10 novembre 2006

Revue de presse:2002 ne nous a t'il rien appris?

Jeudi 9 novembre 2006
 
Voici un article de La Croix qui nous rappelle deux ou trois choses pour prendre un minimum de recul quant à la démocratie d'opinion que l'on essaie de nous imposer...
 
Alors à nous de nous réveiller et de ne plus croire à cet avenir prédictif, qui  parce qu'il acheté par les candidats devrait se réaliser.
 
 
 
Pour les sondages, 2002 n'a rien changé
 
À six mois de la présidentielle, les sondeurs reconnaissent que leurs enquêtes n'ont aucun caractère prédictif. Elles ne sont qu'une photographie de l'opinion
à un moment précis
 
Capture vidéo des résultats du deuxième tour de l'élection présidentielle de 2002 opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen (photo AFP).
 
Pas un jour sans sondages. Les candidats à l’élection présidentielle ne sont pas encore officiellement désignés que les intentions de vote des Français
sont, depuis de longs mois, interrogées, analysées, disséquées. Et le verdict déjà tombé : le second tour opposera Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal. La
seule incertitude résiderait dans l’issue de ce duel.
 
Pourtant, et c’est un fait : les sondages ont rarement donné six mois à l’avance les deux candidats finalistes. Qu’importe, semble-t-il. L’élection présidentielle
de 2007 « a entamé une course aux sondages encore plus précoce et plus intense » que les précédentes, déplore Alain Garrigou dans un livre à paraître demain
aux Éditions La Découverte (1).
 
Ce professeur de sciences politiques à Paris X-Nanterre dénonce «la sondagite» qui affecte régulièrement la France en période de campagne électorale, alors
même que les techniques utilisées par les sondeurs seraient, d’après lui, de moins en moins fiables.
 
« La déroute des sondeurs » évoquée au lendemain du 21 avril 2002 – aucun institut n’avait avancé l’hypothèse de la présence de Jean-Marie Le Pen au second
tour – n’aurait donc pas entamé leur capital de confiance. Publiquement envolées, les réserves qui pesaient sur leurs méthodes et leurs résultats. Et pour
cause ! Selon un mécanisme bien rodé, les sondages servent les intérêts réciproques de ceux qui les commandent comme de ceux qui les réalisent.
 
Les sondages contribuent à la notoriété du titre qui les publie
La « reprise » des résultats par la plupart des autres médias contribue, en effet, à assurer la notoriété du titre qui les publie, mais également de l’institut
de sondage qui se fait ainsi de la publicité à peu de frais. Cela contribue à assurer sa crédibilité auprès de ses clients du secteur commercial, lesquels
constituent l’essentiel de son chiffre d’affaires.
 
« Les sondages bénéficient dans notre pays d’une réputation de scientificité plus grande qu’ailleurs. D’autant qu’il y a, en général, accord sur les résultats
entre les différents instituts », observe, de son côté, Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques à l’IEP de Lille et spécialiste de l’opinion.
 
Pourtant, la liste de leurs déboires est aussi longue que celle de leurs succès. En 1995, les instituts n’ont pas su prévoir l’ordre d’arrivée des candidats
à l’issue du premier tour de la présidentielle. Aux législatives de 1997, ils considéraient acquise la victoire de la majorité sortante. En 2001, ils avaient
annoncé à tort une vague rose aux municipales de 2001.
 
À l’inverse, les sondages ont parfaitement anticipé la victoire de la gauche aux élections régionales de 2004 et le basculement de l’opinion vers le « non
» lors du référendum sur le traité constitutionnel.
 
Le « séisme » de 2002
Reste le «séisme» de 2002 : « Il ne faut pas caricaturer, tout n’a pas été un fiasco, se défend Brice Teinturier, directeur du département «politique et
opinion» de TNS-Sofres. Nous avons parfaitement mesuré la baisse de la gauche et de Chevènement, ainsi que la montée de l’extrême gauche.»
 
La ligne de défense des instituts n’est pas nouvelle : «Les sondages n’ont en aucun cas un caractère prédictif, répète Frédéric Dabi, de l’Ifop. Ils sont
crédibles si on ne dévoie pas leur fonction qui est de souligner un rapport de force politique.»
 
Stéphane Rozès, responsable du département études et opinion de CSA, revient sur le cheminement d’un sondage avant sa publication : « Il y a les commentaires
faits par les sondeurs et ensuite l’interprétation et l’analyse qu’en tirent les politologues et les journalistes. »
 
En somme, les erreurs ne seraient pas à chercher du côté de la technique mais davantage de la présentation qui en est faite. « Il est faux, par exemple,
de dire que tel candidat arrive en tête au second tour avec 51 % contre 49 %, car, compte tenu de la marge d’erreur de 2 à 3 %, cela veut dire en réalité
que les candidats sont à peu près à égalité, précise prudemment Pierre Giacometti, directeur général d’Ipsos. Mais les médias ont besoin de simplicité.
»
 
Les sondés ont un comportement plus erratique qu'avant
Les responsables des instituts reconnaissent cependant que les intentions de vote sont de plus en plus difficiles à mesurer. Les sondés ont un comportement
plus erratique que par le passé, sont davantage influencés par les événements de la campagne et se déterminent souvent à la dernière minute.
 
