20 mai 2007

vers une nouvelle gauche

Mercredi 16 mai 2007
 
Vers une nouvelle gauche ? le dEbat dans «LibEration»

Le complexe de Janus
Le discours schizophrénique du Parti socialiste lui fait perdre du sens et... l'élection.
Par Michel ONFRAY
Michel Onfray philosophe.
Le Parti socialiste souffre du complexe de Janus, le dieu romain aux deux visages, un mal contracté il y a un quart de siècle au contact de François Mitterrand,
qui fut, dans sa vie privée comme dans sa vie publique et politique, l'homme à double face : vichyste et résistant, décoré de la francisque et dévot du
tombeau de Jaurès, mari de Danièle et père de Mazarine, militant de la rupture avec le capitalisme et président entiché de Bernard Tapie, amateur des romans
de Chardonne le collaborationniste et promoteur des colonnes de Buren, leader laïc socialiste et sauveur de l'école confessionnelle, etc.
Depuis la conversion du militant de gauche en président de la République rattrapé par la rudesse de l'économie de marché en 1983, le Parti socialiste effectue
le grand écart entre un «verbe de gauche»  qui l'oppose à la droite et une «geste libérale»  très proche de celle des adversaires déclarés... Pour les
besoins de la cause, on entretient l'illusion d'une bipartition factice entre droite et gauche quand la réelle ligne de partage se trace entre libéraux
et antilibéraux, un trait qui coupe en deux la droite et la gauche.
Ainsi, le changement qu'on nous propose depuis la fin politique de Mitterrand, douze ans donc, entre Chirac et Jospin deux fois, Sarkozy et Royal une fois,
met en présence deux modalités assez semblables de la gestion libérale du capitalisme européen. Sur l'essentiel, pas de grosses différences, la séparation
s'effectue sur le style, le symbolique et la pensée magique qui affirme de gauche un parti qui le dit, mais le montre peu. Cette schizophrénie fatigue
le peuple de gauche et réjouit les libéraux de tout poil, autrement dit elle blesse et désespère les plus exposés à la brutalité libérale et ravit les
élites. Ce mal socialiste travaille le PS avec une aile droite ­ DSK, Fabius avant 2002 ­ et une aile gauche ­ Emmanuelli, Fabius après 2002... Le parti
parle avec la voix d'un François Hollande qui a le «Verbe de gauche», mais à chaque fois légitime la «geste libérale» ­ de droite donc. Ainsi avec Jospin,
grand privatiseur devant Blum, qui a tourné l'arme vers sa tempe présidentielle en affirmant : «Mon programme n'est pas socialiste.» Cet homme fut le symptôme
trop visible de ce mal socialiste que, pour cette raison, les électeurs ont écarté du second tour.
Le même complexe de Janus a travaillé le parti lors du choix de la candidature avec une cristallisation sur trois noms : DSK, qui veut réconcilier la «parole
de gauche» et la «geste libérale » au profit d'une franche social-démocratie : parole libérale, geste libérale, donc politique de droite ; Fabius nouvelle
manière, qui souhaite résoudre la fracture ontologique du parti au profit de l'aile gauche, un projet dans lequel il est le moins crédible des hommes,
tout son passé politique témoignant de son rôle majeur dans le creusement de ce sillon schizophrénique pendant plus de vingt ans ; et Ségolène Royal, qui
se proposait d'amplifier la fracture, de creuser encore l'abîme et d'être à la fois la «parole» et la «geste de gauche» avec Chevènement à ses côtés, et
en même temps et la «parole de gauche» et la «geste libérale» avec Cohn-Bendit en héros, aux côtés des Kouchner, Rocard et autres vieux briscards de la
gauche de droite.
Cette schizophrénie affichée de Ségolène Royal a donc donné, pendant le seul premier tour, un éloge de la Marseillaise, du drapeau tricolore, de l'ordre
juste, de la maison de correction comme traitement des questions sociales, de la trilogie Travail, Famille, Patrie pour séduire les tenants de Chevènement
et, simultanément, un éloge de Blair, un désir affiché de supprimer la carte scolaire, une panoplie faite pour séduire les bobos ­ féminitude, écologitude,
modernitude, centritude... ­ pour disposer dans son escarcelle des dévots de Cohn-Bendit.
Et puis, entre les deux tours, il y eut par pur opportunisme politique, et au vu de l'arithmétique du premier tour, un véritable ralliement de Ségolène
Royal à François Bayrou, homme de droite s'il en est un depuis trente ans, mais qui, par tactique électorale et personnelle, avait joué la carte du ni
droite ni gauche : proposition de partager son temps de parole avec lui, médiatisation d'une réconciliation faite sur le seul programme «Tout sauf Sarkozy»,
annonce qu'il pourrait être son Premier ministre, qu'elle envisageait de gouverner avec le centre et même de nommer des ministres UDF... Vérités cyniques,
mais fautes politiques majeures pour un véritable électeur de gauche.
Ce ralliement fut un coup de couteau dans le dos de ceux qui portent la parole de gauche et se réclament de sa geste, au PS comme ailleurs dans toute la
gauche, y compris antilibérale. Dès lors, aux abois, le PS, par la seule voix de Royal, annonçait une nécessaire refondation, mais avec le centre et la
droite. La gauche du PS et la gauche de gauche, ne pesant rien électoralement, étaient ainsi purement et simplement jetées aux poubelles de l'histoire.
Royal paya sa dette dans la monnaie symbolique du «verbe de gauche» en meeting ­ merci Arlette, merci Olivier, merci Dominique, etc. ­, offrit des missions
­ à Bové par exemple ­ et tourna le dos aux électeurs de ceux-là en croyant que flatter dans le sens du poil les leaders de ces courants suffirait pour
se mettre dans la poche la voix de leurs électeurs... Puis elle avoue sans fausse honte son ralliement à la «geste libérale» de Bayrou. Mauvais calculs...
On connaît la suite.
La solution passe par la refondation des gauches : une parole et une geste réconciliées, la fin de la schizophrénie. Ce qui suppose une gauche gouvernementale
plus soucieuse d'idéaux socialistes, de visions du monde nouvelles, d'utopies alternatives, de pensées libertaires inédites, en même temps qu'une gauche
contestataire plus soucieuse de gestion, de travail en commun ­ une démarche que Foucault, Derrida et Bourdieu en leurs temps n'avaient pas exclue.
Le PCF, qui dans cette perspective tient la meilleure place par son souci des idéaux et sa capacité à gérer, gagnerait à changer de génération, à mettre
à la retraite idéologique les cadres qui travaillaient déjà avec Georges Marchais, et en ont conservé quelques mauvaises habitudes, pour pousser en avant
une jeune génération et un programme moderne, puis peser à gauche sur un Parti socialiste très tenté par une résolution de sa schizophrénie au seul profit
d'un centre social-démocrate. Au travail !