20 mai 2007

le triptique de Sarkozy:Argent, Réussite et peoplisation!

Dimanche 20 mai 2007
 

 
La dérive « jet-set » du « candidat du peuple »...
Sarkozy et l'argent
Est-ce sa fascination pour la réussite ou l'influence de Cécilia ? Maire de Neuilly, avocat d'affaires ami des grands patrons, ministre menant train de
vie de chef d'Etat, le nouveau président n'a jamais fait mystère de son goût du luxe. Un récit d'Hervé Algalarrondo
 

Deux mariages, quatre témoins. L'évolution du rapport de Nicolas Sarkozy à l'argent est inscrite dans son histoire conjugale. 1982 : à 27 ans, un modeste
conseiller municipal de Neuilly épouse en premières noces Marie-Dominique Culioli. Qui prend-il comme témoins ? Son premier mentor et son premier bras
droit : Charles Pasqua et Brice Hortefeux. Le futur président de la République sacrifie déjà tout à sa passion dévorante, la politique. Même son activité
professionnelle - avocat, il commence par tâter du pénal - en pâtit. 1996 : à 41 ans, un ancien ministre du Budget devenu un avocat d'affaires en vue épouse
en secondes noces Cécilia Ciganer-Albeniz. Qui choisit-il comme témoins ? Martin Bouygues et Bernard Arnault. Le premier est depuis longtemps son ami.
Mais, comme aux cartes, c'est la paire qui fait sens : Nicolas Sarkozy a choisi pour l'entourer ce jour-là deux grands patrons. Son premier mariage était
100 % politique ; le second, 100 % CAC 40.
L'escapade maltaise du nouveau président, sponsorisée par un autre grand entrepreneur français, Vincent Bolloré, est venue confirmer que « le candidat
du peuple » , comme il s'est présenté à la fin de sa campagne électorale, ne dédaignait pas l'aristocratie financière. A côté de la politique, qui reste
la passion de sa vie, Nicolas Sarkozy s'est découvert chemin faisant une seconde maîtresse. L'argent ? Oui, mais pas directement. Ce qui fascine avant
tout le nouveau président, c'est la réussite. Il l'a proclamé dès son annonce de candidature : « Je veux réconcilier les Français avec la réussite . »
La réussite sous toutes ses formes, dans tous les domaines. « Il est tout autant épaté par Richard Virenque que par Bernard Arnault », assure un député
UMP. De là le goût irrépressible de Sarkozy pour les people : sportifs, chanteurs, comédiens, grands patrons, qui- conque réussit a vocation à devenir
son ami. Etre pendant de nombreuses années maire de Neuilly lui a permis de rencontrer nombre de stars. Mais ce culte de la réussite vient de plus loin
: jeune, le futur président étudiait seul dans sa chambre les biographies des célébrités pour comprendre les secrets de leur succès.
 
