14 décembre 2006

Portrait:Wafa Sultan, une laïque courageuse

Wafa Sultan en croisade contre les mollahs
 
LE MONDE | 04.04.06 | 14h51  •  Mis à jour le 07.12.06 | 10h20
 
 
Plus d'un million de personnes ont vu l'interview, qui a été diffusée sur Internet et a suscité des commentaires dans le monde entier. Depuis une bonne
décennie, Wafa Sultan, cette américaine d'origine Syrienne de 47 ans établie en Californie, s'était fait une certaine réputation dans les milieux arabo-musulman
en exprimant ses critiques virulentes contre l'islam. Mais ses deux passages sur la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira, et surtout le dernier, le 21
février, l'ont soudain fait connaître du monde occidental et de la blogosphère.
 
 
1958
Naissance à Banias (Syrie).
 
1979
Meurtre de son professeur à l'université d'Alep.
 
1989
Exil vers les Etats-Unis, avec son mari et ses enfants.
 
2005
Devient citoyenne américaine.
 
2006
Intervient sur Al-Jazira, le 21 février, face à un théologien égyptien.
 
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Face au Dr Ibrahim Al-Khouli, un Egyptien défenseur du Coran et des lois islamiques, cette psychiatre de formation n'a pas hésité à dire : "Le conflit auquel
nous assistons n'est pas un conflit de religions ou de civilisations. C'est un conflit entre deux opposés, deux époques, entre la barbarie et la raison.
C'est un conflit entre une mentalité qui relève du Moyen Age et une autre qui appartient au XXI e siècle."
 
Son interlocuteur l'a traitée d'"hérétique", en affirmant qu'elle était "plus dangereuse pour l'islam que les bandes dessinées publiées par les journaux
danois". Sans se démonter, cette femme vive et énergique a poursuivi : "Les juifs ont subi la tragédie de l'Holocauste, mais ils ont obligé le monde à
les respecter au moyen de leur savoir, de leur travail et non de leur terreur... Nous n'avons pas vu un seul juif protester en commettant des meurtres.
Les musulmans ont transformé en décombres trois statues de Bouddha. Nous n'avons pas vu un seul bouddhiste réduire en cendres une mosquée, tuer un musulman
ou incendier une ambassade."
 
Depuis, Wafa Sultan recueille de nombreux messages de solidarité de femmes d'Iran, du Pakistan, du Bangladesh... Mais elle reçoit aussi des menaces de mort,
sur son répondeur téléphonique et par courrier électronique. Sa mère, qui vit toujours en Syrie, est désormais fâchée avec elle : "Elle est à 100 % contre
moi."
 
Celle qui a rejoint la cohorte des femmes en guerre contre les mollahs, d'Ayaan Hirsi Ali, néerlandaise d'origine somalienne (et collaboratrice du cinéaste
assassiné Theo Van Gogh), à Irshad Manji, canadienne d'origine pakistanaise et homosexuelle, est née en Syrie dans une famille aisée de dix enfants, et
a été élevée dans la stricte observance de la religion musulmane. En 1979, elle étudie la médecine à l'université d'Alep, dans le nord du pays, quand elle
est témoin du meurtre d'un de ses professeurs par des militants islamiques qui hurlent "Allah est grand !" en le criblant de balles.
 
Plus de vingt-cinq ans plus tard, dans la maison spacieuse des environs de Los Angeles qu'elle partage avec son mari et ses trois enfants de 24, 20 et 15
ans, elle définit cet événement traumatisant comme le point de départ de sa démarche actuelle. "Quand vous tuez un être humain au nom de Dieu, qu'est-ce
donc que ce Dieu ?", interroge-t-elle dans son anglais tonifié par le rythme de la langue arabe.
 
Elle perd alors la foi et tente avec son mari de quitter la Syrie. Ils y parviennent finalement en 1989 et s'installent en Californie. Wafa ne parlait pas
un mot d'anglais, mais elle a repassé toutes ses qualifications de médecin psychiatre dans le système médical américain.
 
Dès le jour de son arrivée, elle s'est mise à écrire, en arabe. "Le savoir que j'ai acquis dans ce pays m'a sortie d'une pensée rétrograde, dit-elle. Je
suis libre et capable d'aider mon peuple, qui est otage des enseignements de l'islam, à se libérer." Ses écrits ont vite circulé dans la communauté arabo-américaine,
puis sur le site Web
www.annaqed.com
(annaqed veut dire "critique"), créé par un immigré syrien établi à Phoenix, dans l'Arizona.
 
Quand la chaîne arabe Al-Jazira a eu besoin d'apporter la contradiction à un islamiste fondamentaliste pour l'émission de débat "Directions opposées", elle
a tout naturellement pensé à Wafa Sultan, qui s'est exprimée en direct et en arabe, depuis sa résidence californienne.
 
Au risque de paraître manichéenne à son tour, elle estime qu'il n'est même pas question pour elle de réformer l'islam, "un système en crise depuis sa création
il y a quatorze siècles, et avec lequel aucune négociation n'est possible !". Elle constate, sans les cautionner pour autant, que les régimes dictatoriaux
- comme en Iran jusqu'en 1979, en Syrie ou en Irak - ont exercé un certain contrôle sur la montée en puissance de l'extrémisme islamique. "La religion
musulmane s'est toujours protégée en établissant un lien très fort avec le pouvoir politique. Dans le même temps, les dictatures contrôlaient à leur manière
le pouvoir du clergé." Mais, avec les soubresauts de l'actualité économique et politique, et surtout les attentats du 11-Septembre, l'islam a atteint selon
elle un point critique : "L'Occident a enfin compris le danger et cela nous force à changer."
 
Wafa Sultan se garde de porter un jugement sur le bien-fondé de la guerre en Irak, mais remarque que les Américains "sont venus chercher des armes de destruction
massive, mais pas dans les bons endroits, car les vrais "WMD" Weapons of Mass Destruction, ce sont les enseignements des écoles des pays islamiques."
 
Elle se voit volontiers en nouveau Voltaire apportant ses lumières au monde arabe, en philosophe sauveur de ce grand désastre mondial induit par un excès
de religion. Elle a déjà publié deux livres en langue arabe sur Internet, et travaille actuellement à un troisième ouvrage, The Escaped Prisoner : When
God is a Monster (Le prisonnier échappé : quand Dieu est un monstre).
 
Le prisonnier qui s'est échappé, "c'est moi", convient-elle. "Dans dix ans, une femme saoudienne dira ce que je dis aujourd'hui, non pas depuis sa maison
aux Etats-Unis, mais depuis sa maison en Arabie saoudite." Elle espère finir ce livre cet été. Les éditeurs américains se l'arrachent déjà.
 
Claudine Mulard
Article paru dans l'édition du 05.04.06.