« En 2002, 18 % des électeurs se sont déterminés le jour même et 20 à 22 % dans les deux ou trois derniers jours avant le vote », assure Stéphane Rozès.
L’autre difficulté réside dans l’évaluation du vote d’extrême droite qui fait l’objet d’une « sous-déclaration » systématique et surtout de l’abstention,
qui est déterminante.
 
D’où les fameux « redressements » opérés par les instituts par rapport aux chiffres bruts obtenus. S’ils n’aiment pas dévoiler leurs « recettes », celles-ci
reposent sur trois variables : le vote antérieur, la certitude d’aller ou non voter et la certitude du choix.
 
« En 2002, les chiffres bruts obtenus par le FN dans les enquêtes étaient deux fois inférieurs à ceux affichés par les instituts, souligne Loïc Blondiaux.
On entre là dans des zones d’incertitude très fortes. » En fait, pour les sondeurs, il ne s’agit au mieux que « d’une photographie de l’opinion à un moment
donné ». « C’est tout juste une représentation déformée et très grossière des rapports de force », tempère encore Loïc Blondiaux.
 
La plupart des instituts veulent améliorer leurs outils
Il n’empêche. La plupart des instituts affichent, pour 2007, leur intention d’améliorer leurs outils. Ainsi, Ipsos aimerait publier les «intervalles de
stabilité», c’est-à-dire le minimum et le maximum obtenu par un candidat en fonction de la certitude du choix de la personne interrogée, comme le recommandait
la commission des sondages après le 21 avril 2002. «Si nous l’avions fait en 2002, on se serait rendu compte que Le Pen se situait entre 13 et 17 %, c’est-à-dire
près du résultat obtenu, affirme Pierre Giacometti. Mais cela rend les tableaux plus difficiles à lire par les lecteurs des journaux.»
 
Pour sa part, l’institut CSA n’y est pas favorable, Stéphane Rozès jugeant qu’il s’agit là de cuisine interne. Il préfère miser sur une meilleure qualité
du recueil des données et une amélioration des techniques de redressement grâce à des questions d’opinion posées en plus des intentions de vote.
 
À l’Ifop, on travaille sur la qualité de l’échantillon afin qu’il soit encore plus représentatif de la population, l’un des reproches étant une surreprésentation
de diplômés. « Nous espérons notamment recueillir davantage de déclarations spontanées des électeurs déterminés à voter FN », argumente Frédéric Dabi.
 
Tous s’accordent toutefois à reconnaître que ces retouches ou améliorations techniques ne peuvent avoir que des effets marginaux. «Ils sont arrivés à la
limite de leurs techniques», estime même Alain Garrigou. Le problème tient peut-être à ce que la profession de sondeur, qui intervient dans un secteur
fortement concurrentiel, n’a pas su ou pas voulu se doter de règles.
 
L’illusion collective de la valeur prédictive des sondages
«L’idéal, fait observer par exemple Frédéric Dabi, serait que les instituts ne publient pas de simulations de second tour. Car nous sommes incapables d’anticiper
la dynamique créée par les résultats du premier tour. Mais la pression est tellement forte. »
 
La commission des sondages a déjà émis le 12 octobre un premier rappel à l’ordre concernant les sondages effectués auprès des sympathisants socialistes.
Rappelant que, le 16 novembre, ce sont les adhérents du parti qui désigneront le candidat socialiste à l’élection présidentielle et non les «sympathisants»,
elle a invité les instituts et les médias à « relativiser la pertinence et la signification» de ces sondages. Sans effet.
 
«La difficulté est que nous vivons dans l’illusion collective de la valeur prédictive des sondages, ajoute Loïc Blondiaux. Les intentions de vote à six,
quatre, voire deux mois résistent rarement aux événements de la campagne. Mais c’est tellement évident que tout le monde l’oublie.»
 
Céline ROUDEN
 
(1) L’Ivresse des sondages , Éd. La Découverte, 128 p., 6,90 €.
 
***
 
Certaines enquêtes sont très confidentielles
Les journaux ne sont les seuls à commander des sondages. Les candidats en sont particulièrement friands. L’institut CSA reconnaît travailler en ce moment
pour le compte de six présidentiables. Ces études qui restent le plus souvent confidentielles représenteraient même 15 à 20 % du travail des départements
opinion des instituts de sondage. Le plus souvent il s’agit d’enquêtes « qualitatives » qui permettent aux candidats de tester auprès d’un panel de Français
leur image de présidentiable mais aussi des éléments de leur programme.