Scheidermann met analyse les oeillades de Sarkozy à ses amis de la presse!
Vendredi 4 mai 2007
Le mystère des regards de Nicolas
Par Daniel SCHNEIDERMANN
QUOTIDIEN : vendredi 4 mai 2007
Enfin ! Enfin eux deux, seuls face à face, avec deux chronomètres, et deux arbitres potiches. Eux seuls, sans la gangue de sondages, d'éditoriaux, de bandes-annonces,
de seconds couteaux, d'invectives, de sarcasmes, de manipulations, de déformations, d'effroi, de rumeurs, qui obscurcissent l'atmosphère depuis le début.
Cette fois, c'est fait. Tous les PPDA, tous les Chabot, Boyon, Lagardère, Bouygues, Sylvestre, tous les Sofres-Ipsos-Ifop-BVA-CSA ne pourront plus empêcher
que la France entière les voie, ces deux-là, au fond des yeux, pendant plus de deux heures d'horloge.
Elle joue l'attaque : elle n'a pas le choix. Il se défend : surtout, ne pas s'énerver. Elle attaque bien, mais il défend efficacement. Il est meilleur,
plus clair, plus convaincant, dans les longs monologues de fond de court, les développements, les plaidoyers. Elle y apparaît plus filandreuse. Mais à
chaque montée au filet et elle les multiplie, face à un adversaire alors paralysé par le risque de la faute , elle le hache menu, et marque le point.
Offensives, retraites : que retiendra l'électorat, en ses mystérieuses profondeurs, de la musique de ce spectacle-là ? De ce débat, que restera-t-il ?
Sa «saine colère» à elle, peut-être, sur le sujet inattendu de l'accueil des enfants handicapés à l'école, qui prend l'adversaire à contre-pied. C'est
l'extrait qui nourrit les gloses du lendemain matin, que rediffuse en boucle la télé, que place à sa une l'édition en ligne du Figaro.
Et un mystère, aussi, sans doute : ces regards, qu'il ne cesse de lancer aux deux arbitres. On dirait presque qu'il souhaite débattre avec eux, et seulement
avec eux. N'est-ce pas, Mame Chabot ? N'est-ce pas, Msieur Poivre d'Arvor ? Comme s'il était en train de se tromper d'émission. Comme s'il pensait se trouver
à un entraînement avec les sparring-partners habituels. Mais Chabot et Poivre ne sont d'aucun secours. Ils n'existent plus dans le débat que par ces regards-là.
Dès les premières secondes, ils ont perdu pied. Ils avaient dessiné un beau cadre, pour un beau débat bien ordonné, en plusieurs parties. Elle l'a fait
voler en éclats dès le début, en piétinant les plates-bandes, mélangeant tout, convoquant d'emblée la policière violée de Bobigny, pour le mettre hors
de lui d'entrée, le pousser à la faute sur le terrain de la sécurité. Tant pis, tant mieux. Le voilà dès lors obligé, en permanence, de galoper d'un coin
à l'autre du terrain. Et on dirait qu'il les prend à témoin, les arbitres, les copains, les partenaires habituels. Eh ! Camarades ! Vous ne voyez pas que
ça part dans tous les sens ? Vous ne voudriez pas faire quelque chose pour moi ? On aurait presque envie de le recadrer : mais enfin, aujourd'hui, ils
n'ont pas le droit Nicolas ! Ils n'ont pas le droit de chuchoter avec toi. Ils n'ont pas le droit de recueillir tes confidences. Aujourd'hui Nicolas, il
faut faire semblant de ne plus les connaître. Tu es dans la cour des grands, Nicolas. Tout seul face à elle, la martienne, l'imprévisible. Tu vas sûrement
y arriver, depuis le temps que tu t'y prépares.
