13 juin 2007

Refondation du PS, c'est pas gagné!

Point de vue publié dans le monde à la veille du premier tour des législatives, maiq ui garde tout son sens

Scénarios pour une refondation, par Philippe Marlière
e Parti socialiste est aujourd'hui amené à préciser sa doctrine, à élaborer un programme mobilisateur et à reconsidérer ses alliances. Après trois échecs
présidentiels consécutifs, la situation est assez grave pour exclure les replâtrages habituels. Quatre scénarios pour une refondation socialiste peuvent
être envisagés.
 
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LE SCÉNARIO ITALIEN
 
En Italie, les démocrates de gauche (DS, ex-PCI) s'apprêtent à fonder un nouveau parti (le Parti démocratique) qui inclura le pôle de la Marguerite (dominé
par les démocrates-chrétiens). Selon Piero Fassino, dirigeant des DS, cette alliance prend acte de la "disparition du vieux schéma tripolaire gauche, centre,
droite", auquel aurait succédé une opposition feutrée entre deux grands blocs centristes, hors toute référence à la gauche. Transposé en France, il s'agirait
de bâtir une force centriste dont le PS serait le pivot. Ce nouveau parti - non socialiste - engloberait les radicaux de gauche, la tendance libérale-libertaire
des Verts (Daniel Cohn-Bendit) et le Mouvement démocrate de François Bayrou.
 
Ce schéma a été esquissé par Ségolène Royal à diverses reprises. Sans référence explicite à la création d'un Parti démocrate, elle a revendiqué un "PS ouvert,
sans frontière" et a prédit qu'il allait "se passer des choses localement avec le MoDem" d'ici aux élections municipales. La recherche d'alliance avec
le centre droit semble des plus risquées. C'est ce que nous enseigne le cas italien : le recentrage continu des DS depuis plus de dix ans s'est accompagné
d'une érosion militante et électorale constante, accentuée par les scissions de son aile gauche.
 
En France, l'opposition gauche-droite est plus vivace qu'en Italie. Les reports de voix bayrouistes en faveur de Mme Royal ont été des plus médiocres, ce
qui souligne l'incompatibilité entre électorat socialiste et électorat démocrate-chrétien en France. En outre, les reports de voix de la gauche non socialiste
vers Mme Royal - décevants en 2007 - seraient assurément catastrophiques si d'aventure elle était la candidate d'un parti centriste en 2012.
 
LE SCÉNARIO BRITANNIQUE
 
C'est le développement rêvé par Dominique Strauss-Kahn et ses amis. L'accent est mis, ici, sur une refondation interne du PS qui s'inspire de la démarche
blairiste au sein du Parti travailliste. Une offensive idéologique doit être conduite pour amener le PS à renoncer à la lutte pour le socialisme (combat
contre un capitalisme de plus en plus débridé, défense d'un secteur nationalisé de l'économie, exigence de redistribution des richesses, etc). Des notions
lénifiantes ("réformisme", "socialisme du réel", "social-démocratie") tentent de masquer les convergences avec le néolibéralisme tempéré du blairisme,
de favoriser la conversion du PS à une Europe sans muscle politique et de renforcer l'alignement atlantiste du PS.
 
A la différence du scénario italien proprement suicidaire, le scénario britannique a le mérite de la cohérence. Cette ligne pourrait l'emporter si les strauss-kahniens
parvenaient à débaucher les "déçus du royalisme". Mais le problème de la mobilisation des électorats de gauche se poserait également dans ce cas : quelle
serait la fortune électorale d'un parti blairisé en compétition avec une gauche radicale galvanisée par un PS qui n'aurait plus de socialiste que le nom
? Car le succès du blairisme a reposé sur une série de facteurs exceptionnels, introuvables dans le contexte français : scrutin majoritaire à un tour qui
sur-amplifie la dynamique du vote utile, absence de compétition à gauche pour le Parti travailliste et démantèlement avancé de l'Etat social britannique.
 
LE SCÉNARIO ALLEMAND
 
Ce serait celui de la scission de la gauche du parti, poussée vers la sortie à la suite du succès rencontré par les scénarios italien ou britannique. Il
s'agirait ici de recréer un parti authentiquement socialiste. Cette situation s'apparenterait à la création de la WASG par Oskar Lafontaine, un ancien
leader du SPD, en désaccord avec les politiques néolibérales du gouvernement Schroeder.
 
Envisageable après le rejet du traité constitutionnel, alors que l'idée d'une candidature "antilibérale" connaissait une réelle dynamique, ce cas de figure
est aujourd'hui impensable. La gauche radicale est aujourd'hui sur la défensive et divisée. En outre, on imagine mal quels élus socialistes de premier
plan accepteraient de risquer leur carrière sur un projet aussi aléatoire.
 
LE SCÉNARIO SOCIALISTE
 
C'est celui de la rupture avec... les politiques mises en oeuvre par les partisans des scénarios italien et britannique depuis les années 1980. Il s'agirait
d'abandonner le prêt-à-penser social-libéral. Instruit des erreurs du passé et s'inspirant de la démarche des assises du socialisme organisées en 1974
par François Mitterrand, ce PS aurait à coeur de maintenir le dialogue avec les diverses composantes de la gauche.
 
Il serait rajeuni, féminisé, ouvert aux minorités ethniques, attentif aux critiques de gauche du capitalisme financier et du productivisme. Ce serait un
parti réformiste radical, moderne, de masse, rompant avec la conception actuelle du parti de supporteurs pour devenir un authentique parti de militants.
Ce type de parti pourrait obtenir un score plancher de 30 %, car il rassemblerait nombre d'électeurs communistes, écologistes et altermondialistes, tout
en continuant de mordre sur le centre gauche.
 
Les scénarios italien et britannique expriment des choix purement idéologiques et poursuivent, selon des méthodes différentes, des objectifs similaires
(le dépassement de la nature socialiste du PS et la recherche d'alliances organiques ou conjoncturelles avec les démocrates-chrétiens et les libéraux).
Le scénario socialiste est, inversement, sociologiquement motivé : il réfute la thèse infondée de la "droitisation de la société française", prend acte
de la vivacité du clivage gauche-droite et anticipe la recomposition des gauches. Ce scénario est réaliste et moderne, car c'est le seul qui puisse permettre
une victoire de la gauche en 2012.
 
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Philippe Marlière est maître de conférences en science politique à l'université de Londres.