14 mai 2007

Titine, un franc parlé!

Lundi 14 mai 2007
 
Martine AUBRY : "pour moi, un échec est toujours collectif".
 
Martine AUBRY était l'invitée de l'emission "
Le Franc Parler
" France-Inter/i-télé/Le Monde du lundi 7 mai 2007.
 
Stéphane PAOLI : Alors Martine Aubry, d'abord votre perception, la façon dont vous avez vécu la soirée d'hier ? Quelle image avez-vous de ce premier tour...
en fait de ce, pardon, du résultat de cette présidentielle d'hier soir ?
 
Martine AUBRY, maire de Lille : Eh bien, je crois d'abord une grande tristesse parce que j'ai pensé à toutes ces femmes, tous ces hommes que nous avons
rencontrés pendant toutes ces longues semaines et qui attendaient sans doute autre chose, plus de justice, des jeunes surtout qui se sont beaucoup mobilisés
et qui ont peur pour leur avenir. Donc évidemment une grande tristesse comme à chaque fois qu'on perd une bataille, mais surtout lorsque cette bataille
touche les hommes et les femmes. Et je voyais la tristesse qui était dans ma ville, même si nous y avons fait là un très bon score, et je pensais aussi
à tous ceux qui ont beaucoup souffert ces dernières années. Voilà. Ceci dit, il y a une victoire incontestable de Nicolas Sarkozy. Je tiens à la saluer
évidemment par tradition républicaine et aussi comme il se doit. Mais voilà.
 
Thomas HUGUES, i>Télé : Vous avez été touchée par son discours qui se voulait rassembleur avec des thèmes d'ouverture ?
 
Eh bien, disons qu'il a eu un discours qui n'était pas tout à fait en cohérence avec ce qu'il nous avait dit, notamment en fin de campagne, ou cette façon
justement de diviser les Français, de leur donner l'impression que c'est en se craignant, si je puis dire, les uns les autres et non pas en s'aidant, en
s'accompagnant, en ayant des règles communes, justes, qu'on allait réussir ensemble. J'ai préféré le discours effectivement du candidat élu président de
la République et j'espère que c'est cette tonalité-là qui va rester. Bien sûr, dans les premiers actes, je pense, parce que jusqu'aux législatives nous
aurons sans doute un Nicolas Sarkozy qui sera le plus ouvert possible. Mais j'espère aussi que ça continuera après parce que, même si j'en doute vu ce
qui a été fait depuis cinq ans, je pense que beaucoup de gens ont souffert et craignent de souffrir encore aujourd'hui.
 
Raphaëlle BAQUET, Le Monde : Mais vous parlez de tristesse et on a vu le contraire au fond, une Ségolène Royal radieuse, extatique, extrêmement souriante.
Comment vous interprétez ce décalage entre la candidate et effectivement les électeurs de gauche qui peut-être étaient très déçus ?
 
Vous savez, le soir d'une défaite, parce que c'est une défaite, chacun réagit comme il le peut et avec ses ressorts propres. Moi, je suis convaincue que
les valeurs qui sont les nôtres aujourd'hui, les valeurs de solidarité, le fait qu'on ne peut pas vraiment être libres s'il n'y a pas une égalité, on n'est
pas libre d'élever bien ses enfants lorsqu'on n'a pas un logement décent, lorsqu'ils n'ont pas accès à l'éducation, lorsqu'on n'a pas accès à la santé.
Je suis convaincue, moi, que nos valeurs, celle de solidarité aussi, ne pas opposer les personnes âgées aux jeunes, ceux qui viennent d'ailleurs et ceux
d'ici. Je suis convaincue que ce sont des valeurs qui permettent de répondre aux problèmes de notre société, de la loi du plus fort, du fric à tout coût,
de l'urgence. Je suis très triste de voir que nous n'avons pas su convaincre. Car c'est nous qui n'avons pas su convaincre que ces valeurs étaient aujourd'hui
meilleures pour chacun individuellement et pour nous tous collectivement. Voilà. Donc, ma réaction est de tristesse. Je pense que Ségolène Royal, d'abord
après une campagne extrêmement déterminée, est fatiguée, je dirais, bon, a vu aussi tous ceux qui étaient là qui l'applaudissaient. Et bon, je pense que...
 
