20 mai 2007

Les raisons d'un échec

Mercredi 16 mai 2007
 
Les raisons d'un échec
Par Alain DUHAMEL
Ségolène Royal s'est battue vaillamment jusqu'au bout. Tout au long de cette éprouvante et interminable campagne, commencée pour elle dès les primaires
socialistes, elle a démontré des qualités évidentes de caractère, de résistance, d'audace, parfois d'intuition. Elle a manifesté une confiance en elle
prodigieuse, une combativité indestructible et même une forme de charisme atypique, étrange mais impressionnant. Elle a suscité chez beaucoup d'électeurs
de gauche une ferveur quasi religieuse, submergeant des foules admiratives, bien qu'elle soit piètre oratrice. Elle-même, comme magnétisée par cette adulation,
y puisait une force et une assurance supplémentaires, dervichant littéralement au-dessus de la mêlée politique. C'est (pour certains) une surprise : elle
a fait grande impression.
Son échec n'en apparaît que plus cruel et cependant logique. Non pas que les circonstances lui aient été contraires : le souvenir de 2002 tétanisait, infantilisait
mais subordonnait à la candidate socialiste l'électorat de la gauche antilibérale et de l'extrême gauche. A gauche, en réalité, il n'y avait qu'elle. En
face, Sarkozy, adversaire certes des plus redoutables, n'en contribuait pas moins par son style, son image, son bilan et ses angles d'attaque à mobiliser
et à fédérer toute la gauche derrière la dame de Melle. Principal ministre de gouvernements impopulaires, il risquait de surcroît d'apparaître comme le
sortant. Le surgissement impromptu de François Bayrou offrait par-dessus le marché une zone supplémentaire de manoeuvre. Enfin, sondages et médias, friands
de nouveautés ­ une femme, jolie et intelligente de surcroît, quelle aubaine ! ­, avides d'un duel Royal-Sarkozy, avaient tout fait pour assurer sa promotion.
La partie était donc très jouable. Ségolène Royal pouvait gagner, même si au départ les observateurs les plus chevronnés étaient les plus sceptiques. 
Malheureusement pour la gauche, malheureusement pour Ségolène Royal elle-même, la présidente de la région Poitou-Charentes ne possédait pas les qualités
requises pour une épreuve aussi intraitable. Elle resplendissait certes des dons les plus variés, mais au total elle avait beaucoup plus le profil d'un
challenger original que d'une présidentiable convaincante. A l'issue de plus d'un an d'efforts homériques, elle est apparue en chef d'opposition intrépide
davantage qu'en chef d'Etat naturel. Elle n'a démontré ni l'expérience, ni la culture, ni l'envergure d'un président de la République potentiel. Elle a
mené une campagne acharnée et baroque, inventive et hétérodoxe, mais décidément impressionniste, imprécise et flottante.  
Face au terrible Nicolas Sarkozy, elle avait l'air de mener le combat d'un amateur séduisant face à un professionnel implacable. Il suffit d'ailleurs de
comparer leurs images respectives six mois avant le vote, puis à la veille du scrutin. A la fin de l'automne 2006, les électeurs situaient à égalité leurs
qualités et leurs défauts respectifs. Au printemps, après un semestre d'émissions, d'interviews, de meetings, donc d'exposition permanente et de danger
constant, le président de l'UMP avait pris l'ascendant de façon irrésistible, avant même que les citoyens se soient rendus aux urnes. Le diagnostic a précédé
le vote. 
Ségolène Royal, toute populaire, déterminée et intéressante qu'elle soit, a multiplié les erreurs. Certaines apparaissent prosaïques, mais n'en ont pas
moins pesé lourd. L'organisation personnelle de Ségolène Royal, son staff, son état-major, manquant d'expérience, d'homogénéité et de poids, a sans cesse
péché par amateurisme. Les relations de son équipe avec le PS n'ont cessé d'être exécrables, ce qui était aussi nuisible que paradoxal. En humiliant délibérément
les «éléphants» ­ Ségolène Royal est rancunière ­, elle a rendu plus difficile l'indispensable mobilisation. Obnubilée par les succès initiaux de sa «démocratie
de participation», elle a voulu à tout prix poursuivre jusqu'à la mi-février un dialogue devenu stérile avec les sympathisants, perdant ainsi un mois plein
(à partir de l'entrée en lice tonitruante de Nicolas Sarkozy le 14 janvier) à un moment clé. Elle a très mal géré des journalistes qu'à l'origine elle
fascinait souvent. Sa pratique et sa mécanique n'ont ainsi cessé de hoqueter.
I
l y a plus grave : Ségolène Royal a donné, durant la phase la plus intense de la campagne, un sentiment constant et inconfortable d'approximations, voire
de contradictions sur le fond. Elle n'était pas la seule dans ce cas, mais chez elle cela se voyait beaucoup. Malheureusement, les exemples abondent. Plus
: elle s'est largement laissé imposer la thématique de Sarkozy. Sur le terrain de l'ordre, de l'autorité, de l'immigration, de la sécurité, elle durcissait
ses positions sans jamais pouvoir rivaliser avec le ministre de l'Intérieur. Sur la fiscalité, les retraites, le nucléaire, la dette, elle était lacunaire
et cela se voyait. Son projet présidentiel est demeuré invisible. Enfin, durant les toutes dernières semaines, elle a péché par opportunisme fracassant,
traitant subitement les centristes en alliés, les flattant, les cajolant après les avoir longtemps fustigés et étrillés comme des adversaires. Pire : durant
le débat télévisé de l'entre deux tour, elle qui avait su incarner une féminité rassurante, maternelle, apaisante, voilà qu'elle est apparue vindicative,
colérique et dure. Junon muette en Clytemnestre, et Nicolas Sarkozy, théâtre allemand patient et courtois, n'avait plus qu'à savourer ce masque qui tombait.