07 mars 2007

Réflexions:La LOLF, une loi votée à l'unanimitée du Parlement!

Mercredi 7 février 2007

 

 

                La LOLF :mesure technique de gestion

ou arme contre la fonction publique ?

 

 

Dans mon billet heir, j'ai parlé de la LOLF, or il se peut à juste titre que beaucoup d'entre vous ne sont pas trés au fait de ce nouveau dispositif budgétaire. Dans notre pays, soit disant irréformable, les grandes réformes restent souvent discrètes, pour ne pas dire confidentielles, et sont même quelques fois consensuelles...
 

Trop consensuelle pour être honnête

La LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances) a été votée en juin 2001 par les députés du PS, de l'UMP et de l'UDF, ceux du PCF s'abstenant alors courageusement… Officiellement destinée à « l'évaluation de l'efficacité des politiques publiques », elle vise en réalité dans un premier temps la réduction de la dépense publique par l'application aux fonctions publiques des critères patronaux : productivité, flexibilité, performance.

Dans La Lettre de la réforme (N° 10), le sarkozyste ministre du budget, J-F Coppé qualifie 2005 d' année centrale pour la réforme budgétaire ; la mission parlementaire d'information sur la mise en œuvre de la LOLF, comprenant Michel Bouvard, UMP, Charles de Courson, UDF, Didier Migaud, PS et Jean-Pierre Brard, PCF, publie un rapport « Des dispositifs de performance encourageants mais perfectibles »…

Ils y expliquent: « La loi organique a été votée à l'unanimité par le Parlement et la composition de la mission d'information sur la mise en œuvre de la LOLF reflète la volonté de poursuivre dans cette voie non partisane. » Coppé est content : « en 2001 les parlementaires de droite et de gauche ont offert à la France l'occasion de se réformer en profondeur. » Jean-Pierre Brard ne veut pas être en reste, il apporte la consensuelle caution de Pif le chien en prétendant « la LOLF n'est pas d'essence ou de finalité libérale. »

Les députés Bouvard, de Courson, Migaud et Brard trépignent :« La réflexion sur les stratégies de performance est aujourd'hui très insuffisante (…) Dans le choix des objectifs, une place plus grande doit être faite aux objectifs d'efficience, c'est-à-dire à ceux visant une plus grande productivité de l'administration. (…) La mission d'information a voulu souligner la nécessité impérieuse à ce que cette culture de la performance se diffuse au sein des administrations et ne se réduise pas à un vernis sans que cela se traduise par des changements dans les comportements quotidiens des administrations. La façade ne suffit pas. C'est probablement l'aspect du dossier qui est le moins avancé. » Ils veulent accélérer la mise en œuvre de la « réforme », les indicateurs de performance faisant office de carottes pour les uns, de bâtons pour les autres. Craignant la résistance même passive, la mission appelle à combattre « la tentation d'adapter la LOLF au mode de fonctionnement actuel des administrations et non l'inverse. » car « L'évolution des indicateurs de moyens ou d'activité ne renseigne pas, par définition, sur la manière plus ou moins optimale dont les services gèrent l'argent public, mais uniquement sur le volume des crédits qui leur sont attribués et le niveau d'activité que ceux-ci permettent. Ce type d'indicateurs doit impérativement être écarté, car il est susceptible de cautionner des logiques de consommation de crédits tout à fait négatives pour les finances publiques, en contradiction avec les effets globaux vertueux recherchés par les concepteurs de la LOLF. » Ah !Qui pourrait s'opposer aux  effets globaux vertueux de la LOLF, si consensuelle et non partisane?