Stéphane PAOLI : Mais Martine Aubry, là, il y a quelque chose qui nous a tous frappé hier soir, et on l'entendait d'ailleurs sur tous les plateaux, et notamment
sur celui de LCI et sur l'antenne de France inter : quelque chose a forcément changé au Parti Socialiste après cette présidentielle. On a entendu aussi,
et puisqu'on parlait d'une certaine détente, on a vu au contraire la, comment dire, la contraction et même un peu l'énervement de Dominique Strauss-Kahn
hier soir qui disait : "Je suis là pour relever l'enjeu de la social-démocratie." Qu'est-ce qui a changé déjà au Parti Socialiste, de votre point de vue ?
 

C'est notre troisième échec présidentiel. Il faut le dire. Donc nous nous devons de nous poser des questions. Pourquoi Sarkozy a gagné ? Il a gagné parce
qu'il a d'abord une cohérence idéologique qui ne l'a pas quitté, en allant peut-être parfois même un peu loin au-delà des limites normales, je dirais,
du discours qui peut être le sien. Deuxièmement, il a rassemblé. Il a su rassembler toutes les Droites. Bon, je dirais que, en creux, nous n'avons pas
su aujourd'hui démontrer que nos valeurs avaient une certaine modernité et qu'elles étaient mieux à même aujourd'hui d'affronter le monde d'aujourd'hui.
Et le monde d'aujourd'hui, c'est les SDF qui sont à côté de nous, c'est les salariés qui ne gagnent pas assez d'argent, ce sont les délocalisations mais
c'est aussi, je crois qu'il faut le dire parce qu'on n'en a pas beaucoup parlé pendant cette campagne, les terrorismes, les extrémismes qui naissent justement
des inégalités. Dans le fond, le succès de Nicolas Sarkozy, et je dirais en creux notre échec, c'est d'avoir pratiquement réussi à convaincre une majorité
de Français qu'on s'en sortait mieux seul qu'avec les autres. Moi, je n'y crois pas. Je crois qu'il faut une solidarité. La France et l'identité de la
France dont il a tant parlé, la France est une France humaniste, c'est une France solidaire et c'est une France du respect. Et quand je vois qu'on s'est
fait prendre, si je puis dire, un thème comme celui de la valeur travail, moi qui me bât depuis trente ans pour que chaque Français puisse travailler parce
que l'assistance, c'est la pire des choses, on n'existe plus, on a honte parfois même de soi-même, on n'est pas utile socialement. Le travail bien payé
avec de bonnes conditions de travail, le travail qui permet aux hommes et aux femmes de progresser, d'apprendre des choses, d'apporter toujours plus, ça
n'a jamais été qu'un thème de gauche. Et je vois moi, dans ma région qui est à gauche avec des travailleurs qui se sont battus sur le combat collectif,
etc, et bien aujourd'hui, voir Nicolas Sarkozy après un gouvernement qui n'a plus combattu le chômage, qui a mis le pouvoir d'achat à bas, dire et arriver
à convaincre qu'il est le candidat de la valorisation du travail, je me dis : nous n'avons pas été à la hauteur collectivement. Car pour moi, un échec
est toujours collectif.
 
Thomas HUGUES : Donc vous ne voulez pas pointer une responsabilité, c'est une faute collective ?
 
Non. Il faudra bien sûr faire des analyses beaucoup plus précises sur...
 
Stéphane PAOLI : Mais vous restez sur ce socle... pardon de vous couper la parole un instant, mais vous disiez les références aux valeurs, aux valeurs traditionnelles
de la Gauche, est-ce que ces valeurs doivent changer ? Doivent-elles évoluer ? Y a-t-il une nécessité à ce que le Parti Socialiste aujourd'hui s'ouvre,
j'allais dire, sur un monde tel qu'il fonctionne, et notamment s'agissant des enjeux de l'économie mondialisée ?
 
