15 mars 2007

Revue de presse:Une déclaration d'amour au moment de partir!

Lundi 12 mars 2007
 
Une déclaration d'amour au moment de partir, par Dominique Dhombres
 
LE MONDE | 12.03.07 | 14h17
 
Alors, émus ? C'était le but, évidemment. Il ne pouvait pas y avoir de surprise sur le fond. Restait la manière. Et, dans ce domaine, le coup de la déclaration
d'amour, c'est très fort. C'est sans risque aussi. Dans la vie réelle, la personne à laquelle s'adresse une déclaration de ce genre peut fort bien répondre
par la négative. Face à la caméra, Jacques Chirac ne s'exposait aucunement à un tel danger. Et pourtant, la démarche elle-même est pour le moins inhabituelle.
 
"Pas un instant, vous n'avez cessé d'habiter mon coeur et mon esprit. Pas une minute, je n'ai cessé d'agir pour servir cette France magnifique, cette France
que j'aime autant que je vous aime", a-t-il dit. La distinction, voire l'opposition, entre la France (éternelle) et les Français (changeants) était une
fleur de rhétorique chère au général de Gaulle. On remarquera que, cette fois, ils sont sur le même plan. Le tout était annoncé par un mouvement de mâchoire
et un chat dans la gorge fort opportun.
 
L'émotion, comme on sait, est contagieuse. Cet homme-là nous aime donc et nous le fait savoir au moment de prendre congé. Il n'a pas cessé un instant de
penser à nous. Pas un instant, vraiment ? Il y aurait de la mesquinerie à accueillir cette déclaration par de la moquerie. C'était le but aussi, d'ailleurs.
Ségolène Royal a parlé de "dignité". François Bayrou a "tiré son chapeau" à l'intéressé. Le départ à la retraite a ceci de commun avec le trépas qu'il
exclut tout propos négatif. Des morts, comme on sait, on ne dit jamais que du bien. Alors, pensez, si le futur retraité annonce au personnel de l'entreprise
rassemblé pour l'occasion qu'il les aime tous ! A 74 ans ! On admirera l'habileté du procédé. Même l'esprit le plus chagrin se gardera, ce jour-là, de
dénigrer le sortant.
 
Seul Jean-Marie Le Pen a trouvé le moyen de dire que Jacques Chirac avait été le plus mauvais président de toute l'histoire de France. Même George Bush,
auquel la déclaration d'amour n'était pourtant pas adressée, a salué l'événement en termes choisis. Il était cependant visé, d'une certaine façon, par
la dénonciation du "choc des civilisations" à laquelle s'est livré le président français. Nicolas Sarkozy, peut-être ciblé, lui aussi, comme un des tenants
de l'"extrémisme", a choisi prudemment de ne rien dire. L'événement était attendu, et tout l'art de l'orateur a consisté à le rendre singulier et intéressant.
 
Un mystère demeure : comment a-t-on fait pour donner de légères ondulations au drapeau français qui occupait quasiment la totalité de l'écran derrière le
président ? Ce détail montre que rien n'a été laissé au hasard. Cette déclaration d'amour finale était tout sauf improvisée.
 
Dominique Dhombres