l'éditorial de Jean Daniel!
Vendredi 4 mai 2007
L'éditorial de Jean Daniel
Le choc des valeurs
J'écris en ignorant ce que le grand débat qui opposera ce 2 mai 2007, à la télévision, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy pourra changer dans les prévisions
des sondages qui donnent la candidate socialiste perdante de peu, de très peu, mais perdante. Je suis de plus en plus certain, en revanche, après avoir
vu et entendu samedi dernier le dialogue entre Ségolène Royal et François Bayrou, que leurs électeurs peuvent vivre ensemble, qu'ils constituent une majorité
d'idées qui donne à la candidate socialiste de vraies chances de l'emporter, et je voudrais que ce journal et mes écrits puissent y contribuer.
J'ai donc envie, rejoignant une fois encore les appels de Jacques Delors, de m'adresser à ceux de nos lecteurs qui ont voté pour François Bayrou, afin
de leur dire pourquoi je souhaite que Ségolène Royal arrive à l'Elysée et que l'accès en soit refusé à Nicolas Sarkozy. Cette dernière idée, celle d'écarter
Nicolas Sarkozy, ne s'était pas imposée, en tout cas chez moi, comme absolument prioritaire. Je n'ai jamais pensé que l'avènement de sa présidence constituerait
une apocalypse. Nous vivons sur une île européenne privilégiée, au milieu d'un océan de malheurs, de deuils et d'injustices, et il y a une certaine indécence
à trop dramatiser le sort qui nous est réservé. Je ne suis même pas entièrement sûr que, une fois élu, M. Sarkozy deviendrait réellement plus dangereux
que tous les précédents présidents de droite. Nous assistons bien, dans cette élection, à un choc des valeurs, mais il serait malhonnête d'oublier qu'elles
ont changé.
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La droite qu'on ne pouvait que combattre si l'on était socialiste, de gauche ou républicain, c'était celle qui a été d'abord nostalgique de l'Ancien Régime,
viscéralement contre-révolutionnaire, gouvernée par les « 200 familles » abritées derrière le « mur d'argent » et soutenues par une Eglise catholique puissante
et xénophobe qui n'avait pas encore été visitée par le grand pape Jean XXIII.
viscéralement contre-révolutionnaire, gouvernée par les « 200 familles » abritées derrière le « mur d'argent » et soutenues par une Eglise catholique puissante
et xénophobe qui n'avait pas encore été visitée par le grand pape Jean XXIII.
La droite, assurément, a changé. Elle est désormais plurielle, selon la définition rendue classique par René Rémond qui vient de nous quitter. Elle peut
se dire antitotalitaire, républicaine et laïque. Par mauvaise conscience, elle peut être culturellement libérale, volontiers compassionnelle et parfois
bien disposée en faveur du mécénat. Mais il faut bien dire que la droite de M. Sarkozy a opté pour une conception dominatrice du capital, un primat des
valeurs de compétition au détriment des valeurs de solidarité et une soumission assumée à n'importe quelle forme de l'économie de marché. Il est difficile
de penser que le candidat de la droite puisse ou veuille échapper à un univers dominé par les grands groupes financiers et industriels qui possèdent de
plus une grande partie des médias et de l'édition dans notre pays.
M. Sarkozy suscite d'autre part des craintes précises. On peut prévoir pour lui les pires difficultés lorsqu'il lui faudra apporter une solution au problème
explosif des banlieues, aux yeux desquelles il est, à tort ou à raison, devenu l'homme à abattre. Sur le plan international, ses dérapages verbaux, souvent
injustement exploités en France, l'ont véritablement discrédité en Afrique et dans le monde arabe. Presque partout ailleurs sauf aux Etats-Unis, son image
est tout simplement désastreuse. Il est l'allié de l'ancien président du gouvernement espagnol José Maria Aznar et de l'ancien président du Conseil italien
Silvio Berlusconi.
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se dire antitotalitaire, républicaine et laïque. Par mauvaise conscience, elle peut être culturellement libérale, volontiers compassionnelle et parfois
bien disposée en faveur du mécénat. Mais il faut bien dire que la droite de M. Sarkozy a opté pour une conception dominatrice du capital, un primat des
valeurs de compétition au détriment des valeurs de solidarité et une soumission assumée à n'importe quelle forme de l'économie de marché. Il est difficile
de penser que le candidat de la droite puisse ou veuille échapper à un univers dominé par les grands groupes financiers et industriels qui possèdent de
plus une grande partie des médias et de l'édition dans notre pays.