Voilà, je voudrais donner quelques exemples. Nos valeurs, est-ce les mêmes ? Moi, je dis : il n'y a pas de liberté sans égalité, il faut de la solidarité
et il faut des règles. Dans un monde où il n'y a plus de règles, c'est vrai à côté de chez nous quand on voit ce qu'il se passe par exemple sur la répartition
des salaires dans une entreprise, dans un monde où il n'y a plus de règles de répartition des richesses dans le monde, et bien, c'est la violence qui ensuite
est la seule réponse. Et la violence, c'est pas ça une société. Donc il faut des règles, du respect des uns, du respect des autres. Mais ces valeurs qui
sont les nôtres, nous devons les adapter et les moderniser. Je crois qu'aujourd'hui ce que demandent les Français, et c'est ça qu'il faut leur expliquer,
ils veulent des réponses qui portent sur eux individuellement. Nous devons montrer par exemple qu'il faut des protections collectives mais que ça doit
laisser une liberté aux individus, alors qu'auparavant c'était "Tous pareils". C'était un monde facile : on rentrait dans l'entreprise à 14 ans, on en
sortait à 60. Enfin je dis "facile"... simple. Aujourd'hui, chacun est différent, a des aspirations différentes. Montrer que pour la retraite, par exemple,
il doit y avoir des règles de protection pour ceux qui ont commencé à travailler tôt sur des emplois pénibles mais qu'on peut laisser une liberté individuelle
aux gens, et je crois que ça on ne l'a pas suffisamment fait. Dans la proposition par exemple sur la progression professionnelle tout au long de la vie,
enlever la possibilité aux gens de tomber dans un gouffre quand ils sont au chômage, leur donner la possibilité, notamment s'ils n'ont pas fait d'études
au départ, de faire une formation tout au long de leur vie, c'est la réconciliation entre des aspirations collectives et un choix individuel. Eh bien...
 
Stéphane PAOLI : Mais vous êtes tous d'accord là-dessus ? Vous sortez du bureau national, là, il y a quelques minutes à peine.
 
Oui, nous sommes tous d'accord pour dire que collectivement nous devons repenser à tout cela. De même qu'il ne faut pas jeter le rôle de l'État aux oubliettes.
L'État doit agir différemment qu'avant. Il ne doit plus entendre, il ne doit plus écouter les collectivités locales aussi. Mais l'État est le garant que
nous vivions bien dans une société. Et pour moi, l'État, ce n'est pas celui qui conforte le plus fort et qui se satisfait des plus faibles. Un projet présidentiel,
c'est quand même comment faire pour que chacun vive mieux dans notre société et que nous vivions bien tous ensemble. Et ce que je trouve triste aujourd'hui,
c'est que les valeurs de la Gauche, qui sont aussi celles de la France, celles qu'on attend de la France dans le monde, eh bien, nous n'avons pas réussi
à convaincre qu'elles étaient d'actualité pour répondre aux problèmes du monde, dont ceux de la mondialisation d'ailleurs.
 
Raphaëlle BAQUET : Mais attendez, vous aviez quand même un problème de départ. On se souvient tous, enfin nous journalistes politiques, quand le PS a fait
son projet, le projet socialiste, au fond aucun des dirigeants politiques du PS ne le trouvait bon. Vous étiez tous critiques - alors sauf vous puisque
vous en êtes l'initiatrice -...
 
Non, non ! J'en étais...
 
Raphaëlle BAQUET : ... mais tous critiques des 35 heures et on proposait dans le projet socialiste de les généraliser...
 
Ah, oui ! Oui.
 
Raphaëlle BAQUET : ... bref, il y avait une série de critiques qui n'était pas faite et le Parti Socialiste manifestement ne s'était pas rénové. Comment
cela se fait-il que vous n'ayez pas utilisé cette... ?
 
