Comment vit-on avec le SMIC?
vendredi 4 mai 2007
Il concerne 15,1% des Français
Comment vit-on avec le smic ?
Trop cher pour les patrons et trop bas pour les employés, le smic aura été l'un des enjeux de la campagne. Alors que la part des travailleurs, payés au
salaire minimum, a explosé en dix ans, enquête sur ces Français qui vivent avec 984 euros par mois
Trop cher pour les patrons et trop bas pour les employés, le smic aura été l'un des enjeux de la campagne. Alors que la part des travailleurs, payés au
salaire minimum, a explosé en dix ans, enquête sur ces Français qui vivent avec 984 euros par mois
Faut-il augmenter le smic ? Donner un coup de pouce au salaire des 2,3 millions de Français qui gagnent 984 euros net par mois (1 254,28 en brut) ? Nicolas
Sarkozy y est hostile. Il reste fidèle à sa ligne : « Il faut travailler plus pour gagner plus », grâce aux heures supplémentaires. Mesurée, Ségolène Royal
entend porter le smic à 1 500 euros brut, d'ici à la fin de la législature, seulement. En revanche, elle ne compte pas se limiter au salaire minimum :
elle veut « tirer vers le haut tous les salaires, notamment ceux qui sont juste au-dessus du smic ». Si elle est élue, elle réunira une conférence nationale
sur les revenus dès le mois de juin. Peu à peu, la France devient un pays de smicards. Notre pays compte aujourd'hui 15,1% de smicards, contre 11,2% en
1995. Une proportion supérieure à celle des autres grands pays. Les raisons ? Chaque année, le smic augmente plus vite que le salaire horaire (1). Il concerne
donc de plus en plus de Français.
D'autre part, les gouvernements successifs ont engagé une baisse des charges patronales depuis 1993 pour réduire le coût du travail des salariés peu ou
non qualifiés. Aujourd'hui, cette réduction des cotisations patronales est dégressive jusqu'à 1,6 smic. Effet pervers : les chefs d'entreprise donnent
peu ou pas d'augmentations, pour éviter de perdre ces exonérations de charges sociales. La CGT et la CFDT demandent la remise à plat des baisses de charges,un
magot compris entre 20 et 23 milliards d'euros. Sans doute faut-il mieux les cibler. Mais tous les experts sont formels : si cette politique est remise
en cause, ce sont des centaines de milliers d'emplois qui seront supprimés. « Si on continue à augmenter le smic, il faut poursuivre la baisse des charges,
affirme Nicolas Bouzou, directeur de la société de prévisions Asteres. Le nud du problème, c'est notre taux de chômage. S'il n'y avait pas de tensions
sur le marché du travail, il n'y aurait pas de tensions sur les salaires. » Pour Jean-Christophe Casset, de Natexis, « il y a ce qui est socialement souhaitable
et ce qui est économiquement raisonnable ». Pas facile à faire comprendre, alors que les PDG du CAC 40 perçoivent en moyenne chaque année l'équivalent
de 298 salaires minimum, c'est-à-dire plus par jour ouvrable que la rémunération annuelle d'un ouvrier ! Sans parler des parachutes dorés
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Martine Gilson
(1) Chaque 1er juillet, le smic est revalorisé par décret, en fonction de l'inflation. La hausse annuelle du pouvoir d'achat des smicards ne peut être
inférieure à la moitié de l'augmentation du pouvoir d'achat des salaires horaires ouvriers. S'il le souhaite, le gouvernement peut donner « un coup de
pouce ».
inférieure à la moitié de l'augmentation du pouvoir d'achat des salaires horaires ouvriers. S'il le souhaite, le gouvernement peut donner « un coup de
pouce ».
Sabrina
« Le 20 du mois, je vis déjà sur mon découvert »
Quand elle emménage il y a cinq ans dans ce 20-mètres carrés, au cinquième sans ascenseur, près de la porte Clichy à Paris, Sabrina n'a qu'un meuble, un
lit. Enfin, un clic-clac. Viendront ensuite la télé et une chaise, à crédit. 28 ans, un bac pro
en hôtellerie, un anglais parfait, elle est réceptionniste dans un grand hôtel parisien. Elle gagne le smic, enfin, un peu plus, 1 200 euros, avec une
prime d'ancienneté, une prime « repas », 4 euros par déjeuner ou dîner, et une prime de fin d'année. Elle travaille 39 heures mais, dans ce secteur, ce
ne sont pas des heures supplémentaires.
