De Bécassine à la Chrysalide d'une Grande présidente!
Vendredi 4 mai 2007
La chronique de Jacques Julliard
Le big-bang de Ségolène
Eh bien, dites-moi, pour une femme naïve, incompétente et inexpérimentée, une gourde, une Bécassine enfin, comme disent aimablement les vieux machos de
la politique, Ségolène Royal ne se débrouille pas trop mal. C'est le moins que l'on puisse dire. La manière dont, en quelques heures, elle a pris acte
de la situation créée par l'effondrement des extrêmes et par la montée du centre au soir du premier tour témoigne en vérité d'un sens tactique et d'un
esprit de décision exceptionnels, qui en font la digne fille de François Mitterrand.
Que s'est-il passé dimanche ? Un bouleversement de notre paysage politique, tout simplement. Le Pen n'est plus une menace. L'extrême-gauche est en charpie.
En revanche, François Bayrou existe au centre. A partir de là, la stratégie d'union de la gauche élaborée par François Mitterrand lors du congrès d'Epinay
(1971) n'avait plus de sens puisqu'elle ne permettait plus aux socialistes de parvenir à la majorité. Au moment d'Epinay, l'extrême-gauche communiste représentait
plus de 20% des électeurs. Aujourd'hui, dix fois moins ! Le PCF n'est plus une force politique d'avenir. C'est un vestige archéologique. A l'image de Jean-Luc
Mélenchon, «dinosaure chez qui la réalité met longtemps à arriver jusqu'au cerveau» (Laurent Joffrin), les éléphants socialistes ont poussé un long barrissement
quand ils ont vu leur candidate se tourner vers François Bayrou et lui proposer un débat public. Sans barguigner, sans négocier secrètement, sans consulter
personne.
Début du flash Macromédia
Fin du flash Macromédia
Début du flash Macromédia
Fin du flash Macromédia
Depuis le début de sa campagne, Ségolène Royal a su conserver une liberté de manoeuvre par rapport aux apparatchiks de son parti, qui sont des entraves
beaucoup plus que des soutiens. La rénovation idéologique et politique du Parti socialiste, que Léon Blum à la Libération et Michel Rocard dans les années
1990 n'étaient pas parvenus à réaliser de l'intérieur, la frêle, la candide, la rusée Ségolène l'a, sans phrases, entreprise de l'extérieur : aligner la
social-démocratie française sur ses homologues européens ; ouvrir la France sur le monde ; concilier la justice sociale avec la modernisation économique
; oser devenir ce que l'on est, selon le mot de Bernstein.
A laisser se développer sans réagir l'entreprise centriste, le socialisme courait le risque d'être marginalisé. Qu'on ne s'y trompe pas. L'alliance qui
se cherche entre Ségolène Royal et François Bayrou est purement tactique : chacun ou chacune embrasse son rival mais c'est pour l'étouffer. Car la case
du centre gauche, qui, dans un pays comme la France, représente l'avenir, ne saurait accueillir deux partis à la fois.
Dans toute alliance politique, il y a un cavalier et un cheval, une partie dominante et une partie dominée. L'ambition de François Bayrou et du centrisme,
qui est grande, est de remodeler la vie publique française selon un schéma tripartite, avec un parti central dominant s'appuyant alternativement sur une
aile gauche et sur une aile droite. Jean Peyrelevade, qui fit jadis partie du cabinet de Pierre Mauroy et qui est devenu récemment l'un des lieutenants
de François Bayrou, l'a dit nettement : «Je n'ai pas envie que le centre continue à être la force supplétive de la droite. Je n'ai pas envie non plus qu'il
devienne la force supplétive de Mme Royal. Il faut installer le centre en force autonome» (« le Monde », 26 avril 2007). Et François Bayrou a mis les points
sur les « i » : «Je ne parle pas de force centriste mais de force centrale.»