Permettez-moi un petit mot quand même sur les 35 heures, parce qu'un jour il faudra qu'on ait un débat long. La Droite, qui considère que les 35 heures
sont quand même la plus grande calamité de tous les siècles, ne les a pas remises en cause. Il faut quand même se poser la question. C'est peut-être parce
que 95% des Français qui sont aux 35 heures sont contents. C'est peut-être parce que les entreprises se sont modernisées et ont gagné en productivité.
C'est peut-être parce qu'on a créé 500 000 emplois. Alors il y a des difficultés, j'ai été la première à le dire, et il faut les traiter. Mais je crois
que c'est intéressant de voir qu'on est dans l'idéologie contre mais on ne l'a pas supprimée. Peut-être parce qu'on a supprimé les emplois jeunes et qu'on
a vu les désordres.
 
Raphaëlle BAQUET : Enfin la Gauche en tout cas est critique dans la coulisse et propose de continuer les 35 heures et de les généraliser en public.
 
Oui, enfin moi je ne sais pas. J'ai eu l'impression d'avoir toujours une certaine cohérence. Je pense que...
 
Thomas HUGUES : Mais au-delà des 35 heures, pourquoi cette rénovation ne s'est pas engagée plus tôt ?
 
Non, mais je crois que c'est là notre responsabilité.
 
Thomas HUGUES : Pourquoi ça ne s'est pas fait juste après 2002 ? C'était déjà un cataclysme pour le PS.
 
C'est là notre responsabilité collective. Depuis, il y a eu 2004. Nous gérons aujourd'hui des régions, la plupart, beaucoup de départements, des villes,
et je crois que ça se passe bien là où on est. Donc ça veut dire que chacun dans...
 
Thomas HUGUES : Mais ça veut dire que... excusez-moi...
 
Raphaëlle BAQUET : Est-ce que c'est collectif ou est-ce que c'est François Hollande ? Puisque maintenant la critique se dirige sur lui.
 
Attendez. Je pense que chacun va prendre sa part de responsabilité. Le patron du Parti Socialiste les prend lui-même. Mais c'est une responsabilité collective.
Moi, pourquoi je suis triste ? Parce que je ne crois pas en une société qui monte les gens les uns contre les autres, je ne crois pas qu'on doive faire
croire que les chômeurs ne veulent pas travailler, je ne crois pas que ceux qui sont dans des contrats à durée déterminée doivent envier ceux qui sont
en contrat à durée indéterminée, je ne crois pas qu'on doive faire peur aux personnes âgées. On a la chance d'avoir une espérance de vie immense, d'avoir
des personnes âgées dans notre ville... dans notre vie qui ne sont pas, comme parfois dans d'autres pays, mis dans des endroits particuliers. Nous avons
la chance d'avoir des jeunes qui veulent se battre pour avoir leur place dans la société. Eh bien, réconcilions-les au nom de valeurs et non pas en les
opposant et en leur faisant peur. Eh bien, là-dessus, nous n'avons pas assez travaillé des réponses d'aujourd'hui avec les valeurs qui sont toujours les
mêmes et qui, elles, n'ont pas changé. Voilà.
 
Thomas HUGUES : Mais je suis désolé de revenir à la question des personnes, peut-être des ego, mais quand même hier soir on a assisté à une sorte de guerre
des chefs. Dès 20h03 ou 20h04, Ségolène Royal s'impose, fait son discours et s'impose comme celle qui veut devenir la première opposante. Et quelques secondes
plus tard, Dominique Strauss-Kahn, sur le plateau de nos confrères de France 2, quand même est très critique sur la façon de mener la campagne. Donc comment
vous allez éviter...
 
Vous savez, là, nous avons changé. Nous sommes en train...
 
Thomas HUGUES : Comment vous allez éviter maintenant, là, dans les quelques semaines qui nous amèneront aux législatives, que cette guerre des chefs prenne
le dessus ?
 
