15 mars 2007

Echos de campagne:Les angoisses d'un favori

Article du nouvel obs
 
On va gagner malgré tout »
Sarkozy : Les angoisses du favori
Il était parti en fanfare. Il découvre une campagne molle qui ne ressemble pas à la grande bataille attendue. Sarko le combattant a laissé la place à Nicolas
le bien-pensant. Et voilà comment le doute s'est insinué jusqu'au coeur de la machine UMP
 
Nerveux, très nerveux, Nicolas Sarkozy ce jour-là. Invité de RTL le 21 février pour l'interview du matin, le candidat de l'UMP n'a pas du tout goûté la
dernière question «taquine» de Jean-Michel Aphatie, et il ne le lui envoie pas dire. Pourquoi, lui avait demandé le journaliste de RTL (inspiré par une
remarque ironique de François Hollande), alors que vous citez sans arrêt Jaurès et Blum dans vos discours, n'y a-t-il à Neuilly aucune avenue ou rue qui
porte leur nom ? Pris de court, Sarkozy bredouille une réponse incompréhensible, précise qu'il n'est pas né à Neuilly... Question «idiote», lâche-t-il,
furieux, après l'émission, accusant Aphatie de sympathie socialiste... En arrivant dans le studio, le ministre de l'Intérieur, «irrité et véhément», avait
déjà attaqué Aphatie sur sa «sensibilité de gauche» et les dirigeants de RTL sur la mise à l'écart d'Alain Duhamel.
Depuis quelques semaines, Sarkozy oscille, dit un de ses partisans, entre euphorie et agressivité, parfois tempérées d'humour, comme la semaine dernière
: devant la commission exécutive de l'UMP, le candidat a exhorté ses troupes à «être modestes et [à] garder la tête froide». «Je vous le demande d'autant
plus, sourit-il, que je ne suis pas toujours un modèle de ce point de vue...» Après un démarrage en fanfare le 14 janvier sur un discours remarqué devant
le congrès de l'UMP, il est aujourd'hui, lui aussi après Ségolène Royal, confronté à un « trou d'air ». Chacun son tour. Sondages en baisse, ratés dans
la campagne. Et ce Bayrou qui monte, qui monte... Qu'est-ce qui ne tourne pas rond ?
 
cadre sans nom 1
fin du cadre sans nom 1
Tout a commencé par un péché de présomption il y a trois semaines. En voyage à l'île de la Réunion le 16 février, Sarkozy lance, un brin euphorique : «Cette
élection, je commence à bien la sentir.» Ironie du sort, rien ne va plus depuis. C'est le début d'une mauvaise passe qui exacerbe les rivalités des équipes
de campagne du candidat. A peine Sarkozy a-t-il fini de délivrer ce message d'autosatisfaction que Pierre Méhaignerie, secrétaire général de l'UMP et président
de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, lance un pavé dans la mare. «On peut espérer baisser d'un point d'ici à la fin de la législature»,
décrète-t-il à propos de la baisse de 4 points des prélèvements obligatoires annoncée par le candidat de l'UMP. Tout juste sortis d'une réunion d'ajustement
du programme économique présidée par François Fillon, Méhaignerie et deux autres élus « budgétaires » de l'équipe - Gilles Carrez et Alain Lambert - annoncent
dans la foulée une révision à la baisse de mesures comme l'allocation au premier enfant ou la diminution des droits de succession. Manière de signifier
que les propositions du candidat leur semblent irréalistes. Sarkozy a beau piquer une colère noire, le mal est fait.
Pour ajouter à la confusion, l'idée circule que le ministre de l'Intérieur aurait confié à un groupe d'experts le soin de réfléchir à la possibilité de
mettre en place une «police de quartier» ! Après avoir fustigé et supprimé la police de proximité chère aux socialistes, voilà que Sarkozy songerait à
la réhabiliter ! Un virage à 180° ! Et un désordre supplémentaire. L'information est aussitôt démentie avec la dernière énergie par la PlaceBeauvau. Info
ou intox ? Une aubaine en tout cas pour Ségolène Royal, qui ne rate pas l'occasion d'inciter Sarkozy, qui «est toujours ministre», à mettre en adéquation
ses paroles et ses actes.
Sérieux retard à l'allumage ensuite sur Airbus. Dans un premier temps, Sarkozy explique que « les Etats » ne sont pas « les actionnaires les plus avisés
». Changement de ton lundi dernier : « Le rôle de l'Etat est essentiel. » Mais entre-temps Ségolène Royal a donné le la.
Enfin, Sarkozy, qui a maintes fois annoncé son retour sur la dalle d'Argenteuil, où il avait parlé de «racaille», semble rencontrer quelques difficultés.
«Il n'a pas vocation à foncer tête baissée dans tous les pièges qui lui sont tendus», a expliqué la semaine dernière Claude Guéant, son directeur de campagne.
«Mais il retournera en banlieue, ça, c'est une certitude.» Sans doute. Mais quand ? Pour le moment, aucune date n'est fixée.
Quoi encore ? Quelques bourdes. Comme Ségolène Royal, Sarkozy s'emmêle parfois aussi les pinceaux. Sur TF1, lors de l'émission « J'ai une question à vous
poser », il affirme que la France compte 50% de smicards (alors qu'il y en a moins de 20%). Sur RMC, il évalue à quatre le nombre de sous-marins nucléaires
d'attaque (alors qu'il y en a cinq), puis il parle d'«ethnie» (et non de religion) pour qualifier les chiites ou les sunnites...
Pendant ce temps, François Bayrou ne cesse de grimper. Comment endiguer le phénomène ? Comment l'attaquer ? «Difficile, reconnaît François Fillon, responsable
du projet et patron de l'équipe politique du candidat. Il ne faut pas le cogner pour ne pas lui donner trop d'importance et lui permettre de jouer les
victimes. Dans la mesure où Sarkozy cherche à rassembler une majorité de Français, on ne peut pas non plus taper sur sa thématique du consensus. Mais on
ne peut pas le laisser dire n'importe quoi.»
Conclusion : il faut «décortiquer» le programme de Bayrou et dénoncer ses «escroqueries» comme le référendum sur les régimes spéciaux, qui aboutirait à
«dresser l'ensemble des Français contre une seule catégorie», ou encore la suppression ou les allègements de charges des entreprises sur les bas salaires
proposés par le président de l'UDF. Mais encore ? Souligner le danger que représenterait ce « grand centre » de gouvernement souhaité par Bayrou, car «la
seule alternative en cas d'échec serait le recours aux extrêmes»...
 