Une semaine, elle débute à 7 heures et finit à 16 h 15, la suivante elle travaille de 13 h 45 à 23 heures. Deux jours de réduction du temps de travail
par mois.
Dans son appartement, elle s'ennuie, quand elle ne travaille pas. Alors, elle descend prendre un café, avec un bouquin. « Sinon, j'ai le cafard », dit
cette jolie fille d'origine mauricienne. « Pour les fringues, j'ai de la chance. Ma sur est modéliste. Elle m'en passe. » Les chaussures ? « J'en achète
deux paires par an, pour le travail. Sinon, je suis toujours en baskets. »
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Forcément, quand elle touche sa paie, elle doit déjà déduire son loyer, 500 euros ; l'électricité : entre 30 et 60 euros tous les deux mois ; le téléphone :
40 euros. Une saisie sur salaire de 152,16 euros, pour régler ses dettes. « Dès le vingtième jour du mois, je vis sur le découvert autorisé par la banque,
300 euros. »
Alors, quand elle déjeune ou dîne chez elle, Sabrina se fait des pâtes. De temps en temps, elle achète des fruits frais. Elle « grignote ». Quand elle
travaille, son entreprise lui propose bien un plat du jour, pour 5 euros. « Mais le soir, c'est difficile, à l'accueil. Ça ne se fait pas de manger devant
des clients. Il y a bien un paravent derrière lequel on peut se cacher, mais ce n'est pas pratique. »
Les loisirs ? « Le week-end, quand je peux, je vais chez mes parents, en banlieue. Avec les copains, on se paie bien
un restau de temps en temps. En cinq ans, je suis partie deux fois en vacances, deux semaines. La première fois, c'était
à l'île Maurice. C'est mon père qui a payé le voyage. Les fêtes ? Heureusement que j'ai ces horaires. Je ne peux pas sortir, je suis crevée. »
Il y a peu, elle est tombée amoureuse du bagagiste de l'hôtel, smicard lui aussi. Il a la chance d'être propriétaire d'un 50-mètres carrés à Belleville.
C'est son père qui l'a payé. Depuis, Sabrina rêve. Des dettes qu'elle va pouvoir rembourser, du loyer qu'elle n'aura plus à payer. Mais quand elle voit
une jolie paire de chaussures à 40 euros, elle ne se précipite pas dans le magasin. L'habitude.
40 euros. Une saisie sur salaire de 152,16 euros, pour régler ses dettes. « Dès le vingtième jour du mois, je vis sur le découvert autorisé par la banque,
300 euros. »
Alors, quand elle déjeune ou dîne chez elle, Sabrina se fait des pâtes. De temps en temps, elle achète des fruits frais. Elle « grignote ». Quand elle
travaille, son entreprise lui propose bien un plat du jour, pour 5 euros. « Mais le soir, c'est difficile, à l'accueil. Ça ne se fait pas de manger devant
des clients. Il y a bien un paravent derrière lequel on peut se cacher, mais ce n'est pas pratique. »
Les loisirs ? « Le week-end, quand je peux, je vais chez mes parents, en banlieue. Avec les copains, on se paie bien
un restau de temps en temps. En cinq ans, je suis partie deux fois en vacances, deux semaines. La première fois, c'était
à l'île Maurice. C'est mon père qui a payé le voyage. Les fêtes ? Heureusement que j'ai ces horaires. Je ne peux pas sortir, je suis crevée. »
Il y a peu, elle est tombée amoureuse du bagagiste de l'hôtel, smicard lui aussi. Il a la chance d'être propriétaire d'un 50-mètres carrés à Belleville.
C'est son père qui l'a payé. Depuis, Sabrina rêve. Des dettes qu'elle va pouvoir rembourser, du loyer qu'elle n'aura plus à payer. Mais quand elle voit
une jolie paire de chaussures à 40 euros, elle ne se précipite pas dans le magasin. L'habitude.