Non, la guerre, elle n'aura pas lieu. Nous venons de sortir d'un bureau national où tout le monde était là. Nous savons que nous avons une responsabilité
collective, c'est celle de l'échec, même si après on pourra dire telle ou telle chose particulière. Elle est collective. Deuxièmement, nous avons une deuxième
responsabilité collective, c'est de faire en sorte qu'il y ait le maximum d'élus de gauche à l'Assemblée nationale pour rééquilibrer les pouvoirs et puis
peut-être aussi pour empêcher un certain nombre de choses, pour bien informer les Français, pour faire en sorte, comme quand on a lancé le CPE, les jeunes,
les syndicats, nous-mêmes l'opposition, d'empêcher les réformes qui n'iraient pas dans le sens d'une société maîtrisée et solidaire. Donc on est responsables
aujourd'hui pour aller dans ces élections législatives. Et il faut y aller collectif. Je crois que c'est bien ce qui est ressorti ce soir. Et je crois...
 
Stéphane PAOLI : Il y a juste une question quand même, parce que cette question du collectif, elle est... bon, très bien, on entend vos propos. Néanmoins,
quand on voit pourquoi aussi Nicolas Sarkozy a été élu, la façon dont il a été élu...
 
Mais c'est une présidence...
 
Stéphane PAOLI : ... c'est qu'on a posé la question du leadership aussi pour la Droite.
 
Oui, mais c'est une pré... excusez-moi de le dire...
 
Stéphane PAOLI : Quel pourrait être le leadership de la Gauche aujourd'hui ?
 
Pourquoi ça change aujourd'hui par rapport à avant-hier ? Et bien, parce qu'une élection présidentielle, c'est le rapport entre un homme/une femme et un
peuple. Nous avons choisi notre candidate donc c'est notre candidate. Nous la connaissons et elle a été totalement cohérente avec ce qu'elle est. Elle
a choisi... Non, mais c'est vrai, elle a choisi son style, ses priorités, ses idées qui parfois sont en décalage avec certaines des nôtres, parfois je
crois en lien avec la société. Parfois je ne le pense pas, mais ce n'est pas grave. C'était notre candidate, il fallait la respecter et on ne peut pas
dire qu'elle n'a pas mis sa patte à cette campagne. Voilà. Voilà, c'est bien, c'est comme ça. Maintenant...
 
Stéphane PAOLI : Non, mais ce qui m'intrigue, c'est le "c'était". Le reste-elle ?
 
Non, mais attendez...
 
Stéphane PAOLI : Incarne-t-elle aujourd'hui ce que... ?
 
C'était un candidat, ou une candidate, avec un peuple. C'est la présidentielle. C'est ce qu'a fait Sarkozy dans le fond, sauf qu'il a réussi à réunir quand
même tout le monde autour de lui dans son parti et toutes les Droites. Et ça, ça doit être une leçon pour nous. La deuxième chose que je veux dire, c'est
que maintenant on rentre dans le collectif.
 
Stéphane PAOLI : Oui, mais là le fait d'avoir été qualifié pour la finale, ça la place dans une autre catégorie maintenant au PS.
 
Non, moi, très franchement, je ne raisonne pas comme ça. Je pense qu'aujourd'hui Ségolène Royal est évidemment une des responsables du Parti Socialiste
comme d'autres qui se sont exprimés. Mais si nous...
 
Raphaëlle BAQUET : Donc elle est une parmi d'autres ?
 
Non, mais si on accepte de dire que la responsabilité n'est pas la sienne mais qu'elle est collective, et moi je le pense, et bien, il faut qu'elle accepte
elle aussi, et je crois qu'elle l'acceptera, d'être autour de la table avec nous pour faire comprendre aux Français encore une fois que ce n'est pas l'individualisme,
la loi du plus fort, qui régiront la société demain, mais que ce sont des valeurs plus... d'humanisme, de solidarité, qui d'ailleurs nous amènent à aller
au-delà même de la Gauche.
 
Thomas HUGUES : Mais excusez-moi, le leader... que je comprenne bien, le leader naturel du PS aujourd'hui, c'est pas Ségolène Royal pour vous ?
 
