15 mars 2007

Réflexions:Ce que l'on peut retenir de Chirac

Ce que les Français en retiendront, "je n'en sais rien", reconnaît le président à Pierre Péan, auteur d'un "Inconnu de l'Elysée" sorti mi-février.
 
"Ce que je souhaiterais qu'ils retiennent, c'est que, contrairement aux apparences qu'elle donne à certains moments et pour certains aspects de son histoire,
la France est un pays - s'efforce d'être un pays - de tolérance", confie le chef de l'Etat.
 
Sous sa houlette, le service militaire obligatoire disparaît début 1997 et le quinquennat est institué en 2000. C'est aussi sous son autorité que sont votées
les lois réformant les régimes de retraite et l'assurance-maladie, puis l'interdiction à l'école des signes ostensibles d'appartenance à une religion.
 
Sa présidence consacre également l'interdiction de la cigarette dans les lieux publics, instituée le 1er février dernier. Son deuxième mandat avait été
placé sous le signe de "grands chantiers" comme la lutte contre le cancer, l'aide aux handicapés et la sécurité routière.
 
Mais c'est dans le domaine économique et social que les fruits peinent à être récoltés, les économistes évoquant au mieux un "bilan contrasté" des années
Chirac.
 
Elu en 1995 sur le thème de la "fracture sociale", Jacques Chirac est reconduit à la tête de l'Etat sept ans plus tard après l'élimination surprise de son
adversaire de gauche, Lionel Jospin, au profit de celui du Front national, Jean-Marie Le Pen, au terme d'une campagne dominée par les questions de sécurité.
 
Réélu avec plus de 82% des voix, il assiste impuissant à la remontée du chômage en 2002 et 2003 et tente de contrer la montée du communautarisme. Combinés,
les deux facteurs débouchent sur les violences de l'automne 2005 dans les quartiers difficiles.
 
Douze années après son accession à la magistrature suprême, on compte toujours plus de deux millions de sans-emploi en France et la baisse amorcée en 2004
s'accompagne d'une hausse du nombre de RMIstes.
 
Alors qu'il prônait la "remise en ordre des finances publiques" - "un point obligé" - la dette française est passée de 496 milliards d'euros en 1995 à plus
de 1.100 milliards.
 
Il avait fait de la baisse de 30% de l'impôt sur le revenu l'une de ses principales promesses de campagne en 2002. Selon le ministre du Budget Jean-François
Copé, les impôts auront finalement baissé d'environ 20% en moyenne entre 2002 et 2007.
 
FRANCOPHONIE ET ECOLOGIE
 
Au chapitre international, les choses avaient mal commencé pour Jacques Chirac.
 
Un mois après son élection, il se met le monde à dos en décidant la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique, en pleine commémoration du cinquantenaire
d'Hiroshima. Il y mettra un point final en janvier suivant.
 
Le chef de l'Etat endosse par la suite tous les atours du militant écologiste, sa croisade culminant en septembre 2002 avec son appel de Johannesbourg.
"Notre maison brûle et nous regardons ailleurs", avait-il tancé ses homologues.
 
Il n'a de cesse de mettre en garde une humanité qui "danse sur un volcan", fustigeant les pays n'ayant pas signé le protocole de Kyoto, militant pour la
création d'une Organisation des Nations unies pour l'Environnement et prônant le développement du Sud.
 
Défenseur de la francophonie, avocat de l'Afrique - où il s'est rendu quasiment chaque année -, Jacques Chirac s'est aussi posé en chantre du multilatéralisme,
tenant tête à des Américains qui l'agacent "à toujours vouloir imposer leur point de vue", avoue-t-il à Pierre Péan.
 
En septembre 2001, il est le premier chef d'Etat étranger à se rendre aux Etats-Unis après les attentats de New York et Washington. Dix-huit mois plus tard,
contre l'avis de nombreux partenaires européens, il prend la tête des opposants à l'intervention américaine en Irak, ce qui s'avérera l'une de ses décisions
les plus visionnaires.
 
"J'ai répété 36 fois à (George) Bush qu'il commettait une erreur monumentale", dit-il à propos du chef de la Maison blanche, aujourd'hui contraint de faire
machine arrière dans un conflit qui a coûté la vie à plus de 3.000 Américains.
 
"MOUTON NOIR"
 
Mais pour ses détracteurs, le deuxième mandat de Jacques Chirac a pris fin le 29 mai 2005, jour du référendum sur la Constitution européenne en France.
 
Si elle dit "non", la France sera le "mouton noir" de l'Europe, avait prévenu le président lors d'une émission télévisée quelques semaines avant une consultation
qu'il avait lui-même voulue. Le traité constitutionnel, fruit de longues années de négociations à 25, est pourtant repoussé par plus de 54% des Français,
plongeant l'Europe dans un marasme dont elle tarde à sortir.
 
Vendredi à Bruxelles, lors de son probable dernier Conseil européen, il a esquissé un mea culpa. "Je suis désolé de, peut-être, ne pas avoir fait tout ce
qu'il aurait fallu pour éviter ce qui a été une mauvaise chose pour l'Europe et pour la France", a-t-il déclaré devant la presse.
 
L'échec du référendum européen traduit un manque d'intuition de l'Elysée à l'égard de l'opinion française et en rappelle un autre: celui de la dissolution
de 1997.
 
Conseillé par Dominique de Villepin, Jacques Chirac décide d'organiser de nouvelles législatives afin d'obtenir une majorité plus solide. Mauvais calcul:
la "gauche plurielle" l'emporte, marquant le début de cinq ans de cohabitation avec Lionel Jospin.
 
Dernier président à avoir fait l'expérience de la guerre, révulsé par l'antisémitisme - "C'est physique", dit-il -, Jacques Chirac multiplie les gestes
symboliques pour réconcilier les Français avec les pans sombres de leur histoire.
 
En juillet 1995 - il est à l'Elysée depuis deux mois - il est le premier chef d'Etat à dénoncer le rôle de Vichy dans la déportation des juifs pendant la
Deuxième Guerre mondiale. "Ce qui s'est passé avec les juifs pendant la guerre est impardonnable, et il y a un moment où il faut le dire", explique-t-il
simplement à Pierre Péan.
 
En janvier dernier, il préside à l'entrée des Justes au Panthéon, ces Français qui sauvèrent les juifs d'une mort quasi-certaine en déportation.
 
Pudique et secret sur sa vie privée, Jacques Chirac lève un coin de voile au cours de son second mandat en faisant partager son amour de l'art. Une passion
qui se traduira par la construction du musée des Arts premiers du quai Branly, vaste paquebot coloré signé Jean Nouvel surnommé dès sa naissance, en juin
2006, "musée Chirac".
Elizabeth Pineau