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Son sport favori est donc le vélo. « Le plus beau chant du monde , aime-t-il à dire , c'est le frottement des boyaux contre l'asphalte . » Mais il n'a
jamais partagé le tropisme hexagonal pour Poulidor, l'éternel second qui n'a jamais porté le maillot jaune du Tour de France. Anglo-saxon si ce n'est dans
les gènes du moins dans l'âme, il lui a tout de suite préféré Anquetil. Au cours de cette campagne, « le candidat du peuple » a exprimé une compassion
nouvelle pour « les accidentés de la vie » . En réalité, il n'aime que les winners . Totalement. Sans réserve : « Je ne suis jamais arrivé à lui faire
dire du mal de Lance Armstrong, poursuit le même député UMP . Malgré les rumeurs répétées de dopage, il continue de le défendre . Pour lui, un mec qui
a gagné sept fois le Tour de France, c'est total respect . » Si Sarkozy a rapidement cessé d'être avocat pénaliste, c'est parce que les héros des faits
divers qu'il visitait en prison lui sont apparus des loosers . Aucun intérêt, d'autant que le pénal n'est guère lucratif !
Cette glorification de la réussite n'est pas sans lien avec une jeunesse déclassée. « Humiliée » même, à l'en croire. Ses frères, Guillaume et François,
n'ont pas les mêmes souvenirs. Sa mère, Andrée, non plus. Qu'importe ! Le père, Pal, un Hongrois fantasque qui a délaissé sa petite famille, oublie souvent
de payer la pension alimentaire. Alors même qu'il fait fortune dans la publicité. Le jeune Nicolas enrage de voir sa mère, secrétaire, travailler dur le
soir pour devenir avocate. Ce n'est pas la misère, mais pas davantage l'opulence. Le problème vient de ce que les Sarkozy déménagent à Neuilly, dans le
« quartier pauvre » , précise un vieil ami, et qu'ils sont confrontés à beaucoup plus riches qu'eux.
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Guillaume et François n'en n'ont cure. Mais Nicolas n'ose pas inviter ses camarades chez lui. Un souvenir le hante : le saumon fumé sous cellophane acheté
au Prisunic sur lequel il tombait quand il ouvrait le réfrigérateur familial. Chez ses amis, le saumon fumé venait des meilleurs traiteurs de la ville.
Classe contre classe, saumon fumé contre saumon fumé. Selon « le Point », Nicolas Sarkozy a dîné en compagnie de ses proches chez Kaspia après son débat
télévisé avec Ségolène Royal, le 2 mai. Nul doute qu'il a
trouvé là le saumon de ses rêves, et même davantage : la spécialité maison est le caviar...
A 20 ans, à Neuilly, Sarkozy en rajoute dans le côté peuple avec ses copains fils à papa : « Nous, on était plutôt branchés Stones et décadents , se souvient
l'un d'entre eux . Lui, il arrivait avec son coffret de disques de Serge Lama. » Déjà ce goût pour la provoc : « Il n'avait pas envie de singer la grande
bourgeoisie . » Il se démarque, manière de montrer qu'il n'aime pas les héritiers : « Pour lui, un fils de famille est alors un quasi-dégénéré . »
A 30 ans, déjà maire de Neuilly, Sarkozy ressemble encore à l'adolescent qu'il a été, évoquant volontiers ses problèmes d'argent. Il précise ainsi un jour
acheter ses chemises par lots grâce à une combine : « Je n'ai pas les moyens d'aller dans les boutiques de Neuilly. » Bientôt, Cécilia apparaît dans le
paysage. Il s'installe avec elle. Il avoue alors avoir besoin de gagner « 100 000 francs par mois », somme rondelette à l'époque. 100 000 francs pour tenir
son rang avec Cécilia, 100 000 francs pour payer une pension alimentaire à sa première femme, qui élève leurs deux fils. En ce début des années 1990, il
se multiplie auprès de ses deux grands hommes de l'heure, Jacques Chirac et Edouard Balladur, tout en n'oubliant pas sa carrière d'avocat : il ne fait
plus que du commercial.
C'est à 40 ans, à Bercy, alors qu'il est ministre du Budget, qu'il entre vraiment de plain-pied dans le monde de l'argent. Nicolas et Cécilia commencent
à passer leurs week-ends à Deauville, à l'hôtel Normandy, et leurs vacances à La Baule, à l'hôtel Hermitage. Deux fleurons du groupe Barrière, devenu depuis
propriétaire du Fouquet's, où Sarkozy a invité ses amis à fêter sa victoire le soir du second tour. Cette confidence d'Andrée Sarkozy, la mère, au milieu
des années 1990 : « Avant Cécilia , Nicolas ne fréquentait pas tous ces palaces... »
La faute à Cécilia ? Dans la galaxie UMP, beaucoup mettent la séquence nouveau riche du président fraîchement élu au débit de sa femme. « C'est signé Cécilia
. Elle a choisi le Fouquet's et les invités du Fouquet's , une pléïade de patrons, s'irrite un ministre sortant : depuis toujours, l'un de ses rôles auprès
de son mari est d'organiser les fêtes . Quant à l'aller-retour à Malte, elle a dû concocter ça avec Bolloré : elle a toujours tiré Nicolas du côté du fric.
» Le luxe du déplacement a d'autant plus choqué que Sarkozy avait annoncé son intention d'effectuer une « retraite » pour « habiter la fonction » de président.
D'aucuns en avaient conclu qu'il allait passer quelques jours seul dans un monastère... L'entourage de Sarkozy dément cette interprétation. « Il a toujours
prévu de passer quelques jours en famille . » Un député UMP a une autre version : « Depuis un an, Nicolas court après deux objectifs. Etre élu président