Moi, je pense que, dans une campagne législative, on a d'abord besoin de se serrer les coudes, hein, et d'avancer tous ensemble. Ensuite, il y a des instances
dans le Parti Socialiste qui nous permettront de travailler, de réfléchir, de voir pourquoi nous avons échoué, de voir pourquoi nous n'avons pas réussi
à convaincre, comment la France qui se ressent quand même fortement "liberté, égalité, fraternité" - c'est quand même quelque chose qui vient de notre
histoire, ce n'est pas venu par hasard -, comment peut-elle choisir aujourd'hui par la crainte peut-être plus la division, le repli sur soi ? Pourquoi
n'avons-nous pas, nous, su - car encore une fois, c'est notre responsabilité - montrer que ces valeurs étaient plus que jamais d'actualité ? Cette responsabilité
est collective, donc on doit être tous autour de la table, et en tout cas c'est ce qu'on va faire pour les législatives, en ayant un programme aussi relativement
précis. Je crois que dans le débat qui a eu lieu, les Français n'ont pas non plus compris, et c'est notre faute, que nos priorités, l'augmentation du pouvoir
d'achat, redonner la priorité au travail, je dis bien au travail et à l'emploi, avoir enfin un plan de rénovation de nos quartiers et du développement
du logement qui soit à la hauteur, que c'étaient nos priorités et les premières mesures.
 
Stéphane PAOLI : Est-ce que la tentation du Centre pour vous maintenant, avec le petit recul, vous apparaît comme une erreur tactique de la part de Ségolène
Royal ?
 
Non, je ne le crois pas. Je pense qu'elle a bien fait de débattre avec François Bayrou. Je crois qu'encore une fois, si nous ramenons la politique à ce
qu'elle devrait ne jamais quitter, c'est-à-dire : quel projet de société ? Comment voulons-nous vivre ensemble avec notre diversité dans la société d'aujourd'hui ?
Nous, en France, nous, porteurs de ces valeurs en Europe pour un autre monde, eh bien, nous devons effectivement nous ouvrir à tous ceux qui partagent
ces valeurs. Et...
 
Raphaëlle BAQUET : Mais est-ce que le PS doit changer d'alliés ? Car jusqu'ici, il s'alliait avec sa Gauche.
 
Le Parti Socialiste, il doit d'abord travailler en son sein de manière collective. Il doit ensuite s'ouvrir à toute la Gauche qui a aussi beaucoup bougé.
Bon, la Gauche, c'est quand même une histoire, une histoire qui a porté le progrès social pendant des années et qui aujourd'hui...
 
Raphaëlle BAQUET : D'accord. Mais une partie de la Gauche a disparu.
 
Oui.
 
Raphaëlle BAQUET : Le PC a disparu.
 
Ben, oui ! Ca, avec ceux qui ne sont pas là, nous ne ferons pas alliance. Mais je veux dire avec tous...
 
Raphaëlle BAQUET : Donc aujourd'hui, votre partenaire, est-ce que ce n'est pas le Centre ?
 
Non, non. Je crois que c'est d'abord - et d'ailleurs le Centre ne l'accepterait pas à juste titre -, c'est d'abord cela, et puis ensuite c'est évidemment
de s'ouvrir à tous ceux qui sont plus proches de nous que d'un autre modèle qu'on peut présenter. Et c'est la raison pour laquelle je pense que ce qu'avait
fait Ségolène Royal, je dirais, allait dans le bon sens. Elle a réuni toute la Gauche finalement, j'entends sur le plan politique, malheureusement pas
suffisamment les Français. Parce qu'encore une fois, nous n'avons pas montré la modernité, la force de nos valeurs. Et je reviens toujours là-dessus parce
que c'est ça quand même un projet de société et l'élection d'un président de la République.
 
Thomas HUGUES : Mais avec quel prolongement là pour les législatives ? Quelles alliances ?
 
