14 mai 2007

Revue de presse :un regard critique sur les résultats de la Présidenteille

dimanche 13 mai 2007
 
Rebonds
 
Il faut sortir la perdante, mère-tape-dur pour les déviants et Notre-Dame-de-la-compréhension pour les tourments entrepreuneuriaux.
Pour en finir avec Calamity Sego
Par Luc LE VAILLANT
QUOTIDIEN : mardi 8 mai 2007
Par Luc Le Vaillant journaliste à «Libération»
Comme 47 % pour cent des Français, j'ai voté Ségolène Royal au second tour. Et c'est bien la première fois qu'en choisissant le-la candidat-e du PS, je
me suis senti patauger dans une mare d'amertume. A la limite, il ne me fut pas beaucoup plus compliqué de rallier Chirac pour faire obstacle à Le Pen,
tant cette fois la représentante de la gauche a hissé haut le drapeau sécuritaire, chanté fort l'hymne de l'ordre régressif, et tambouriné boum-boum des
discours aussi droitistes en matière économique que ceux de l'ex-ministre de l'Intérieur. D'où le besoin de tourner une page noire de la gauche électorale
en listant les calamités auxquelles avec Royal nous avons eu droit.
1) Calamité pour les valeurs de gauche. Le procès fait à Royal en inconséquence est ridicule. Non seulement, elle a des convictions, mais elles sont bien
ancrées et si elle a su en masquer certaines le temps de la campagne, il suffit de revenir aux origines pour en dépister les invariants. Pour faire court,
Royal a toujours été social-libérale en matière économique et néo-autoritaire dans le registre sociétal. Blairiste et pudibonde, si vous préférez. Ses
inclinations «protectrices», réponses au référendum 2005, n'ont pas pesé lourd quand il s'est agi d'aller draguer le démocrate chrétien. A contrario, la
gauche française a longtemps été égalitaire dans le champ collectif et «libérale» au sens américain, pour ne pas dire libertaire dans ce qui touche la
sphère privée. Les cent propositions négociées entre le parti et sa candidate pouvaient bien tenter l'alliance des contraires, la «femme libre» n'a pas
tardé à envoyer tout ça valser et à en revenir à ses marottes. Le pire, ce fut en matière de sécurité. Une leader de gauche réclamant plus de policiers,
où a-t-on vu jouer ça ? Ici, en France, vieux pays apeuré par ses enfants et ses cités, mais aussi douce nation épargnée par le moindre conflit majeur
depuis deux générations. Surtout, la dame, qui n'en a jamais démordu quant à l'encadrement militaire des jeunes délinquants, décrocha le pompon en condamnant
quasi à la prison à vie les criminels sexuels. Difficile ensuite de reprocher à Sarko ses dérapages génétiques, si c'est pour en rajouter dans le déterminisme,
en liquidant toute possibilité d'évolution, de résilience. Au sortir de cette brillante parade de mère-tape-dur pour les déviants et de Notre-Dame-de-la-compréhension
pour les tourments entrepreneuriaux, la gauche sombre à 47% et, surtout, perd la boule question valeurs. Avant, la gauche, c'était égalité et justice.
Désormais, ce serait ordre juste et sécurité durable. La défaite toujours, le déshonneur en supplément du jour.
2) Calamité pour le PS. Elle est étonnante, cette époque, qui méprise les organisations collectives et sacre les soi-disant rebelles, ces individus du sérail
qui se mettent en dehors pour mieux pleurnicher qu'on ne veut pas d'eux. Ce qui, dans une société émotive, leur permet de déclencher la compassion et de
rafler la mise. Les adhérents à 20 euros aimaient cette historiette bébête de la pauvre bergère méprisée, bottant les fesses des éléphants aux idées moribondes.
En récompense, Royal leur a offert sa démocratie participative, vaste entourloupe pailletée de jérémiades, qui n'a modifié en rien la vision des choses
d'une candidate au corpus d'idées déjà très structuré. Grâce aux sondages, Royal a également pris à la hussarde ce parti d'élus, promettant qu'elle seule
était capable de les maintenir en place. On voit où cela les a menés. Il va falloir aux députés aller à la bataille des législatives derrière une idéologue
très particulière, qui s'est acharnée à tailler en pièces leurs fondamentaux, pour mieux faire siens les principes de l'ennemi. Il va leur falloir suivre
une générale battue qui n'a cessé de les abandonner en rase campagne, tout à ses rêves gaulliens de femme providentielle. DSK ou Fabius auraient-ils fait
mieux ? Pas sûr, mais le mal de tête aurait été moindre. S'il est libéral en économie, DSK reste libertaire en matière de moeurs. Et Fabius a risqué le
suicide politique pour retrouver l'aval des catégories populaires. Quant à la génération montante ralliée à Royal, histoire d'en croquer enfin, à elle
de se mettre au clair avec ses convictions. Les habiletés tactiques (alliance avec le centre ou néogauche plurielle) viendront ensuite.
3) Calamité pour les femmes. Il était assez insupportable d'entendre en permanence la candidate de gauche se présenter «en tant que femme», «en tant que
mère de famille» . Différentialisme, segmentation de la société, affrontement d'un «genre» contre un autre. Cette approche sexiste de la présidentielle
était une mauvaise manière faite aux hommes et, surtout, aux femmes... La stricte égalité entre les sexes, qui ont chacun droit au masculin, au féminin
et à la présidence de la République, ne peut s'accommoder d'une candidate tirant argument de sa nature, quand toute l'ambition de la gauche a toujours
été de lutter contre l'état de... nature. En clair, ce n'est pas parce que c'est une femme et qu'elle dit des choses de droite, qu'elle lève des tabous.
On pourrait plutôt dire qu'elle les «refonde», qu'elle les «rénove», ces tabous de la droite réac de toujours. Sans compter qu'en matière internationale,
rêver de rejoindre Angela Merkel et Hillary Clinton, lors de G7 futurs, est une façon comme une autre de liquider les clivages politiques. Comme si les
dîners de filles pouvaient tenir lieu de vision du monde...
Alors, pour ne pas revivre ça, sortons la perdante. Afin que, demain, si défaite il y a, on n'ait pas en plus le sentiment d'avoir abjuré.