Et derrière l'épaule de Chabot et PPDA, c'est toute la grande armée médiatique que semblent aller chercher, en filigrane, les regards du candidat. Ah !
le beau rêve ! Les voyez-vous, les hussards, les dragons, la garde ! Quelle belle armée, qui lui fit une si jolie campagne. Ah ! les croissants avec Elkabbach
et Lagardère, entre hommes, entre amis, entre frères d'armes, après l'interview du matin sur Europe 1. Ah ! les consensus réconfortants d'après interview
sur la nullitude de la concurrente. Ah ! la bienveillante neutralité du Monde tout au long de la campagne, son indulgente surdité après les dérapages sur
le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, sur la génétique, ou sur l'Allemagne. Ah ! la tendresse complice de l'ami Giesbert, les belles
photos songeuses en couverture du Point, et ces graves questions au dos des kiosques : «Peut-il perdre ?» Ah ! la vigilance sourcilleuse des gardiens du
CSA, qui savent toujours si bien comprendre sans qu'il soit besoin de rien leur demander. Ah ! l'immense armée des humbles de la presse, des embedded, circonvenus
à coups de tutoiement, d'embrassades, de confidences, d'attentions. Ah ! les complicités du matin, au départ de l'avion ou de l'autocar. Ah ! les attentes
partagées, les fous rires.
Bien sûr, aussi, les coups, la dureté du combat. Ce directeur de Match, à qui il fallut bien faire payer l'affront d'avoir publié une photo sacrilège. Les
mouches de Plantu, jusqu'alors réservées à Le Pen. La cruauté quotidienne des Guignols de Canal +. Les mesquines investigations immobilières du Canard
enchaîné, heureusement promptement étouffées par le reste de la presse. Les portraits chargés de Marianne, heureusement désamorcés par leur excès. Les
escarmouches avec Demorand, le matin, sur France Inter, heureusement apaisées après le round d'observation. Les coups de fil à Edouard de Rothschild, qui
se retrouvent sur Internet. Et Internet, justement, espace incontrôlable, anonyme, espace de tous les traquenards, heureusement incapable de se hausser
(mais pour combien de temps ?) jusqu'à l'audience des «grands médias».
Voilà, peut-être, à qui s'adressaient les mystérieux regards de Nicolas Sarkozy, pendant que son adversaire, elle, ne le lâchait pas des yeux. Et maintenant
que roulent les dés...
Par Daniel SCHNEIDERMANN
QUOTIDIEN : vendredi 4 mai 2007
Enfin ! Enfin eux deux, seuls face à face, avec deux chronomètres, et deux arbitres potiches. Eux seuls, sans la gangue de sondages, d'éditoriaux, de bandes-annonces,
de seconds couteaux, d'invectives, de sarcasmes, de manipulations, de déformations, d'effroi, de rumeurs, qui obscurcissent l'atmosphère depuis le début.
Cette fois, c'est fait. Tous les PPDA, tous les Chabot, Boyon, Lagardère, Bouygues, Sylvestre, tous les Sofres-Ipsos-Ifop-BVA-CSA ne pourront plus empêcher
que la France entière les voie, ces deux-là, au fond des yeux, pendant plus de deux heures d'horloge.
Elle joue l'attaque : elle n'a pas le choix. Il se défend : surtout, ne pas s'énerver. Elle attaque bien, mais il défend efficacement. Il est meilleur,
plus clair, plus convaincant, dans les longs monologues de fond de court, les développements, les plaidoyers. Elle y apparaît plus filandreuse. Mais à
chaque montée au filet et elle les multiplie, face à un adversaire alors paralysé par le risque de la faute , elle le hache menu, et marque le point.
Offensives, retraites : que retiendra l'électorat, en ses mystérieuses profondeurs, de la musique de ce spectacle-là ? De ce débat, que restera-t-il ?
Sa «saine colère» à elle, peut-être, sur le sujet inattendu de l'accueil des enfants handicapés à l'école, qui prend l'adversaire à contre-pied. C'est
l'extrait qui nourrit les gloses du lendemain matin, que rediffuse en boucle la télé, que place à sa une l'édition en ligne du Figaro.