Raphaëlle BAQUET : Est-ce que vous êtes opposée à des alliances électorales aux législatives avec le Centre ?
 
Thomas HUGUES : Concrètement.
 
Pour l'instant, nous n'en sommes pas là. Il y aura un premier tour.
 
Raphaëlle BAQUET : C'est dans quatre semaines.
 
Oui. Il y aura... non, mais il y aura un premier tour, hein, avec des candidats qui sont déjà connus et, je pense, qui iront à la bataille. Et puis ensuite,
je pense qu'il faudra regarder circonscription par circonscription. Le choix vient aussi de ceux qui sont au centre aujourd'hui et qui voudront, à un moment
donné, dire...
 
Raphaëlle BAQUET : Il va falloir poser la question à Marielle de Sarnez, hein.
 
Voilà.
 
Stéphane PAOLI : Mais et en dehors des enjeux de tactique qu'on comprend facilement pour une élection de cette importance, vous avez envie de quoi, vous ?
Jusqu'où la Gauche doit-elle aller aujourd'hui ? Et jusqu'où peut-elle s'ouvrir ou pas de votre point de vue ?
 
Moi, je ne me satisfait pas d'un pays qui pense que c'est en ayant peur, en aidant les plus forts à s'en sortir, en laissant sur le côté les autres, en
leur faisant croire que c'est de leur faute parce qu'on n'a pas les mêmes possibilités, on le sait, selon où l'on naît. Et pourtant je n'ai jamais été
pour l'assistance, j'ai toujours été pour le respect. C'est ce que je fais dans ma ville et je crois que les résultats et nos valeurs, je veux dire, qui
sont aujourd'hui partagées par 10% de plus de Lillois qu'auparavant, c'est peut-être aussi le fait que les gens sont prêts à comprendre ça si on les porte
haut. Et moi, ma conviction, c'est que dans le Centre en France, il y a des hommes et des femmes qui, comme nous, pensent qu'on ne s'en sort pas individuellement.
Une société, c'est le respect des règles, le respect des autres, la tolérance et en même temps de la justice. Voilà. Et je crois que Ségolène Royal avait
bien compris ça. Moi, plutôt que dire "un ordre juste", je dis "il n'y a pas d'ordre sans justice". Voilà. Autrement, c'est l'autoritarisme qui s'impose
du haut et ça finit toujours dans la violence, c'est ça qui m'inquiète. Voilà. Et bien, je pense qu'il y a beaucoup d'hommes et de femmes qui, jusqu'à
présent, se retrouvaient, disons, au Centre et qui partagent totalement ce point de vue. Eh bien...
 
Thomas HUGUES : Mais pour être un peu plus concret, dans le programme de François Bayrou, les points de convergence, ils étaient où d'après vous ?
 
