24 mai 2007

Impot: une réforme? non une Révolution!

Lundi 21 mai 2007
 
La rigueur budgétaire attendra
 

Impôts : une réforme ? Non, une révolution
La baisse des droits de succession et le bouclier fiscal, qui plafonne les impôts à 50 % des revenus, visent à retenir les riches, candidats à l'exil
 

Pauvre Mme Meyer ! Soixante-huit ans d'une vie discrète, et voilà l'héritière des Galeries Lafayette projetée au coeur du débat télévisé entre Ségolène
Royal et Nicolas Sarkozy. Devant 20 millions de téléspectateurs, la candidate socialiste a stigmatisé une « riche héritière » qui a touché « un chèque
de 7 millions d'euros » du fisc. Un remboursement au titre du bouclier fiscal, qui limite les impôts à 60 % des revenus d'un contribuable. « C'est la conséquence
de ce que vous avez fait voter » , a accusé Royal. « Non, parce que, moi, ce que je propose, c'est pire » , lui a répondu ironique Sarkozy. Le nom de Léone
Meyer n'a pas été cité lors du débat, mais la petite-fille du fondateur des Galeries est devenue bien malgré elle un symbole. Pour la gauche, il est difficile
d'accepter que Bercy reverse l'équivalent de 450 années de smic à un seul contribuable ! Pour la droite, cette femme, qui a vendu ses actions l'an dernier
pour un peu plus de 900 millions d'euros, a déjà payé 27 % d'impôt sur les plus-values ! Dans ce débat, Nicolas Sarkozy a choisi son camp. Il va lancer
une petite révolution fiscale et promet 15 milliards d'euros de baisse d'impôts pour créer un « choc » : avec, dès cet été, l'exonération des heures supplémentaires,
la déduction des intérêts d'emprunt immobilier et la baisse des droits de succession, puis à la rentrée le bouclier fiscal. Influencé par la pensée libérale,
le nouveau président reprend à son compte le credo selon lequel il vaut mieux laisser plus d'argent aux riches. En le dépensant et en l'investissant, ils
feront plus et mieux pour la croissance que l'Etat :« On a besoin de gens qui créent des richesses, et pas simplement de les faire partir pour enrichir
les autres pays. » Selon l'économiste Christian Saint-Etienne, auteur d'un rapport pour le Conseil d'Analyse économique, 10 000 chefs d'entreprise ont
quitté le pays avec leur argent en quinze ans. Le gouvernement aimerait les faire revenir.
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La mesure la plus politique de ce plan, c'est le bouclier fiscal, qu'il veut abaisser à 50 % : « Nul en France ne doit se voir prélever plus de la moitié
de ce qu'il a gagné dans l'année . Au fond, on travaillerait du 1 er janvier au 30 juin pour l'Etat , et à partir du 1 er juillet jusqu'au 31 décembre
pour sa famille. Cela me semble raisonnable » , a-t-il expliqué lors du débat télévisé. La réforme de Dominique de Villepin, qui s'applique cette année,
plafonne le total des impôts directs ( IRPP, ISF, taxe d'habitation et taxes foncières ) à 60 % des revenus. Mais, cette réforme, déjà vivement critiquée
à gauche, ne satisfait pas les experts, car aux 60 % il faut ajouter les prélèvements sociaux ( CSG et CRDS ). L'imposition totale flirte donc aujourd'hui
avec le seuil de 70 % des revenus. En Allemagne, la question a été tranchée, il y a dix ans, lorsque la Cour de Karlsruhe a jugé anticonstitutionnel qu'un
contribuable consacre plus de 50 % de ses revenus aux impôts. C'est l'esprit du bouclier fiscal version Sarkozy. Outre l'impôt sur le revenu, il inclurait
aussi les prélèvements sociaux pour respecter ce seuil de 50 %. Et l'ISF ? Les réformes votées depuis deux ans l'ont déjà considérablement réduit pour
les dirigeants de sociétés ou les actionnaires familiaux d'entreprises, en leur offrant un abattement de 75 % sur la valeur de leurs parts. Le bouclier
fiscal fera d'autres heureux. Premiers bénéficiaires : les Français disposant d'un patrimoine important par rapport à leurs revenus, comme les désormais
célèbres retraités de l'île de Ré, qui vivent avec une pension limitée dans une maison qui vaut très cher. Seconde catégorie de favorisés : les très grosses
fortunes. En revanche, pour la plupart des cadres, propriétaires de leur appartement et d'un portefeuille d'actions, avec un patrimoine de 1 à 2 millions
d'euros, les nouvelles règles du bouclier fiscal ne changeraient rien.
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Cette mesure, qui met « l'argent des riches » au coeur du projet fiscal, Sarkozy l'a imposée malgré les réserves d'une partie de ses experts. En janvier,
les députés UMP Pierre Méhaignerie et Gilles Carrez, respectivement président et rapporteur de la commission des Finances, affirmaient : « Le redressement
des comptes publics est la priorité absolue. » La baisse des impôts pouvait attendre. Et M. Carrez expliquait même qu'il ne fallait pas prendre en compte
la CSG pour le calcul du bouclier fiscal. Il ne jugeait pas prudent de réduire les recettes de l'Etat alors que le budget a encore affiché l'an dernier
un déficit énorme de 36 milliards d'euros. Changement de cap. Aujourd'hui, ils assurent qu' « il est possible d'opérer une pause dans la réduction des
déficits » . Sarkozy, appuyé par certains conseillers, comme sa plume, Henri Guaino, a en effet fixé la ligne : « Ce qui compte, c'est le résultat en fin
de quinquennat . » Mieux, le président maintient son objectif, pourtant peu réaliste, d'une baisse de 68 milliards des prélèvements en dix ans. Au risque
d'un désaccord avec Bruxelles. Joaquín Almunia, le commissaire européen aux Affaires économiques, a rappelé à la France les vertus de la discipline budgétaire
la semaine dernière. Pas sûr que Sarkozy ait la même conception de la vertu.
 
 Thierry Philippon
Le Nouvel Observateur