ou certaines zones rurales. C'est ce qui fonde l'opposition à l'instauration
des franchises médicales et impose, à rebours, l'adoption d'une vigoureuse politique de prévention en direction des enfants et des familles pauvres. Nos
politiques sociales sont ensuite trop monétaires : elles reposent excessivement sur le versement d'allocations et font encore assez largement l'impasse
sur l'accompagnement individuel. Le vieillissement de la population illustre l'inadéquation de ce modèle : sujet crucial des décennies à venir, il ne peut
trouver de réponse pertinente dans la seule redistribution monétaire. Le problème des retraites est évidemment important ; mais l'adaptation du travail
à l'âge des seniors, l'amélioration de la santé au travail ainsi que la prise en compte de sa pénibilité sont des questions tout aussi décisives. Nous
voyons tous aujourd'hui que les remboursements ne suffisent plus à garantir l'amélioration de l'état de santé des individus, contrairement à la mise en
place de parcours de soins. Nous voyons aussi que l'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire n'est pas véritablement un gage de la réussite à l'école,
contrairement au renforcement de l'encadrement des élèves et du soutien qui peut leur être apporté.
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Le social dans l'économie
Ce qu'il nous faut finalement, ce n'est ni le social au mépris de l'économie, que la gauche a trop tendance à pratiquer lorsqu'elle croit pouvoir développer
des politiques sociales en négligeant les conditions de leur financement, ni le social par l'économie, que la droite persiste à prôner parce qu'elle pense
que, quand l'économie va, tout va. C'est le social dans l'économie, c'est-à-dire des politiques sociales dont la mise en oeuvre contribue à la croissance
économique. Quand on permet aux talents qui naissent dans les banlieues d'aller à l'université, c'est aussi l'économie dans son ensemble qui en bénéficie.
Quand on améliore la santé au travail, c'est aussi la productivité qui s'élève. Quand on facilite le retour à l'emploi des salariés frappés par les délocalisations,
c'est aussi le tissu industriel qui retrouve sa trame. Si notre avenir repose sur la valorisation du capital humain de nos concitoyens, c'est parce que
la protection contre les effets indésirables de la mondialisation passe par une économie plus efficace. Ce qui nous protégera à l'avenir, c'est la compétitivité,
pas le repli. Il nous faut donc un Etat qui fasse de cette entreprise de valorisation sa tâche principale, non un Etat qui s'emploie à privilégier la rente
en abaissant les droits de succession.
 
Une politique durable
Chacun comprend aujourd'hui qu'il n'est de politique efficace que si elle est durable. « Durable », cela veut dire qu'elle sera mise en oeuvre longtemps
et poursuivie avec opiniâtreté, mais aussi qu'elle sera efficace et financée à long terme - certains diraient « soutenable ». Il faut donc intégrer à la
logique du développement des contraintes sociales, environnementales, énergétiques - qui ont jusqu'alors été considérées comme latérales. Une fois la politique
économique définie, on s'interrogeait sur ses conséquences sociales et environnementales pour en corriger éventuellement les effets. A l'avenir, il ne
pourra plus en aller de la sorte. Il faut dorénavant que, dès sa conception, la politique tienne compte des conditions de sa durabilité. Ceci vaut naturellement
aussi pour les finances publiques. Le retour à un taux d'endettement supportable est la condition impérative d'une politique durable. On comprend aisément
que ceci ne soit guère compatible avec une politique à courte vue d'allègements fiscaux. Disons-le d'une phrase : aucune politique ne peut porter de fruits
si elle n'est pas suffisamment acceptée par la société pour durer, durer, durer encore.
 
Le contrat et l'Europe
Comment le faire ? Question de méthode. Question d'espace aussi. La méthode, c'est le contrat. Le contrat entre l'Etat et ses différents partenaires, en
particulier les collectivités territoriales, sur lesquelles reposeront, à l'avenir, une bonne part des politiques publiques. Mais aussi le contrat avec,
et entre, les partenaires sociaux. Il faut pour cela des syndicats forts et, surtout, parfaitement légitimes. D'où l'ardente nécessité de mettre en place
des mécanismes propres au renforcement de leur représentativité. D'où, aussi, l'importance d'engager de vraies négociations et de se refuser à poser constamment
le pistolet de la loi sur la tempe des partenaires sociaux. D'où, enfin, l'urgence de favoriser l'émergence d'un nouvel acteur, le consommateur, qui doit
être en mesure de contester la toutepuissance des entreprises. L'espace, c'est l'Europe. L'Etatnation n'est plus le lieu pertinent de la lutte contre les
effets indésirables de la mondialisation. De cette affirmation banale, il faut tirer toutes les conséquences : donner à l'Union européenne les moyens de
financer des politiques favorables à la croissance et à l'emploi comme de piloter la recherche ; négocier les premiers éléments d'une Europe sociale ;
garder l'ambition de fonder une Europe politique. Je ne vois rien de cela ni dans le protectionnisme national qui nous a été promis pendant la campagne
présidentielle, ni dans le mini-traité qui nous est annoncé par Nicolas Sarkozy. Il n'y a pas d'avenir pour la France dans une vision trop étroitement
nationale ou trop étroitement économique. Il n'y a pas d'avenir pour la gauche dans une vision trop étroitement sociale ou trop étroitement étatique. Notre
avenir ne peut se construire qu'à travers la mise en oeuvre, dans l'espace européen, de politiques négociées permettant de répondre à l'exigence sociale
et de renforcer la compétitivité. Ceci passe par une réforme radicale de nos politiques publiques qui ne peuvent plus prétendre se limiter à corriger,
après coup, les méfaits du capitalisme mondialisé. Il faut accepter de « se salir les mains », d'intervenir sur le fonctionnement même du système productif.
Il faut un socialisme du réel.
 
 Dominique Strauss-Kan