20 mai 2007

Sur les traces des néo conservateurs?

Samedi 19 mai 2007
 
Filiation
 

Sur les traces des néoconservateurs ?
Réhabilitation de la réussite matérielle, déculpabilisation de l'argent : le nouveau président est l'héritier de la révolution conservatrice inaugurée
par Reagan et poursuivie par Bush
 

Dénoncé par François Bayrou pour ses « connivences avec les puissances d'argent » , épinglé par la gauche pour sa fascination des milieux d'affaires, Sarkozy
est-il le dernier rejeton de la révolution conservatrice ? Un « néoconservateur » déguisé ? La question peut sembler saugrenue : le nouveau président se
définit comme un pragmatique, un « can do », à mille lieues de toute idéologie. Mais ce vieux routier de la politique sait aussi, comme l'a théorisé Antonio
Gramsci, que pour s'imposer à une société il faut d'abord instaurer une hégémonie culturelle. Va donc pour l'affirmation de valeurs qui permettront ensuite
d'imposer ses thèmes. Avec, comme pilier, la glorification sans complexe de l'argent considéré sinon comme la mesure de toute chose du moins comme le critère
auquel se mesure la réussite ou l'échec.
Adversaire du « consensus mou » incarné par Chirac, convaincu de la nécessité de changer la pratique politique d'une droite étouffée par l'esprit de révérence
et terrifiée d'être labellisée « libérale », Nicolas Sarkozy s'est inscrit d'emblée en décalage avec la propension radicale-socialiste de l'ancien président.
Il veut en finir avec les demimesures, refonder la société en redonnant toute leur place aux valeurs traditionnelles telles que le travail, l'autorité,
le mérite, la famille. Il s'affirme, dixit l'historien Henry Rousso, « prêt au combat et à changer les choses pour conserver un ordre ancien » . En écho
au fameux « il faut que tout change pour que rien ne change » du prince de Lampedusa dans « le Guépard ».
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Cette volonté « révolutionnaire » qui vise à occuper un terrain délaissé par la gauche est très exactement celle du président Reagan lors de son arrivée
au pouvoir aux Etats-Unis. Reagan veut en finir avec la contreculture des années 1960 et liquider ces « libéraux » démocrates pour qui l'égalité est au-dessus
de la liberté et qui s'obstinent à compter sur l'Etat pour résoudre toutes les difficultés alors que c'est précisément son intervention qui fait problème.
Sarko a-t-il lu « le Rêve et le Cauchemar », procès de Mai-68 où l'essayiste Myron Magnet montrait comment les comportements de l'intelligentsia - nos
« élites » ! - avaient détruit les normes sociales et morales des Américains ? L'ancien ministre de l'Intérieur a la réputation de préférer le vélo à la
lecture. Mais sa conseillère - Emmanuelle Mignon - lui a probablement glissé les conclusions de l'Américain : sexualité libre, divorce banalisé, usage
des drogues - simples « distractions » des bourgeois - ont détruit la famille et l'éthique des plus pauvres.
Cette filiation reagano-bushienne est un filon sans fin. La politique de l'offre, prônée par le nouveau président ? Un remake de « Richesse et pauvreté
», de George Gilder, la bible des partisans des baisses d'impôt et de la déréglementation ( on parle aujourd'hui de « flexibilisation ») dans laquelle
Reagan a puisé son inspiration. Tout comme le bestseller « Losing Ground » : l'essai de Charles Murray, après avoir nourri les assauts du père et du fils
Bush contre les « excès » de l'Etatprovidence, inspire l'autre idée-force du programme Sarko : la conviction que l'aide publique aux pauvres, loin de les
sortir d'affaire, les enferme dans une dépendance permanente. Ajoutez la thèse de la « vitre brisée » développée par le sociologue James Wilson - selon
laquelle aucun délit, fût-il aussi modeste qu'un carreau cassé, ne doit être toléré - et la dénonciation par Abigail Thernstrom de l'idéologie du « politiquement
correct » - qui, comme notre Education nationale, « rend les élèves incultes » -, et vous trouvez dans la révolution conservatrice tout l'arsenal conceptuel
- y compris le conservatisme compassionnel - du nouveau président.
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De là on revient sans peine à la glorification de l'argent, que « les Français adorent mais qu'ils détestent chez les autres » . Cette désinhibition fonde
le futur dispositif fiscal du nouveau chef de l'Etat - bouclier fiscal destiné à freiner l'exode des plus riches, exonération de 95 % des Français des
droits de succession - qui prétend limiter les prélèvements d'un Etat bureaucratique, impécunieux et surtout inefficace dans son emploi. Bref, la copie
conforme des dispositions des gouvernements Reagan et Bush. Seulement voilà : Sarko l'Américain oublie que Bush, contré dans son propre camp par des milliardaires
comme Bill Gates ou Warren Buffett qui ne doivent leur fortune qu'à eux-mêmes, a finalement échoué dans son entreprise d'abolition de l'impôt surl'héritage.
Outre-Atlantique, la fortune est résolument décomplexée. Mais l'ode à l'argent va de pair avec la méfiance vis-à-vis des rentiers qui en héritent... Sans
jamais en avoir pris les risques.
 
 Jean-Gabriel Fredet
Le Nouvel Observateur