AP_ALL_FORUM_CHA_PAVE_0706/54forums300_voiture
beaucoup plus que des soutiens. La rénovation idéologique et politique du Parti socialiste, que Léon Blum à la Libération et Michel Rocard dans les années
1990 n'étaient pas parvenus à réaliser de l'intérieur, la frêle, la candide, la rusée Ségolène l'a, sans phrases, entreprise de l'extérieur : aligner la
social-démocratie française sur ses homologues européens ; ouvrir la France sur le monde ; concilier la justice sociale avec la modernisation économique
; oser devenir ce que l'on est, selon le mot de Bernstein.
A laisser se développer sans réagir l'entreprise centriste, le socialisme courait le risque d'être marginalisé. Qu'on ne s'y trompe pas. L'alliance qui
se cherche entre Ségolène Royal et François Bayrou est purement tactique : chacun ou chacune embrasse son rival mais c'est pour l'étouffer. Car la case
du centre gauche, qui, dans un pays comme la France, représente l'avenir, ne saurait accueillir deux partis à la fois.
Dans toute alliance politique, il y a un cavalier et un cheval, une partie dominante et une partie dominée. L'ambition de François Bayrou et du centrisme,
qui est grande, est de remodeler la vie publique française selon un schéma tripartite, avec un parti central dominant s'appuyant alternativement sur une
aile gauche et sur une aile droite. Jean Peyrelevade, qui fit jadis partie du cabinet de Pierre Mauroy et qui est devenu récemment l'un des lieutenants
de François Bayrou, l'a dit nettement : «Je n'ai pas envie que le centre continue à être la force supplétive de la droite. Je n'ai pas envie non plus qu'il
devienne la force supplétive de Mme Royal. Il faut installer le centre en force autonome» (« le Monde », 26 avril 2007). Et François Bayrou a mis les points
sur les « i » : «Je ne parle pas de force centriste mais de force centrale.»
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Malgré ses apparences de nouveauté et la séduction qu'il exerce sur tous ceux qui ont oublié ou qui ignorent le passé, un tel schéma conduit fatalement
à l'immobilisme. Il ramène la gauche, toute la gauche, qu'elle soit radicale ou réformiste, à un statut de force d'appoint. Les couches populaires seraient
rapidement les grandes sacrifiées de ce redéploiement, qui les placerait en marge du jeu politique. Dans le domaine institutionnel, c'en serait fait de
l'alternance, qui est l'inestimable héritage que nous a laissé de Gaulle. C'est elle qui donne à la vie démocratique sa clarté et sa stabilité. Elle nous
a valu un demi-siècle de paix civile. Elle est le patrimoine commun de tous les démocrates.
On peut cependant applaudir aux efforts d'émancipation du néocentrisme de François Bayrou (démocratie chrétienne traditionnelle plus social-bobocratie)
à l'égard de la droite. Il a bien montré comment le sarkozysme, qui constitue un projet de société cohérent, représenterait à terme une sorte de totalitarisme
doux où les pouvoirs politique, économique, financier et médiatique seraient concentrés dans les mêmes mains. Telle est la fonction actuelle du centrisme :
empêcher cette concentration.
Mais au-delà, holà ! Pas question de laisser le centrisme prendre la place du socialisme comme force alternative au grand parti conservateur qui s'est
constitué autour de Nicolas Sarkozy. Seul le Parti socialiste, à cause de sa tradition historique - on ne saurait trop souligner l'imposture que constitue
pour le candidat de droite la continuelle référence à Jaurès -, à cause de son ancrage dans les classes salariées et chez les travailleurs intellectuels,
à cause de la conception qu'il se fait du rôle de l'Etat dans l'administration de la justice sociale, est capable de constituer une alternative crédible
et durable au grand parti conservateur de Nicolas Sarkozy. A condition qu'il se réforme. Moins, du reste, dans ses textes fondateurs que dans ses moeurs
et ses manières de penser : de tous les partis français, le PS est aujourd'hui celui dans lequel l'écart entre la pensée et le discours est le plus grand.
C'est bien la peine d'avoir résisté au stalinisme et au cléricalisme pour se complaire ainsi dans la bigoterie et le double langage.