: c'est fait. Reconquérir complètement Cécilia : c'est apparemment plus dur. Elle a souvent été absente pendant la campagne. Au départ , Nicolas devait
s'isoler . Au dernier moment, Cécilia s'est résolue à l'accompagner . Et la prétendue retraite est devenue ce que l'on sait... »
Que le voyage à Malte ait été planifié ou improvisé, il est injuste d'accuser la seule Cécilia de la dérive jet-set de son mari. Car celui-ci n'a jamais
eu la réussite honteuse. Pour Sarkozy, l'argent doit très normalement récompenser la réussite. En particulier la sienne. Au fil des années, il s'est souvent
plaint devant les journalistes qu'un ministre important gagne beaucoup moins d'argent qu'un grand patron. Il est d'autant plus sensible à cette différence
de rémunération qu'à plusieurs reprises il a failli céder à la tentation du privé. Une première fois en 1995, après la défaite d'Edouard Balladur, qu'il
avait soutenu : son ami Martin Bouygues lui offre alors d'intégrer son groupe. Une deuxième fois en 1999, après son propre échec aux européennes. A chaque
fois, Cécilia le pousse à sauter le pas ; à chaque fois, son obsession présidentielle est la plus forte. Mais, en choisissant de rester en politique, il
n'a jamais prétendu faire voeu de pauvreté. Lui n'a jamais été l'apôtre d'un Etat modeste.
Depuis 2002, au ministère de l'Intérieur comme au ministère des Finances, son train de vie a été quasiment présidentiel. A son arrivée à Bercy, l' « affaire
des écrans plasma » défraie la chronique : Cécilia dote chaque pièce de l'appartement de fonction de télés dernier cri. Quelle que soit la distance, Nicolas
Sarkozy s'est toujours déplacé depuis 2002 en avion affrété par le gouvernement. Même pour aller à Lille ou à Rouen. Il ne supporte pas d'atten- dre ne
serait-ce qu'une minute. Il ne se conforme pas aux horaires. Il les fixe. Ce qui est en soi un luxe. Même débauche de moyens en matière de sécurité. Il
aime être entouré d'une noria de gardes du corps. Officiellement, comme ministre de l'Intérieur, il s'est conformé aux desiderata de ses services. Mais
Dominique de Villepin, lors de son passage Place-Bauveau, a considérablement allégé le dispositif...
Désormais, l'argent n'est plus un problème pour Nicolas Sarkozy : il s'habille chez Christian Dior. Après le gouvernement Balladur, il est devenu l'avocat
d'affaires des plus grands chefs d'entreprise : celui de ses deux témoins de mariage, Martin Bouygues et Bernard Arnault, notamment. En 1997, il a acheté
dans des conditions controversées un appartement dans l'île de la Jatte, à Neuilly, dont la revente récente lui permet d'afficher un patrimoine coquet
: plus de 2 millions d'euros. Le yacht de Bolloré n'est pas le premier où il séjourne. L'été 2005, il a passé quelques jours sur le bateau de Martin Bouygues,
au large de la Sardaigne. Sarkozy se sent si bien avec ses potes patrons qu'il arrive à conjuguer les contraires : cultiver
à la fois l'amitié de Martin Bouygues et celle de Vincent Bolloré, alors que les deux hommes se détestent. En 1997, le second a lancé un raid inamical
contre le groupe Bouygues pour tenter de récupérer ses activités de téléphonie mobile.
Le premier, François Bayrou a dénoncé, pendant la campagne présidentielle, la « promiscuité » entre Nicplas Sarkozy et les patrons. Ce que le candidat
UMP a aussitôt mis au compte de son « amertume » . Après l'épisode maltais, le leader centriste a une nouvelle fois fustigé sur RTL cette « proximité extraordinaire,
étalée , affichée , avec les puissances d'argent , et notamment les puissances d'argent qui tiennent les médias ». Le nouveau président ne risque-t-il
pas d'être le prisonnier de ses amis milliardaires ? L'accusation choque les proches de Sarkozy.
« En ne se cachant pas, il se prémunit contre le risque, souligne l'un d'entre eux . Prenez Bolloré : en invitant Nicolas sur son yacht, il s'est privé
de tout éventuel coup de pouce de l'Etat dans les cinq ans qui viennent. S'il y avait le moindre soupçon , vous imaginez les manchettes des journaux...
»
Il est pourtant arrivé à Sarkozy de rembourser des libéralités... Au début des années 1990, avant les lois sur le financement des partis, il empruntait,
comme nombre d'hommes politiques de l'époque, des avions appartenant à des entreprises pour ses déplacements militants. En clair, il voyageait sur Air-Bouygues.
Or il est arrivé au jeune secrétaire national du RPR qu'il était alors d'aller au 20-heures de TF 1 pour dénoncer les mauvais coups contre les télés privées
qu'étaient supposés préparer les gouvernements socialistes. Plus récemment, c'est un ami patron qui n'a pas mégoté sur les remerciements. Lors de son dernier
passage à Bercy, Sarkozy s'est transformé en avocat d'affaires pour régler la succession de Jean-Luc Lagardère. Depuis, son fils, Arnaud, parle de « Nicolas
» comme de son « frère » . Or le groupe Hachette qu'il dirige a été de loin le groupe le plus partial, le plus favorable au candidat UMP pendant la campagne,
notamment à travers « Paris Match » et « le JDD », qui dimanche dernier a été jusqu'à censurer un article assurant que Cécilia n'avait pas voté le 6 mai.
 