Eh bien, d'abord sur la démocratisation de nos institutions. Parce que tout ça est quand même très lié. Faire en sorte qu'il y ait une opposition qui puisse
s'exprimer, qu'on ne soit pas dans une vision autoritaire, faire en sorte qu'il puisse y avoir toutes les... par un peu de proportionnelle, toutes les
tendances dans notre pays, que le Parlement ait un vrai rôle. Et ça, c'est quand même important. Toutes les grandes démocraties ont un Parlement où il
y a des grands débats. Regardez aux États-Unis sur la guerre, regardez Tony Blair actuellement. Nous, nous avons des chambres d'enregistrement d'un côté
ou de l'autre. La démocratie, ce n'est pas cela. Là, c'était un point tout à fait important ; le second, je crois quand même, sur tout ce qui est le travail
et la réussite individuelle. La réussite individuelle passe par des droits collectifs. Si on n'a pas accès à l'éducation, si on ne met pas des moyens différents
selon les enfants que l'on a en face de nous, on n'atteint pas ces objectifs. Donc tout ce qui est formation tout au long de la vie, qui est une nouvelle
façon aujourd'hui de traiter les problèmes de la précarité, de la... du chômage, pour aller vers une progression de chacun dans la vie, là-dessus, nous
avions une vision commune avec François Bayrou. Et je pense que ça fait partie quand même des priorités des Français. Pour le reste, je ne comprends pas
bien ce qu'il veut faire ou ce qu'il voulait faire sur le partage des richesses - chez nous, comme dans le monde, or c'est quand même un élément majeur.
Si les Français sont choqués quand certains patrons partent avec des stock-options importants après avoir mis leur entreprise en difficulté alors qu'on
propose 3 euros d'augmentation à des salariés, c'est parce que là aussi il faut des règles. Des règles, c'est pas seulement du juridisme, c'est, derrière,
de l'équité ; c'est aussi dire aux gens : "Nous vous demandons de respecter les règles mais nous aussi nous le faisons." Voilà. Le dernier point peut-être
que je voudrais dire là-dessus, c'est qu'il ne faut pas sous-estimer les Français. Je veux dire, cette formidable mobilisation, ça montre qu'ils veulent
dire comment ils veulent construire la France et le monde de demain. Je pense que la distance avec la politique s'est beaucoup réduite. Ils ont compris
l'enjeu de construire un projet commun. Seulement ils ont cru, je le crois vraiment, que Nicolas Sarkozy apportait plus de protection et de sécurité en
jouant chacun les uns à côté des autres qu'en jouant collectivement une solidarité, une autre organisation plus juste et donc plus forte de la société.
Voilà. Eh bien, c'est là notre erreur. Elle est importante, hein. Ca veut dire qu'il faut être capable de porter haut les valeurs, de ne pas avoir peur
de les porter. Voilà. De ne pas se dire : "Ah ! Les Français sont individualistes." Non. Ils veulent réussir. Ils veulent le bien de leurs enfants. Et
tant mieux ! Ils veulent bien vivre. Mais leur dire : "Vous ne le ferez pas contre vos voisins. Vous ne le ferez pas contre les étrangers. Vous ne le ferez
pas contre les personnes âgées quand vous êtes jeune ou contre les jeunes quand vous êtes âgé. Bon. Il y a aujourd'hui des nouvelles réponses à apporter.
Il y en avait d'ailleurs dans le programme présidentiel de Ségolène. Peut-être n'avons-nous pas été assez clairs pour pouvoir démontrer la cohérence de
tout ce projet. Parce que c'est, dans le fond, une cohérence.
 
Raphaëlle BAQUET : Est-ce que vous regrettez tout de même qu'aucun dirigeant socialiste n'ait été vu à côté de Ségolène Royal dans ses meetings ?
 
C'est le choix qu'elle a fait. Moi, encore une fois...
 
Raphaëlle BAQUET : Est-ce que c'était une erreur tactique ?
 
Moi, encore une fois, on a trop reproché à Lionel Jospin de s'être laissé porter et de n'avoir pas fait la campagne qui était la sienne. Voilà. Moi, je
pense que dès lors que Ségolène a été choisie, encore une fois elle a été ce que nous savons. Voilà. Et avec... Non, mais c'est vrai, avec aussi une détermination,
une force, des intuitions. Voilà. A partir de là, il fallait respecter. Et nous avons tous respecté le calendrier, la forme de la relation avec les Français
qu'elle souhaitait mettre, les priorités qu'elle voulait afficher, et nous avons tous fait campagne. Je crois, vraiment, tous - alors là, on ne peut rien
se reprocher - en parallèle, à côté, plus près selon ce qu'elle souhaitait. Mais c'est normal, quoi. C'est... Encore une fois, une présidentielle, c'est
le candidat ou la candidate qui choisit. Ca ne me gêne pas personnellement.
 
Stéphane PAOLI : Merci Martine Aubry d'avoir répondu à cette invitation du "Franc Parler".
 
Merci à vous.
 
Stéphane PAOLI : On a compris qu'il y avait quand même un gros travail de reconstru... enfin sinon de reconstruction en tout cas de réflexion au Parti Socialiste
qui commence.
 
Ah, oui ! Réflexion et rénovation, oui.