20 mai 2007

Fillon:un Sarko soft et bien élevé?

Vendredi 18 mai 2007
 
« Alors, t'es avec moi ? »
 

Fillon : un Sarko soft
Difficile d'imaginer deux hommes aussi différents. Autant le président est impulsif, brutal et franc du collier, autant le Premier ministre est calme,
courtois, dissimulé. C'est leur opposition commune à Chirac qui les a rapprochés
 

Tout un symbole : à peine élu, Nicolas Sarkozy s'est attribué le pavillon de la Lanterne, en lisière du parc du château de Versailles, résidence officielle
des Premiers ministres depuis le début de la V e République. Le locataire de Matignon pourra, lui, séjourner à l'occasion au château de Souzyla-Briche,
dans l'Essonne, plus éloigné, moins pratique. François Fillon a, paraît-il, finalement préféré prendre la chose avec humour et son flegme habituel. Avait-il
les moyens de faire autrement ?
Le nouveau président aurait-il voulu souligner le rôle - amoindri - qu'occupe désormais à ses yeux le Premier ministre qu'il ne s'y serait pas pris autrement.
Précaution inutile. Le sens des convenances et de la bienséance qui caractérise François Fillon lui interdisait certes de prévoir ce coup-là. Mais il s'est
fait depuis longtemps une raison : Sarkozy ne lui a rien caché de ses intentions. Il sera, comme Pompidou, un président qui gouverne et qui a besoin d'un
solide second. Pas davantage.
Depuis maintenant presque deux ans qu'il travaille au quotidien avec Sarkozy, Fillon a appris à le connaître... et à l'apprécier. C'est sans doute la vraie
nouveauté de leurs rapports. Car longtemps le très bien élevé François Fillon a été heurté par la brutalité et les manières de hussard de Nicolas Sarkozy.
Et puis, un jour, parce qu'ils étaient tous deux contre Chirac, il a trouvé ça drôle.
« Le problème de Nicolas, c'est qu'il veut baiser tout de suite. Il n'y a pas de préliminaires » , lâchait-il, amusé, un jour de 2005 alors que le président
de l'UMP le pressait - « Alors, t'es avec moi ? » - de le rejoindre.
 
