11 mai 2007

La France selon Sarkozy!

jeudi 10 mai 2007
 
De l'anti-chienlit à Johnny
 

La France selon Sarkozy
 

Pour cinq ans, la France aura son visage, cela va la changer. « On m'appelle Sarkozy l'Américain » , se vantait Nicolas Sarkozy lors d'une visite outre-Atlantique,
et aucun président avant lui n'a revendiqué à ce point une influence extérieure. Nicolas Sarkozy, fils et petit-fils d'immigrés hongrois et grec, enfant
des villes fasciné par l'énergie yankee, était le moins classiquement français des prétendants. Renvoyé à ses origines étrangères par Jean-Marie Le Pen,
Sarkozy a pourtant revendiqué sa part de France, démarrant sa campagne au Mont-Saint-Michel et s'avançant sur le terrain miné de l'identité nationale.
Influence des chantres du vieux pays - Max Gallo, Henri Guaino - qui ont rejoint cet atlantiste pro-européen, qui fustigeait chez George Bush « l'arrogance
française » ? Quête identitaire d'un homme qui se vivait comme un « beur hongrois » , un outsider dans une société bloquée ? Ou conversion obligée au roman
national ?
Pour comprendre où nous allons, regardons d'où il vient. De chez nous, malgré l'Amérique ! De l'histoire immédiate de la France des télés, des transistors
et de la pub ! Des années avant de se vendre comme le plus efficace des produits politiques, Nicolas Sarkozy fut le petit garçon sage des paquets de lessive
Bonux - dont son père était le publicitaire ! La France de Nicolas Sarkozy est tissée des rêves d'un enfant des villes, amateur de variétés, grandi dans
les années Pompidou, quand notre pays hésitait entre esprit d'entreprise et réaction autoritaire... Comme aujourd'hui, la crise en plus ! Nicolas Sarkozy
n'apprécie que les vainqueurs, mais il a gagné en revendiquant la parole des vaincus de la « France profonde et silencieuse » . Cette France qui rêve de
jadis et a peur de demain, qui déteste l'impôt et voudrait retrouver des banlieues sûres et moins colorées, et des élèves bien élevés, qui se lèvent quand
le maître entre dans la salle... Sarkozy l'Américain rendra-t-il cette France au présent ?
 
 ANQUETIL ET ARMSTRONG, GAGNER À TOUT PRIX
 
Dans les années 1960, la France du vélo a choisi Poulidor, l'éternel second. Sarkozy est du côté d'Anquetil, l'éternel premier. Evidemment, seule la gagne
est belle ! Etre vainqueur prouve que l'on a raison, quel qu'en soit le prix ! Aujourd'hui, le cycliste amateur Sarkozy roule avec le gentil scandaleux
Richard Virenque... Et est le dernier défenseur de Lance Armstrong, multivainqueur du Tour et plus que soupçonné de dopage ! Le champion américain a l'énergie
et la volonté, ces mots clés du sarkozysme. Souvent, Sarkozy se raconte comme un sportif en compétition, et finit par y croire... Le président est aussi
un enfant.
 
 L ' ANTI-CHIENLIT
 
A-t-il une gueule, ce môme qui manifeste à la tête des antigrévistes ? En 1976, Nicolas lance la contre-attaque contre la chienlit étudiante. Voilà le futur
de la droite ! Elle ne vient pas de nulle part, la charge du nouveau président contre Mai-68, ni le service minimum qu'il promet pour mettre au pas les
syndicats de fonctionnaires... Sarkozy est de droite, grande cuvée, grandi dans le RPR pur et dur des années Chirac. Repéré par « le grand », il sera son
double, avant de devenir son prédateur. Sarkozy a phagocyté l'UMP chiraquienne, comme Chirac avait mis à son service le mouvement gaulliste. Et il a systématisé
les postures chiraquiennes des années 1970-1980, avant les consensus : de droite, et durement, de la revanche idéologique, carrément. Il est allé chercher
la France silencieuse excédée de l'insécurité, de l'immigration et du délitement, et lui a dit ce qu'elle voulait entendre. Cette martingale l'a mené tout
près des frontières du FN, mais lui a permis d'entrer à l'Elysée. A quel prix pour la suite ?
 
