14 avril 2007

Revue de presse:Bécassine n'ets pas là où l'on croit!

Vendredi 6 avril 2007
 
 La chronique de Claude Weill
Cassez les dogmes !
La « Bécassine » de Laurent Joffrin, ce n'est pas Ségolène, c'est le PS
 
Et si le moment était enfin venu, pour la gauche, de mettre sa pensée en accord avec ses actes ? Si elle se décidait à jeter les oripeaux de l'orthodoxie
pour prendre à bras-le-corps les problèmes de notre temps ? C'est à quoi l'invite Laurent Joffrin, dans un essai alerte et vivifiant, « la Gauche Bécassine
» (1). Dissipons aussitôt le malentendu : la Bécassine dont il s'agit ici, ce n'est pas Ségolène Royal, qui elle-même n'a pas craint, à sa manière, de
donner des coups de pied dans les totems - et jusqu'ici, cela lui a plutôt bien réussi. C'est une gauche en panne de logiciel. Entravée par ses dogmes
(ou le poids des corporatismes), et pour qui la culture de gouvernement reste toujours vaguement suspecte. Une gauche « schizophrénique », « trop à gauche
dans l'opposition et trop à droite au pouvoir ».
Au départ de ce livre, il y a la colère de l'auteur devant la désinvolture avec laquelle fut traité le projet du Parti socialiste, sitôt rédigé sitôt oublié,
négligé par ses auteurs mêmes. Plus qu'un programme pour la France, ce projet était un symptôme : des hésitations stratégiques du PS et de ses divisions.
Un moratoire idéologique. Pour n'avoir pas à choisir entre une doxa dépassée et une social-démocratie décomplexée, les socialistes ont préféré repousser
un aggiornamento qu'ils savaient inéluctable. Et câliner les vaches sacrées. Le directeur de « Libération », lui, veut leur tordre le coup. Parce que les
illusions d'aujourd'hui sont les déconvenues de demain et les défaites d'après-demain.
 
cadre sans nom 1
fin du cadre sans nom 1
Non, l'école ne souffre pas seulement d'un manque de « moyens », comme le chante la ritournelle, mais aussi d'un rendement insuffisant, et les remèdes qui
marchent, qui ont marché ailleurs, se nomment (horreur !) : autonomie, responsabilité, reconnaissance du mérite. Non, le capitalisme (pourvu qu'il soit
contrôlé !) n'est pas l'enfer et il y a des vertus dans la recherche du profit, tant il est vrai que, comme le disait Adam Smith, « j'attends avec plus
de sérénité mon pain de l'égoïsme de mon boulanger que de son altruisme ». Non, ce n'est pas en rigidifiant le marché du travail que l'on crée des emplois,
et s'il suffisait de multiplier les obstacles aux licenciements pour réduire le chômage, il y a beau temps que la France en serait venue à bout. Non, la
réforme de l'Etat n'est pas une invention diabolique des méchants libéraux ; sauf à creuser les déficits, il faudra en passer par là si l'on veut retrouver
des marges d'action, répondre aux nouveaux besoins de la société et rendre au public le service qui lui est dû.
Qui aime bien châtie bien. Joffrin aime beaucoup la gauche... Le diagnostic est sans complaisance. Sera-t-il entendu ? Les circonstances, en tout cas, ont
rarement été si propices. La méfiance à l'égard de la droite et de la gauche « classiques », la percée de Bayrou, le succès du ségolénisme, l'éclatement
du camp antilibéral : tout dans cette campagne démontre - et notre sondage (p. 56)le confirme - que les lignes sont en train de bouger. Les dogmes s'effondrent.
Les vieux clivages craquent. Pour la gauche, qu'elle gagne ou qu'elle perde, c'est l'heure !
 
(1) Robert Laffont.
 
Claude Weill
Le Nouvel Observateur