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La vérité, c'est que la progression de Bayrou dans les sondages est un symptôme. Symptôme à la fois du malaise dans l'électorat de droite et du passage
à vide de la campagne Sarkozy. Malgré le recadrage opéré par le patron il y a tout juste deux semaines, il y a toujours du tirage dans les équipes. A voix
basse, les élus, les politiques mettent en cause le directeur de campagne Claude Guéant - «un grand préfet» -, son organisation, sa méconnaissance de la
politique, de ses réseaux, de ses relais. «Il n'y a pas de vrais professionnels dans l'équipe, aucun qui sache ce qu'est une campagne présidentielle»,
entend-on. Bref, la campagne serait confisquée par des hauts fonctionnaires et des amateurs au détriment des politiques. Ce qui revient à mettre en cause
Sarkozy lui-même, qui a choisi Guéant...
En réalité, Sarkozy, qui au fond fait campagne tout seul, souffre, malgré l'affluence aux meetings - les siens, ceux de Royal et de Bayrou - et l'audience
des grandes émissions de télévision, d'une sorte de campagne molle. Est-ce le manque de poids lourds, de grosses pointures à ses côtés ? Alain Juppé, qui
lui a pourtant apporté un soutien net, ne semble pas souhaiter en faire trop après son escapade à Berlin, où il a eu le sentiment de jouer les potiches
auprès du candidat. Cette insuffisance devrait, espère-t-on, être très vite comblée par l'entrée en campagne dès cette semaine de Simone Veil (voir encadré)
puis de Jean-Louis Borloo.
Serait-ce alors la difficulté à susciter des débats ? «On joue au tennis contre une adversaire qui ne renvoie pas les balles», déplore un conseiller de
Sarko. Alors, forcément, «c'est comme si on jouait contre un mur». «Le débat de fond ne s'enclenche pas, soupire Henri Guaino, la plume du candidat. Quandon
fait des propositions audacieuses, par exemple celle d'instituer la notion de responsabilité illimitée pour les personnes morales en matière d'environnement,
il n'y a pas de réponse.»
Tout se passe comme si Sarkozy subissait aujourd'hui les conséquences de ses attitudes passées. Le ministre de l'Intérieur avait habitué les Français depuis
deux ans à être dans la transgression, dans le politiquement incorrect, tant sur le fond - discrimination positive, révision de la loi de 1905 sur la séparation
des Eglises et de l'Etat - que sur la forme - le parler cru.
Aux oubliettes, la rupture ! Notamment en matière de politique étrangère. Dans ce domaine, Nicolas Sarkozy rame depuis plusieurs mois pour se débarrasser
de l'étiquette d'atlantiste qui lui colle à la peau. Sa conférence devant la presse internationale la semaine dernière n'avait pas d'autre but. Il lui
faut extirper l'idée ancrée dans le cerveau d'une grande majorité de Français que, s'il avait été président à la place de Chirac, la France serait aujourd'hui
engluée en Irak aux côtés des Américains.
Candidat à la magistrature suprême, il a forcément arrondi les angles. Trop ? Pendant la campagne présidentielle de 1995, après avoir dépassé Balladur dans
les sondages, Jacques Chirac avait passé la consigne : «On ne bouge plus.» Mais on était à trois semaines du vote... «C'est vrai, Sarkozy est moins transgressif,
dit un responsable de la campagne. Mais il fait de bonnes émissions. Il est toujours clair. Il doit continuer sans changer d'un iota. Cette campagne est
une affaire de souffle.» Dans son entourage, personne ne croit à un vrai décrochage malgré une tendance - légère, certes, mais persistante - à la baisse.
«Il y a eu un petit creux après Ségolène sur TF1, mais ça a duré quatre jours. Du reste, Ségolène non plus ne dévissera pas.Il est normal qu'il ait baissé.
Il ne pouvait pas rester à 35% au premier tour», dit-on. L'important, dit-on encore, c'est le potentiel électoral : 63% des gens interrogés par Ipsos le
14 février pourraient voter pour lui et 24% - le noyau dur - se disent «certains» de voter pour lui. L'important encore, selon les mêmes, c'est la place
de numéro un dans le hit-parade des meilleures ventes de la biographie « Un pouvoir nommé désir » que lui a consacrée Catherine Nay. «On va gagner malgré
tous... nos efforts», assure plaisamment Jérôme Peyrat, directeur de l'UMP. Il n'empêche ! Au QG de la rue d'Enghien, comme à l'UMP, on cherche d'urgence
une ou deux idées qui fassent mouche pour les semaines à venir.
 
Carole Barjon