Pour s'être appuyée sur une pratique du parler-vrai, la candidature de Ségolène Royal a produit sur le PS un big-bang dont les ondes n'ont pas fini de
se propager. Le parti devrait lui être reconnaissant de lui avoir évité l'humiliation d'une deuxième élimination au premier tour. Ecartant résolument les
méandres interminables et stériles du débat doctrinal, à l'instar de François Mitterrand aux prises avec le Parti communiste, elle a fait, par nécessité
pratique, un véritable coup de force théorique. Ce à quoi, en effet, les nécessités de la situation électorale la contraignaient, c'est à un Bad Godesberg
à chaud. Une social-démocratisation « par la preuve ».
Tout dépend désormais du second tour. C'est risqué. C'est quitte ou double. Voilà pourquoi, dimanche, pas une voix d'homme de gauche conséquent et de centriste
sincère ne devrait manquer à Ségolène Royal.
à l'immobilisme. Il ramène la gauche, toute la gauche, qu'elle soit radicale ou réformiste, à un statut de force d'appoint. Les couches populaires seraient
rapidement les grandes sacrifiées de ce redéploiement, qui les placerait en marge du jeu politique. Dans le domaine institutionnel, c'en serait fait de
l'alternance, qui est l'inestimable héritage que nous a laissé de Gaulle. C'est elle qui donne à la vie démocratique sa clarté et sa stabilité. Elle nous
a valu un demi-siècle de paix civile. Elle est le patrimoine commun de tous les démocrates.
On peut cependant applaudir aux efforts d'émancipation du néocentrisme de François Bayrou (démocratie chrétienne traditionnelle plus social-bobocratie)
à l'égard de la droite. Il a bien montré comment le sarkozysme, qui constitue un projet de société cohérent, représenterait à terme une sorte de totalitarisme
doux où les pouvoirs politique, économique, financier et médiatique seraient concentrés dans les mêmes mains. Telle est la fonction actuelle du centrisme :
empêcher cette concentration.
Mais au-delà, holà ! Pas question de laisser le centrisme prendre la place du socialisme comme force alternative au grand parti conservateur qui s'est
constitué autour de Nicolas Sarkozy. Seul le Parti socialiste, à cause de sa tradition historique - on ne saurait trop souligner l'imposture que constitue
pour le candidat de droite la continuelle référence à Jaurès -, à cause de son ancrage dans les classes salariées et chez les travailleurs intellectuels,
à cause de la conception qu'il se fait du rôle de l'Etat dans l'administration de la justice sociale, est capable de constituer une alternative crédible
et durable au grand parti conservateur de Nicolas Sarkozy. A condition qu'il se réforme. Moins, du reste, dans ses textes fondateurs que dans ses moeurs
et ses manières de penser : de tous les partis français, le PS est aujourd'hui celui dans lequel l'écart entre la pensée et le discours est le plus grand.
C'est bien la peine d'avoir résisté au stalinisme et au cléricalisme pour se complaire ainsi dans la bigoterie et le double langage.
Pour s'être appuyée sur une pratique du parler-vrai, la candidature de Ségolène Royal a produit sur le PS un big-bang dont les ondes n'ont pas fini de
se propager. Le parti devrait lui être reconnaissant de lui avoir évité l'humiliation d'une deuxième élimination au premier tour. Ecartant résolument les
méandres interminables et stériles du débat doctrinal, à l'instar de François Mitterrand aux prises avec le Parti communiste, elle a fait, par nécessité
pratique, un véritable coup de force théorique. Ce à quoi, en effet, les nécessités de la situation électorale la contraignaient, c'est à un Bad Godesberg
à chaud. Une social-démocratisation « par la preuve ».
Tout dépend désormais du second tour. C'est risqué. C'est quitte ou double. Voilà pourquoi, dimanche, pas une voix d'homme de gauche conséquent et de centriste
sincère ne devrait manquer à Ségolène Royal.
Jacques Julliard
Le Nouvel Observateur
Le Nouvel Observateur
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