Daniel
« Nous nous habillons à la Croix-Rouge »
Il dit qu'il a « la grande chance » d'avoir un congélateur. Daniel, 34 ans, une femme, Nathalie, 34 ans aussi, deux enfants de 3 et 7 ans, est responsable
des jardins dans une société de services à domicile. Quand il
touche sa paie 1 158 euros net y compris les heures supplémentaires, nombreuses , ce banlieusard du Val-de-Marne commence par payer ses factures. Le
loyer, 637 euros, l'électricité. Et puis, il file chez Lidl et remplit son congélo pour le mois. La viande ?
Il l'achète chez un boucher qui fait des « colis » de 9 kilos pour 33 euros.
Bien sûr, il perçoit les allocations familiales et une aide au logement : 314 euros. De temps en temps, son patron lui donne une prime, entre 50 et 150
euros, pas tous les mois. Il lui a aussi offert un abonnement pour son portable, et prêté une voiture, du lundi au vendredi. Mais Nathalie, nourrice agréée,
vient de perdre son job. Certes, bientôt, elle recevra des indemnités (690 euros). En attendant, il se prive parfois de déjeuner. Une devise : pas d'emprunt,
pas de dettes.
Pas question de demander « l'aumône » à ses parents. « Ils m'ont élevé en se privant. » Son père, retraité, lui apporte des légumes de son potager. Et
les grands-parents emmènent les petits en vacances, l'été, pendant
un mois. Des vacances, le jeune couple n'en a pas pris depuis sept ans. L'été, ils se
promènent, font du vélo, ne regardent pas trop la télé. Pas de restau, pas de cinéma. Des soirées entre copains, chez les uns ou
les autres. Le dimanche, Daniel accompagne son fils regarder le match de foot du coin ou lui apprend à jouer à la pétanque. A Noël,
ils offrent bien des jouets à leurs enfants, « une fausse Barbie » pour la petite fille. Mais pour ses parents, il se contente de pochettes avec des jeux,
Bingo, Millionnaire, Tac o Tac. « On s'habille à la Croix-Rouge, explique-t-il. Mais quand ma femme voit dans un magasin une jolie jupe que je ne peux
lui offrir,
ça me fait mal au cur. »
Daniel et Nathalie ne se plaignent pas pour autant. « Je veux progresser, dit-il. On n'a rien sans rien. » Les salaires des PDG, les
parachutes dorés ? « Je n'y connais rien. S'ils gagnent autant, c'est qu'ils le méritent. Non ? » Leur bonheur, leur fierté, ce sont leurs enfants. « Sur
le dernier bulletin scolaire de mon fils, le directeur a écrit : "C'est la locomotive de la classe", c'est un savant. »
Martine Gilson
« Nous nous habillons à la Croix-Rouge »
Il dit qu'il a « la grande chance » d'avoir un congélateur. Daniel, 34 ans, une femme, Nathalie, 34 ans aussi, deux enfants de 3 et 7 ans, est responsable
des jardins dans une société de services à domicile. Quand il
touche sa paie 1 158 euros net y compris les heures supplémentaires, nombreuses , ce banlieusard du Val-de-Marne commence par payer ses factures. Le
loyer, 637 euros, l'électricité. Et puis, il file chez Lidl et remplit son congélo pour le mois. La viande ?
Il l'achète chez un boucher qui fait des « colis » de 9 kilos pour 33 euros.
Bien sûr, il perçoit les allocations familiales et une aide au logement : 314 euros. De temps en temps, son patron lui donne une prime, entre 50 et 150
euros, pas tous les mois. Il lui a aussi offert un abonnement pour son portable, et prêté une voiture, du lundi au vendredi. Mais Nathalie, nourrice agréée,
vient de perdre son job. Certes, bientôt, elle recevra des indemnités (690 euros). En attendant, il se prive parfois de déjeuner. Une devise : pas d'emprunt,
pas de dettes.
