14 avril 2007

Echos de campagne:le mirage centriste

Mardi 3 avril 2007   
 
La chronique de Jacques Julliard
Le mirage centriste
#reaction
Le centre comme appoint d'une majorité de gauche, pourquoi pas ? Mais l'inverse est impensable
 
Tous ceux qui ont gardé quelque souvenir de l'histoire de France depuis la Libération sont littéralement tombés de leur chaise en entendant François Bayrou
se réclamer de Pierre Mendès France (par exemple à Evreux le 12 mars). Car enfin, s'il est une famille politique qui a toujours poursuivi PMF d'une haine
farouche, à la limite du rationnel, c'est bien celle à laquelle appartient François Bayrou, qui s'est appelée MRP (Mouvement républicain populaire) sous
la IVe République, Centre démocrate à partir de 1966 et aujourd'hui UDF.
C'est le 4 février 1955 qu'eut lieu ce que les historiens, tels Jean Lacouture et Eric Roussel, ont appelé la « mise à mort » du président du Conseil, qui
incarnait alors l'espoir d'une rénovation de l'esprit et des moeurs de la République, avec un président du groupe MRP, Pierre-Henri Teitgen, qui aurait
déclaré, comme dans les romans d'Eugène Sue ou de Ponson du Terrail : «C'est ce soir ou jamais!» Entre Mendès et le MRP, deux cadavres en effet : la guerre
d'Indochine et la Communauté européenne de Défense (CED) ; et une menace : le projet prêté au premier de rétablir le mode de scrutin majoritaire, qui signifie
presque toujours la mort des partis centristes.
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On impute généralement au sectarisme socialiste le refus de collaborer avec le centre, qui, lui, ne demanderait pas mieux. La vérité est beaucoup plus complexe.
Déjà une première fois, la tentative de gouvernement de « troisième force » (1947-1951) vola en éclats quand le MRP rejoignit les gaullistes dans leur
projet de subvention aux écoles privées (loi Barangé).
On oublie en outre que l'intention annoncée par François Bayrou de créer un grand parti centriste a connu un premier avatar en 1965. La proposition fut
faite alors par un socialiste, et non des moindres, en l'occurrence Gaston Defferre, candidat à l'élection présidentielle : il s'agissait de créer une
« grande fédération », allant des démocrates-chrétiens du MRP aux sociaux-démocrates du Parti socialiste, en passant par les radicaux et autres centristes.
Or c'est l'opposition conjuguée des chefs MRP et de Guy Mollet qui eut raison de la tentative !
Somme toute, la famille que l'on appelle centriste - en vérité un centre-droit - s'est toujours rêvée plus à gauche qu'elle n'est en réalité, de par la
composition sociologique de son électorat et de par son comportement quand elle exerce le pouvoir. La plupart des élus centristes doivent leur élection
à un désistement de la droite classique. Combinant une sensibilité sociale avancée avec des réflexes politiques conservateurs, le centrisme vit dans un
tiraillement permanent qui faisait dire à Guy Mollet du MRP que c'était «un parti qui ne devrait pas exister» parce qu'il était structurellement incapable
d'aller au bout de ses intentions. Il a toujours été, comme Lâla, la femme idéale de Claudel, «la promesse qui ne peut être tenue».
Tel est le dilemme de François Bayrou, qui est assurément un homme de valeur et de bonne volonté. En attribuant à Pierre Mendès France, homme de gauche
convaincu, une formule d'Edgar Faure, prestidigitateur politique, partisan d'une alliance du centre avec la droite - s'appuyer sur des «majorités d'idées»
-, il a commis un lapsus révélateur. Car avoir des idées en commun ne suffit pas pour gouverner ensemble, en l'absence d'une coalition politique crédible.
Porté par la vague anti-partis, il propose d'en créer un de plus. Hostile à la tyrannie des partis, il veut rétablir la proportionnelle, qui signifie la
subordination totale des élus aux apparatchiks. En annonçant la création d'un grand parti démocrate, il offre aux socialistes le rôle amoindri de force
d'appoint. Lors des négociations inabouties de 1965 dont j'ai parlé plus haut, Jean Lecanuet avait déjà déclaré que les socialistes devaient se contenter
d'«être un apport, non un pivot».
Les « Gracques », ces hauts fonctionnaires de gauche partisans d'une alliance entre Bayrou et Ségolène, commettent la même erreur. L'idée que des centristes
puissent devenir un appoint dans une majorité de gauche ne me choque pas. Mais l'inverse est impensable. De par ses dimensions - entre 6% et 15% du corps
électoral - le centre peut espérer jouer un rôle utile, non un rôle majeur. J'ai rarement vu en tout cas qu'un lieutenant propose à un général de redevenir
colonel et encore moins que celui-ci accepte.
 
Jacques Julliard
Le Nouvel Observateur