« LA FRANCE NE DOIT PAS
AVOIR HONTE »
 
Un petit garçon tient son grand-père par la main, tandis que défile notre armée au 14-Juillet. Benedict Mallah initie le petit Nicolas à l'Histoire, et
aux flonflons de Sambre-et-Meuse. C'est ainsi, dit la légende, que Nicolas serait devenu gaulliste, par et pour son aïeul juif rescapé du nazisme... Estce
pour cela, pour cette part juive heureuse en France, que Sarkozy veut mettre un terme à la repentance, et dit à son pays qu'il n'a pas à rougir de son
passé ? Ou pour flatter l'envie d'oubli d'une France de droite qui ne veut plus connaître son histoire ? Etrangement, le président a embarqué Arno Klarsfeld,
héritier d'une famille vouée à la reconnaissance des crimes de Vichy. Une caution, pour clore les débats sur la colonisation ou l'esclavage, ces pierres
dans le jardin de la mémoire nationale ? Sarkozy, qui s'est fait photographier avec Aimé Césaire, ne pourra pas tricher avec le passé.
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JOHNNY , L ' AMERLOQUE
DE CHEZ NOUS
 
« J'ai tout donné » , lançait Nicolas Sarkozy à la fin de la campagne. Ce n'était pas du Sarko, c'était du Johnny ! « J'ai tout donné » , un documentaire
sur l'idole des jeunes de François Reichenbach, en 1973, dont le jeune Sarko s'est imprégné. Nicolas, gosse des transistors, apprenant par coeur les paroles
du pseudo-rock français... Et aujourd'hui, l'ex-idole soutient l'exgroupie. Qui se ressemble s'assemble ? Johnny, comme Sarko, c'est une imitation franchouille
de l'Amérique, des States en toc et bleu-blanc-rouge, comme si on y était... Croit-on. Le « rêve français », en somme, même si Johnny s'abrite en Suisse.
Mais Sarko et son bouclier fiscal, promis, rendront l'artiste à la France !
 
NETTOYER LES 4000
 
« Pas ici, la nuit, c'est trop dangereux », lui dit le conducteur, alors qu'il fait mine de descendre à la « Cité des 4000 ». En 1998, Sarkozy découvre
une réalité française qu'il ignore, lui, l'enfant de Neuilly. Il accompagne un bus de nuit en banlieue chaude, au coeur des territoires oubliés. C'est
ici, à La Courneuve, que son image basculera en mai 2005, quand il affirmera vouloir « nettoyer au Kärcher » un quartier rongé par les voyous, après la
mort d'un enfant de 11 ans, Sidi Ahmed. Entre-temps Sarkozy aura noué une relation rude et complexe avec les banlieues. Ayant appris la déshérence des
couches populaires, il en a fait l'axe de sa réinvention de la droite : une droite avec le peuple, puisqu'elle va lui rendre la paix. Pourtant, super-speedy,
le sécuritaire, miroir des flics et de la France assiégée, veut aussi accueillir les exclus. Il sera, jure-t-il, l'intégrateur de la France beur, en qui
il croit se reconnaître, lui qui fut un jeune homme si pressé. Il veut acclimater en France la discrimination positive made in USA et accorde à l'islam
une reconnaissance politique. Mais son communautarisme du vivre-ensemble fait long feu. La remontée des violences et ses positions tranchées l'enferment
dans la seule France blanche dont il porte la revanche. Electoralement, cette radicalisation lui a profité. Mais le président Sarkozy va devoir trouver
sa France pour tous.
 
 LA CONQUÊTE DE NEUILLY
 
Les Sarkozy se sont installés au bout de la ville en 1974. Une maman divorcée, ignorée de la bourgeoisie installée. Des incongrus. « Les gens qui habitent
Neuilly sont ceux qui se sont battus pour travailler plus que les autres », dira Sarkozy à Michel Denisot en 1995, célébrant Ali l'épicier marocain, Pascal
le pizzaiolo, Arthur le glacier arménien, Lu le cuisinier chinois... Et lui. L'autre côté de Neuilly ? Il en tirera argument pour justifier sa rage...
Jeune conseiller municipal, il sera sorti de la mairie le jour du mariage de Michel Sardou par un huissier qui l'avait pris pour un simple fan ! Il aura
sa revanche, des années plus tard, célébrant luimême un nouveau mariage du chanteur. Il aura appris. En 1983, il a monté la bourgeoisie contre le vulgaire
Pasqua pour lui voler la mairie ! Sa ville lui offrira une fausse idée de la France, abritée des maux de l'époque ; mais de vrais amis de Jacques Attali
au tandem Clavier-Reno, et puis sa femme : il tombera amoureux de Cécilia le jour où il célébrera son mariage avec Jacques Martin ! Converti aux cigares
par Edouard Balladur, adoubé par les patrons, « frère » d'Arnaud Lagardère et meilleur ami de Martin Bouygues, Nicolas Sarkozy, l'ex-apprenti fleuriste
qui trimait pour payer ses études, est définitivement du bon côté de la bourgeoisie.
 
 Claude Askolovitch
Le Nouvel Observateur