Pas question de demander « l'aumône » à ses parents. « Ils m'ont élevé en se privant. » Son père, retraité, lui apporte des légumes de son potager. Et
les grands-parents emmènent les petits en vacances, l'été, pendant
un mois. Des vacances, le jeune couple n'en a pas pris depuis sept ans. L'été, ils se
promènent, font du vélo, ne regardent pas trop la télé. Pas de restau, pas de cinéma. Des soirées entre copains, chez les uns ou
les autres. Le dimanche, Daniel accompagne son fils regarder le match de foot du coin ou lui apprend à jouer à la pétanque. A Noël,
ils offrent bien des jouets à leurs enfants, « une fausse Barbie » pour la petite fille. Mais pour ses parents, il se contente de pochettes avec des jeux,
Bingo, Millionnaire, Tac o Tac. « On s'habille à la Croix-Rouge, explique-t-il. Mais quand ma femme voit dans un magasin une jolie jupe que je ne peux
lui offrir,
ça me fait mal au cur. »
Daniel et Nathalie ne se plaignent pas pour autant. « Je veux progresser, dit-il. On n'a rien sans rien. » Les salaires des PDG, les
parachutes dorés ? « Je n'y connais rien. S'ils gagnent autant, c'est qu'ils le méritent. Non ? » Leur bonheur, leur fierté, ce sont leurs enfants. « Sur
le dernier bulletin scolaire de mon fils, le directeur a écrit : "C'est la locomotive de la classe", c'est un savant. »
Martine Gilson
Sylviane
« Nous ne sommes jamais partis en vacances »
Sylviane trouve encore la force d'en rire. Souvent, même, pour « éviter le misérabilisme ». Parfois pourtant le rire grince : « Je trouve inadmissible
à notre époque, en France, d'en arriver là. » Là, c'est-à-dire à l'approche de la soixantaine, d'être obligée de compter sans arrêt, de se priver de tout
pour offrir le minimum à ses deux enfants, des adolescents, qui
vivent encore avec elle et François, son mari. Lui gagne un tout petit peu plus que le smic : 1 050 euros net par mois. Elle, beaucoup moins : 560 euros
avec les allocations familiales
et une pension d'invalidité. Elle ne peut plus travailler. Une dépression nerveuse : cette ancienne et coquette VRP d'une grande marque de cosmétiques,
à la défaveur d'une restructuration, a perdu son emploi au milieu des années 1980. Malade, elle n'en a pas retrouvé.
Mariés depuis dix ans, Sylviane et François vivent dans un logement social, un T4 dans une petite ville du Périgord. Lui est manutentionnaire, à quinze
kilomètres de là. « Il a bien fallu acheter une voiture, la plus petite possible, mais neuve, pour éviter les frais de réparation. Elle ne lui sert qu'à
ça : aller au travail. » Les autres déplacements ? En transports en commun. Les vacances ? « Depuis que nous sommes mariés, nous ne sommes jamais partis.
» Il y a deux ans, Sylviane a dû être hospitalisée, pendant un mois, à une centaine de kilomètres de leur domicile. François a paniqué devant les frais
que cette hospitalisation entraînait. Alors il a pris un crédit consommation dans une grande surface. Avec un taux d'intérêt avoisinant les 20%, ils en
ont encore pour deux ans à rembourser.
« Le salaire de mon mari passe entièrement dans les remboursements de crédit et les frais fixes, dont les 264 euros de loyer mensuel restant, une fois
enlevées les APL. » Alors, pour la nourriture et les vêtements « Nos enfants aimeraient bien porter des marques, ils doivent faire des stages en entreprise
où il faut bien présenter. Ils se contentent de ce que l'on peut trouver dans des magasins de discount. Ce n'est pas facile pour eux, surtout quand chez
leurs copains de lycée ils voient les jeux, les vêtements de marque. » Discount encore pour la nourriture : « Ce n'est pas toujours très bon. En plus les
ados sont des gros mangeurs » Sylviane et François font durer leurs vêtements, le plus possible. Françoise ne sort pas, ou si peu. « Comme j'ai grossi
du fait de ma maladie, je porte les vêtements de grossesse de ma fille ainée qui a plus de 30 ans, une bonne situation et deux enfants. Mais je ne lui
ai jamais parlé de nos difficultés financières, je n'ai pas à l'embêter avec ça. »
Robert Marmoz
Martine Gilson, Robert Marmoz
Le Nouvel Observateur
Le Nouvel Observateur
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