27 mai 2007

Aprés le temps des cerises, voici venu le temps des trahisons!

Vendredi 25 mai 2007
 
Dommage qu'ils n'aient pas pris Allègre »
 

Hollande : le temps des trahisons
Le premier secrétaire s'applique à minimiser les conséquences, à gauche, de l' « ouverture ». Et pourtant...
 

Aquoi reconnaît-on un joli coup politique ? A la cacophonie qu'il provoque chez ses adversaires. En nommant au gouvernement quatre personnalités issues
des rangs de la gauche, Nicolas Sarkozy a déclenché un concert de critiques contradictoires chez les socialistes, qui traduit bien leurs divisions internes
mais aussi leur incapacité à trouver le bon angle d'attaque pour riposter. En quelques jours, on a ainsi entendu Julien Dray traiter de basse « manoeuvre
» ce que Laurent Fabius, en fin connaisseur, qualifiait de coup « électoralement bien joué », et François Hollande fustiger un « débauchage » là où sa
compagne Ségolène Royal préférait voir une forme d' « hommage » à son pacte présidentiel. Plus curieux encore : certains socialistes n'ont pas hésité à
dénoncer cette volonté affichée de laminer le PS, tout en remettant en cause le pedigree socialiste de Bernard Kouchner ou de Jean-Pierre Jouyet... Le
piège était tendu. Il a parfaitement fonctionné. Exactement comme en 1988, mais dans l'autre sens. Sommés d'utiliser leur maigre temps de parole à commenter
ces défections, les socialistes ne pouvaient pas plus mal commencer la campagne législative. Non seulement Sarkozy les prive de leur refrain favori sur
la menace d'un retour de l'Etat-UMP, mais ils se voient accusés de sectarisme pour avoir exclu Bernard Kouchner sitôt connue l'annonce de son arrivée au
ministère des Affaires étrangères ! François Hollande l'a compris. Il peut bien, aujourd'hui, souligner les incohérences du chef de l'Etat, qui a hésité
un temps à confier le Quai-d'Orsay à Hubert Védrine avant de l'offrir à Bernard Kouchner, alors que tout oppose les deux hommes en matière de politique
étrangère. Ou ironiser sur le fait que Nicolas Sarkozy, grand procureur de Mai-68, ait fait entrer au gouvernement le fondateur de Médecins sans Frontières,
qui incarne plus que tout autre, aux yeux du premier secrétaire, « la culture soixantehuitarde , avec ses bons et ses mauvais côtés ». Ses critiques ne
sont guère audibles. Les sondages l'ont montré, l'opinion a tranché : les Français sont sensibles à l'ouverture. Ségolène Royal elle-même ne l'avait-elle
pas pressenti en promettant d'ouvrir les portes de son gouvernement à des ministres UDF ? Après le choc de la défaite et le camouflet des transfuges, le
premier secrétaire du PS a donc choisi de minimiser, banaliser, temporiser. Pour lui, l'heure n'est pas à l'hémorragie. Après tout, la brèche aurait pu
être beaucoup plus importante si François Bayrou l'avait emporté et avait nommé DSK à Matignon. Hollande, qui aime puiser dans l'histoire des éléments
d'analyse comme sources de réconfort, se souvient de Giscard en 1974. « Lui aussi incarnait une forme de rupture avec l'archaïsme du pompidolisme, lui
aussi a tenté le coup de l'ouverture avec Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber . On disait à l'époque : " Ça va tuer la gauche. " On a vu
comment cela s'est terminé ! » Le député-maire de Tulle en est persuadé, les premières contradictions ne tarderont pas apparaître. Un premier couac a d'ailleurs
déjà retenti lundi dernier lorsque Martin Hirsch, fraîchement nommé haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, a critiqué publiquement
le projet de franchise de soins préparé par le gouvernement. D'autres viendront, il en est sûr. Probablement du Quai-d'Orsay. « Kouchner ne l'a peut-être
pas réalisé , mais il a hérité d'un ministère en toc. D'un côté Brice Hortefeux [ le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale ] gérera les
visas, les demandes d'asile , la coopération et du même coup toute la politique africaine, tandis que de l'autre Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique
de Nicolas Sarkozy, donnera les grands arbitrages depuis l'Elysée . Il est coincé , je le connais, il va gaffer », pronostique-t-il, avant d'ironiser :
« Quel dommage quand même qu'ils n'aient pas pris aussi Claude Allègre ! » Badin avec Kouchner, Hollande est beaucoup plus affecté par la nomination de
Jean-Pierre Jouyet comme secrétaire d'Etat aux Affaires européennes. Il sait qu'à travers cette « prise de guerre » c'est lui que Sarkozy a voulu toucher.
Hollande et Jouyet se connaissent depuis longtemps. Ils ont été amis. Aujourd'hui, ils se parlent encore mais ne se comprennent plus. « Jean-Pierre est
moins un homme politique qu'un haut fonctionnaire. C'est un mélange de démocrate-chrétien et de gaulliste social. Il doit se dire qu'en servant l'Europe
il reste fidèle à ses convictions, résume Hollande. Et puis son père était maire et conseiller général RPR, son frère est maire et conseiller général UMP...
» Déçu, le premier secrétaire ne cite d'ailleurs jamais son nom, pas plus que celui d'Eric Besson, lorsqu'il évoque la distribution des maroquins. Pour
lui, le gouvernement Fillon se résume à « quinze ministres, dont treize UMP ». Façon de minimiser l'ouverture. Ou de renvoyer dos à dos la trahison politique
et la trahison en amitié ?
 
 Matthieu Croissandeau
Le Nouvel Observateur