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Plus que l'insistance de Sarkozy, c'est la logique politique qui a eu raison des pudeurs de jeune fille de Fillon et a finalement amené les deux hommes
à travailler ensemble. Fillon Premier ministre de Sarkozy ! Qui l'eût cru ? Leur attelage fut longtemps improbable. Difficile d'imaginer deux tempéraments
plus différents que ces deux-là. Le premier est calme, sobre, courtois, dissimulé. Le second est impatient, show off, provoc et franc du collier.
Mais ces gros bosseurs sont tous deux, chacun dans son style, des « pros ». Ils ont mené une carrière parallèle entamée dans le milieu des années 1970
et n'ont pas traîné en chemin. Avec une petite avance pour Fillon, d'un an son aîné, qui devient député en 1981, à 27 ans, alors que Sarkozy devra attendre
1988. Mais ils ont conquis leur mairie - Sablé-sur-Sarthe et Neuilly - la même année, 1983, celle de la reconquête des cadets de la droite, à l'aube du
règne de François Mitterrand.
Durant toutes ces années, ils se sont croisés, agacés, méprisés, détestés parfois. Fillon, attaché à la bienséance et au respect des règles élémentaires
de la courtoisie républicaine, ne supporte pas la grossièreté dont sait faire preuve Sarkozy. « Ce type est fou ! Il ne sera jamais Premier ministre »
, confie-t-il exaspéré à l'automne 2002, à la sortie d'une réunion des cadres du RPR, alors que Sarkozy, du haut de sa toute-puissance de nouveau ministre
de l'Intérieur, vient d'humilier publiquement Alain Juppé. De fait, Sarkozy est allé directement à l'Elysée sans passer par la case Matignon...
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François Fillon est un homme normal. C'est sa qualité et son défaut. Attaché à sa vie de famille, surtout depuis la naissance de son petit dernier, le
cinquième, il est capable de s'échapper un après-midi pour des courses avec son fils ou d'avancer l'heure de son retour dans la Sarthe pour s'atteler à
la restauration de son manoir XVIII e de Solesmes. Et qu'importe s'il rate une occasion de se faire mousser dans les médias. Il ne court pas après les
sunlights. Comme tous les fils de bonne famille, le futur Premier ministre de Sarkozy a une sainte horreur de la politique people et de la vulgarité que
charrient parfois certaines émissions de télévision. Il n'a jamais sacrifié à cette mode, profondément convaincu qu'elle contribue au « discrédit de la
politique » et de ses représentants et qu'on peut s'imposer sans se prostituer.
Ce goût de la discrétion s'est longtemps doublé d'une prudence étudiée. Fillon manque souvent d'audace, ce petit rien qui fait la différence en politique
entre les numéros un et les numéros deux. Il a longtemps fait carrière à l'ombre d'un autre, derrière Joël Le Theule, ancien ministre du général de Gaulle,
son premier père en politique ; derrière Séguin, celui qui, dit-il, l'a « formaté intellectuellement » ; derrière Juppé.
On l'a souvent jugé, comme Chirac, ondoyant, peu fiable, plus prompt à se protéger qu'à endosser les risques. En 2002, il souhaite ainsi le ministère de
la Défense, plus confortable. Chirac l'expédie aux Affaires sociales. Pour le tester. L'épreuve de la réforme des retraites est jugée convaincante au point
qu'on parle de lui comme Premier ministre possible, le jour venu. Mais sa formule au soir de la défaite des régionales de 2004 - « c'est un 21 avril à
l'envers » - lui ferme définitivement les portes du premier cercle chiraquien. Le président en revient à sa première impression : « Un faible qui n'a pas
de nerfs. » Dans le second gouvernement Raffarin, Fillon espère le Quai-d'Orsay. Chirac lui confie délibérément l'Education dont il sera viré sans ménagement
à l'arrivée de Villepin.
Ce faux mou sait pourtant plonger quand il le faut. Après la démission de Séguin en 1999, il est à la croisée des chemins. Seul. Sarkozy, qui veut tenter
sa chance pour la présidence du RPR, a besoin d'un allié : « Alors, tu marches avec moi ? » Fillon esquive, temporise, ne dit ni oui ni non. Il veut réfléchir.
Il n'entend pas être - pas encore - le vassal du maire de Neuilly. Il veut, enfin, se mettre à son compte. Pour Sarkozy, l'affaire est entendue : qui ne
dit mot consent. C'est la double méprise. Lorsqu'il apprend la candidature de Fillon, Sarkozy éructe contre cet « indécrottable faux-cul »...
Il n'y a pas qu'une différence de style entre les deux hommes, mais de culture. Nourri au lait gaulliste, spécialiste de la défense, fin connaisseur des
institutions de la V e, Fillon batailla contre Maastricht, tandis que Sarkozy a toujours été un européen convaincu. Féru d'histoire comme son mentor Séguin,
l'ancien ministre des Affaires sociales a souvent eu des doutes sur la pertinence des choix politiques du nouveau président. « Le problème de Nicolas,
c'est qu'il n'intègre pas l'histoire de la France, ses strates superposées , ses familles de pensée , ses luttes souvent violentes » , observe-t-il un
jour alors que Sarkozy vient de proposer de réformer la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat. Manière contournée de reprendre à son compte
la formule de Raymond Aron à propos de Giscard : « Cet homme ne sait pas que l'histoire est tragique. »
On aurait pourtant tort de croire qu'entre le nouveau président et son Premier ministre c'est l'alliance de la carpe et du lapin. Fillon a longtemps masqué
sous son étiquette de gaulliste social de vraies convictions libérales. Il avait, voici plus de dix ans, convaincu Séguin, suffoqué, de la nécessité de
la réforme de France Télécom. Et puis, surtout, les deux hommes partagent la même volonté de revanche sur Chirac.
Comme Sarkozy, mais pour des raisons différentes, la carrière de Fillon s'est faite - jusqu'en 2002 en tout cas - sans ou malgré l'ancien président de
la République. Fillon a cru, un court moment, que Chirac avait raison sur le rythme des réformes à engager après sa réélection. Mais très vite il estime
s'être trompé et rejoint l'analyse de Sarkozy, partisan d'une guerre éclair. C'est le début de leur rapprochement et de leur association pour la bataille
de 2007. Fillon qui a rallié Sarkozy voici deux ans sous les lazzis - « il s'est vendu trop tôt » - juge au contraire qu'il a eu le nez creux.
Conscient de sa valeur intellectuelle au point d'avoir parfois fait preuve de vanité (« On ne retiendra que mes réformes »), il a mis sa puissance de travail,
son esprit de synthèse au service du projet Sarkozy. Non sans lui faire part, en tête à tête, de ses désaccords si besoin. Vassal mais pas béni-oui-oui.
 

 Carole Barjon
Le Nouvel Observateur