Et un mystère, aussi, sans doute : ces regards, qu'il ne cesse de lancer aux deux arbitres. On dirait presque qu'il souhaite débattre avec eux, et seulement
avec eux. N'est-ce pas, Mame Chabot ? N'est-ce pas, Msieur Poivre d'Arvor ? Comme s'il était en train de se tromper d'émission. Comme s'il pensait se trouver
à un entraînement avec les sparring-partners habituels. Mais Chabot et Poivre ne sont d'aucun secours. Ils n'existent plus dans le débat que par ces regards-là.
Dès les premières secondes, ils ont perdu pied. Ils avaient dessiné un beau cadre, pour un beau débat bien ordonné, en plusieurs parties. Elle l'a fait
voler en éclats dès le début, en piétinant les plates-bandes, mélangeant tout, convoquant d'emblée la policière violée de Bobigny, pour le mettre hors
de lui d'entrée, le pousser à la faute sur le terrain de la sécurité. Tant pis, tant mieux. Le voilà dès lors obligé, en permanence, de galoper d'un coin
à l'autre du terrain. Et on dirait qu'il les prend à témoin, les arbitres, les copains, les partenaires habituels. Eh ! Camarades ! Vous ne voyez pas que
ça part dans tous les sens ? Vous ne voudriez pas faire quelque chose pour moi ? On aurait presque envie de le recadrer : mais enfin, aujourd'hui, ils
n'ont pas le droit Nicolas ! Ils n'ont pas le droit de chuchoter avec toi. Ils n'ont pas le droit de recueillir tes confidences. Aujourd'hui Nicolas, il
faut faire semblant de ne plus les connaître. Tu es dans la cour des grands, Nicolas. Tout seul face à elle, la martienne, l'imprévisible. Tu vas sûrement
y arriver, depuis le temps que tu t'y prépares.
Et derrière l'épaule de Chabot et PPDA, c'est toute la grande armée médiatique que semblent aller chercher, en filigrane, les regards du candidat. Ah !
le beau rêve ! Les voyez-vous, les hussards, les dragons, la garde ! Quelle belle armée, qui lui fit une si jolie campagne. Ah ! les croissants avec Elkabbach
et Lagardère, entre hommes, entre amis, entre frères d'armes, après l'interview du matin sur Europe 1. Ah ! les consensus réconfortants d'après interview
sur la nullitude de la concurrente. Ah ! la bienveillante neutralité du Monde tout au long de la campagne, son indulgente surdité après les dérapages sur
le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, sur la génétique, ou sur l'Allemagne. Ah ! la tendresse complice de l'ami Giesbert, les belles
photos songeuses en couverture du Point, et ces graves questions au dos des kiosques : «Peut-il perdre ?» Ah ! la vigilance sourcilleuse des gardiens du
CSA, qui savent toujours si bien comprendre sans qu'il soit besoin de rien leur demander. Ah ! l'immense armée des humbles de la presse, des embedded, circonvenus
à coups de tutoiement, d'embrassades, de confidences, d'attentions. Ah ! les complicités du matin, au départ de l'avion ou de l'autocar. Ah ! les attentes
partagées, les fous rires.
Bien sûr, aussi, les coups, la dureté du combat. Ce directeur de Match, à qui il fallut bien faire payer l'affront d'avoir publié une photo sacrilège. Les
mouches de Plantu, jusqu'alors réservées à Le Pen. La cruauté quotidienne des Guignols de Canal +. Les mesquines investigations immobilières du Canard
enchaîné, heureusement promptement étouffées par le reste de la presse. Les portraits chargés de Marianne, heureusement désamorcés par leur excès. Les
escarmouches avec Demorand, le matin, sur France Inter, heureusement apaisées après le round d'observation. Les coups de fil à Edouard de Rothschild, qui
se retrouvent sur Internet. Et Internet, justement, espace incontrôlable, anonyme, espace de tous les traquenards, heureusement incapable de se hausser
(mais pour combien de temps ?) jusqu'à l'audience des «grands médias».
Voilà, peut-être, à qui s'adressaient les mystérieux regards de Nicolas Sarkozy, pendant que son adversaire, elle, ne le lâchait pas des yeux. Et maintenant
que roulent les dés...
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