24 mai 2007

Laurent Joffrin:Pourquoi il faut lire la lettre de Guy MÔquet!

Jeudi 24 mai 2007
 
Nicolas Sarkozy a raison. Même si ses intentions ne sont pas sans arrière-pensées, seuls comptent les actes.
Oui, il faut lire la lettre de Guy Môquet
Par Laurent JOFFRIN
Laurent Joffrin directeur de la rédaction de «Libération».
Soyons francs : si n'importe quel autre homme politique que Nicolas Sarkozy avait proposé de faire lire à tous les élèves de France la lettre écrite en
1941 par le jeune Guy Môquet à ses parents juste avant d'être fusillé par les Allemands, aurait-on polémiqué de la sorte sur le sujet ? Un président ­
ou une présidente ­ de gauche, par exemple ? On devine bien que non. Tout au plus certains à droite, plus ou moins mal embouchés, auraient remarqué avec
acidité qu'on rend ainsi hommage à un jeune communiste. Or sa mémoire avait jusque-là été honorée avec insistance par le PCF alors même qu'à l'époque des
faits pour lesquels Môquet avait été arrêté ­ une distribution de tracts en octobre 1940 ­ l'appareil du parti, fidèle à la ligne imposée par Staline,
se gardait de toute participation sérieuse à la Résistance, attitude qui changea seulement quand Hitler attaqua l'URSS en juin 1941.
Mais, à l'inverse, n'est-ce pas un geste de tolérance, de la part d'un homme de droite que de choisir comme figure emblématique un jeune qui se situe, en
politique, à l'opposé de ses propres convictions ? Calcul politique ? Peut-être. Mais il faut juger sur les actes plus que sur les intentions. Or l'acte
est juste. Voilà le fond de l'affaire.
Déchirant à tous égards, le texte est un magnifique exemple d'héroïsme manifesté dans la lutte la plus indiscutable qui soit, celle qui a opposé la Résistance
aux barbares hitlériens. Quel mal peut-il faire ? Les arguments employés contre la décision sarkozyenne laissent rêveur par leur faiblesse ou leur mauvaise
foi. Il s'agit d'émotion, dit-on. Et alors ? Depuis quand l'émotion doit-elle être bannie de la pédagogie ? Quiconque a essayé de donner le moindre cours
d'histoire sait qu'il a avantage à capter l'attention avant de développer, d'expliquer, de mettre en perspective les faits historiques qu'il veut enseigner.
Nicolas Sarkozy, que l'on sache, n'a pas proposé de remplacer les cours d'histoire par des séances de larmes collectives. Voudrait-on enseigner l'holocauste
des Juifs en passant sous silence la souffrance des victimes, la pitié que doit inspirer leur sort, la noirceur d'âme des bourreaux ? Ensuite viennent
les explications sur le nazisme, les «crimes de bureaux», l'intentionnalité du génocide...
Il s'agit de mémoire et non d'histoire, poursuit-on. Encore une fausse querelle. Peut-on suggérer modestement que l'une ne s'oppose pas forcément à l'autre
? Mémoire et histoire sont deux moments de la construction d'une culture commune à tous les citoyens et à tous les hommes. Pourquoi le devoir de mémoire,
qu'on a justement invoqué, se substituerait-il forcément au travail historique ? L'un et l'autre sont précieux, voilà tout. Le Président, dit-on encore,
n'a pas à remplacer les professeurs. Il ne le prétend en aucune manière. Il se trouve seulement qu'en démocratie les élus décident in fine de l'organisation
des programmes, en s'appuyant évidemment sur l'état du savoir, sur le principe constitutionnel de pluralisme, sur la compétence des historiens et des enseignants,
qui réalisent l'essentiel du travail en ce domaine et continueront évidemment de le faire. Mais, en cas de conflit moral, d'arbitrage sur les grandes orientations,
qui doit trancher sinon les représentants légaux du peuple ? Une corporation ou une autre, sans règle ni garde-fou ? Drôle de conception de la souveraineté
populaire...
On souligne enfin qu'il s'agit d'une apologie du sacrifice, bien incongrue en ces temps de paix européenne. Voilà sans doute l'argument le plus faux et
le plus inquiétant. Croit-on vraiment que nulle menace ne pèse plus sur l'humanité, sur la démocratie, sur les principes qui nous sont chers ? Et si ces
menaces s'incarnaient à nouveau, faudrait-il repousser avec horreur ceux qui seraient prêts à donner leur vie pour leur idéal, si cet idéal est aussi le
nôtre ? Dans le monde tel qu'il est, la lutte pour les droits de l'homme continue. Et donc, dans certaines circonstances, le sacrifice. C'est le message
de Guy Môquet. Honneur lui soit rendu.