Nous y arrivons…

Cette politique de « fermeté » se traduit concrètement dans les différents ministères. Exemple, dans l'Éducation Nationale « certains objectifs d'efficience mériteraient d'être retenus, comme notamment la réduction à tous les degrés de l'enseignement, de la proportion des heures d'enseignement devant des groupes de 10 ou 12 élèves. »Ce qui revient à supprimer pas mal d'options en collèges et lycées, toujours ça d'économisé ;les heures d'UNSS effectuées par les professeurs d'EPS, les heures  de laboratoire en sciences, de cabinet en histoire sont également suspectes. Car comme dit Coppé (Les Échos, mars 2005 ) « avec la LOLF la France s'est dotée d'une vraie comptabilité d'entreprise. Ce qui compte désormais, ce n'est plus la dépense supplémentaire, mais la réforme structurelle, celle qui permet de financer de nouvelles priorités par des gains de productivité. » Et suppression de postes =gains de productivité. Pour les partisans de la LOLF, de l'UMP au PS, l'essentiel est la lutte contre ce que le projet de constitution européenne appelait les « déficits publics excessifs. » Selon les rédacteurs du projet de TCE, rejeté le 29 mai 2005, les déficits publics sont ceux des administrations publiques : État, collectivités locales,  Sécurité sociale. Philippe Séguin, à la cour des comptes, déplore le « réseau pléthorique de caisses » et propose de « resserrer la contrainte budgétaire et regrouper les caisses. » et Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l'UNCAM et ex-directeur de cabinet de Douste Blazy  veut une assurance-maladie qui « cesse d'être un payeur aveugle…pour passer d'une logique de coût à une logique de retour sur investissement», il prévoit de ne remplacer qu'un agent sur deux partant en retraite. 

Mais comment font les autres ?

Un rapport du Sénat (31 août 2001) explique : « certains pays gèrent leur secteur public selon des méthodes et critères applicables aux entreprises du secteur privé. » En Nouvelle-Zélande, « le budget est établi selon les règles comptables du secteur privé », « des sociétés d'État, fonctionnant à la manière des entreprises privées, ont été créées et leurs salariés ont perdu leur statut de fonctionnaire. » Comment ? Dans un premier temps « l'État en est devenu actionnaire, puis elles ont été privatisées. » En Suède, dès les années 1980, les gouvernements ont fait « évoluer les entreprises publiques vers un fonctionnement reposant sur les critères du marché » en leur imposant une comptabilité d'entreprise. En Allemagne, les gouvernements ont mis en place une comptabilité analytique, des indicateurs d'activité et des contrats d'objectifs entre les ministères et les administrations. « la concurrence constitue un élément essentiel de ce programme. Les administrations sont incitées à se livrer à un benchmarking [ !] destiné à comparer l'efficacité des services et à mobiliser les réserves potentielles de productivité en matière de coût de personnel. »Et les réserves potentielles de productivité n'ont qu'à bien se tenir, diantre ! Ces réformes ont logiquement conduit à poser la question de l'existence des fonctions publiques. En Nouvelle-Zélande il y a « un abaissement de la frontière statutaire entre secteur public et secteur privé : 42% des agents publics bénéficient désormais d'un contrat individuel à durée déterminée contre 17% il y a 5 ans. » Aux Pays-Bas « les agents publics bénéficient d'un contrat proche du contrat de travail de droit privé » et le recrutement a lieu après entretien d'embauche. Et bien sûr, le système public de retraite a été « aboli pour s'aligner sur celui des salariés du secteur privé », la réglementation du travail aussi a été alignée sur le privé et les négociations salariales décentralisées.            En Suède, il y a un « quasi alignement des agents publics sur les droits et obligations des salariés du secteur privé » et en Allemagne la loi sur la réforme du droit de la fonction publique (1997) « accroît  la volonté de concurrence au sein de l'administration publique » avec« des critères de performance individuelle dans la carrière des agents. ».    En Italie, le statut de la fonction publique ressemble de plus en plus à celui du secteur privé. Au Canada, la réforme de l'Etat, engagée pour des raisons budgétaires, s'est étendue à tous les secteurs de l'action publique.Dès 1995, le Canada a réduit les effectifs de sa fonction publique : en 5 ans, 66 000 postes, (un sur six), ont été supprimés dans l'administration publique fédérale. La « culture de la performance » s'est développée, le statut de la fonction publique a été assoupli (loi fédérale  07/11/2003).  Des rapports annuels comparent résultats et objectifs, des guichets uniques regroupent les divers services aux usagers, l'administration en ligne se développe.

En poussant la logique, il est possible à l'état de priver ses salariés du statut de la fonction publique en déléguant ses missions, dans le cadre d'une concurrence libre et non faussée. Et d'arriver, à terme au « contrat de travail unique » : moins de protection, de garanties pour tous les salariés. Un peu d'angoisse du lendemain, de stress à la veille des réunions de bilan, de culpabilité à l'occasion, l'appât d'une prime au mérite, ça devrait faire rentrer les récalcitrants dans le rang.        

Alors il  faudra que les « partenaires sociaux » choisissent : "grande négociation sur la sécurisation des parcours professionnels"  ou combat unitaire pour défendre le Code du travail et la fonction publique.