Avec le temps, Sarkozy est devenu au moins aussi sensible à l'argent qu'à la réussite. D'où sans doute sa mansuétude envers la délinquance en col blanc.
Autant il prône une répression sans faille envers les auteurs de crimes contre les personnes, autant il banalise les délits financiers. Il s'affiche ainsi
sans complexe aux côtés de Patrick Balkany, longtemps en délicatesse avec la justice, ou d'Alain Carignon, condamné pour corruption. Une attitude qui évoque
celle de François Mitterrand, qui ne lâchait pas ses amis dans la tourmente. Mais une attitude qui prend un tour étrange devant sa condamnation sans appel
du fraudeur à l'origine des incidents de la gare du Nord pendant la campagne électorale. Très véhément, il n'hésita pas alors à accuser la gauche de «
faillite morale » pour avoir concentré ses tirs sur le comportement des forces de l'ordre. Bel exemple de deux poids, deux mesures : le nouveau président
est beaucoup, beaucoup plus sévère avec la fraude quand elle est le fait d'immigrés en situation plus ou moins régulière que lorsqu'elle est le fait de
citoyens plus fortunés.
Peut-être parce qu'il était soupçonné d'être en voie de « sarkozysation », Alain Finkielkraut a été le plus définitif dans la condamnation du voyage à
Malte. « Pendant trois jours, il nous a fait honte, a écrit le philosophe dans " le Monde" . On ne peut pas se réclamer du général de Gaulle et se comporter
comme Silvio Berlusconi. » Il est vrai que Sarkozy n'a pas le même rapport à l'argent que le fondateur de la V e République : celuici remboursait l'Elysée,
sur une base forfaitaire, quand il invitait à déjeuner le dimanche les membres de sa famille. Il est non moins vrai que le comportement de Sarkozy évoque
celui des chefs d'Etat et de gouvernement étrangers ( voir encadré ) . Mais tranche-t-il véritablement avec celui de ses prédécesseurs à l'Elysée ?
Avant d'être élu président, Jacques Chirac confiait : « Là où de Gaulle dépensait 10 francs, Giscard en dépendait 100, et Mitterrand 1 000. » Au vu de
l'augmentation du budget de l'Elysée depuis 1995, il n'a pas mis un terme à cette inflation. Chirac a fait pire : en acceptant de s'installer au terme
de son mandat, fût-ce à titre provisoire, dans un appartement de la famille Hariri, il jette le soupçon sur toute sa politique libanaise ( voir encadré
) . La vraie « rupture », c'est que Nicolas Sarkozy est sans complexe. Avoir de l'argent, afficher sa complicité avec les puissances d'argent ne lui pose
aucun problème. Il se comporte en parvenu ? Mais il est si heureux d'être parvenu à l'Elysée ! Vu les sondages, il n'est pas sûr que les Français lui tiennent
rigueur de ses frasques. Avis aux âmes sensibles : le nouveau président n'est pas près de s'excuser d'avoir gagné.
 
 Hervé Algalarrondo
Le Nouvel Observateur