M. Sarkozy suscite d'autre part des craintes précises. On peut prévoir pour lui les pires difficultés lorsqu'il lui faudra apporter une solution au problème
explosif des banlieues, aux yeux desquelles il est, à tort ou à raison, devenu l'homme à abattre. Sur le plan international, ses dérapages verbaux, souvent
injustement exploités en France, l'ont véritablement discrédité en Afrique et dans le monde arabe. Presque partout ailleurs sauf aux Etats-Unis, son image
est tout simplement désastreuse. Il est l'allié de l'ancien président du gouvernement espagnol José Maria Aznar et de l'ancien président du Conseil italien
Silvio Berlusconi.
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Si, pourtant, ces préoccupations n'étaient pas absolument prioritaires à mes yeux, c'est que j'ai deux convictions. Le redressement de la France dépend
de deux transformations essentielles. D'abord, que les syndicats deviennent dix fois, vingt fois, cinquante fois plus forts, sans quoi aucune réforme ne
sera jamais possible pour aucun gouvernement. Ensuite, que la gauche puisse être rénovée et entièrement repensée grâce à un nouveau Parti socialiste. Avec
son score du premier tour, la candidate socialiste a sans doute déjà sauvé son parti de la division, peut-être même de l'explosion. Mais si, de plus, elle
pouvait l'emporter le 6 mai, alors, elle aurait réussi à maintenir vivante une espérance sans laquelle il n'est plus de salut démocratique. Voici longtemps
que les réformateurs se demandent comment transformer le vieux Parti socialiste en une jeune formation sociale-démocrate.
Ce n'est plus avec la nostalgie refoulée d'une stratégie de rupture avec le capitalisme que l'on peut sauver les 15% de Français qui vivent dans la pauvreté
et l'inquiétude, ni que l'on arrivera, pour ne parler que de ce qu'il y a de plus urgent, à réduire le chômage en attendant de diminuer la dette. En inventant
la formule «oui à l'économie de marché, non à la société de marché», Lionel Jospin avait pressenti que le Parti socialiste actuel était confronté aux besoins
d'un véritable aggiornamento doctrinal. Car il ne s'agit de rien de moins que d'imaginer une nouvelle pensée fondatrice dont le principal handicap est
qu'elle ne peut même plus se targuer des réussites, aujourd'hui disparues, de l'Etat-providence ni des exploits des Trente Glorieuses. Ce problème, ajouté
à celui de la mondialisation, est d'ailleurs pris en considération par toutes les social-démocraties européennes, même nordiques.
Ségolène Royal a compris qu'il lui fallait défendre audacieusement sa liberté, non seulement pour conquérir son parti de l'extérieur mais parce qu'elle
a réalisé à quel point elle est l'héritière de cette espérance de renouveau de l'idée socialiste. Or je pense depuis toujours, c'est mon critère essentiel,
que tout ce qui va dans ce sens mérite d'être soutenu. C'est pourquoi je guette les mesures projetées - d'ailleurs encore trop timides à mes yeux - qui
confirment les intentions de repenser le socialisme, chaque fois que Ségolène Royal parle de dialogue social, de pacte collectif, de « remise à plat »
avec tous les acteurs sociaux et économiques, même pour les questions des heures supplémentaires, des revenus, des salaires, des retraites et de la fiscalité.
Elle découvrira sur le terrain qu'il ne suffit pas de relever les salaires pour provoquer de la croissance. Mais lorsqu'elle évoque la nécessité pour les
salariés de devenir partie prenante dans la responsabilité de l'entreprise, et lorsqu'elle complète la notion libérale «à chacun selon son mérite» non
seulement par «à chacun selon ses besoins» mais surtout par la formule «à chacun selon ses droits», alors, il me semble que nous pouvons raisonnablement
parier sur une rénovation progressive de la pensée socialiste. Et je serais heureux que cette rénovation soit incarnée par une femme, cette femme, Ségolène,
notre candidate.
Jean Daniel
Le Nouvel Observateur
Le Nouvel Observateur
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