14 avril 2007

Echos de campagne:C'ets moi la patronne!

 De la VIe République à « la Marseillaise »...
«C'est moi la patronne »
#reaction
A trois semaines du premier tour, Ségolène Royal a décidé de reprendre toute sa liberté. Quitte à tordre le bras de ses amis socialistes, François Hollande
en tête... Son arme secrète pour gagner ? Ne rien céder de sa propre musique et retrouver la magie des premiers jours
 
Scènes de la vie ordinaire au « 2-8-2 ». Comprenez : le 282, boulevard Saint-Germain à Paris, là où bat le coeur du ségolénisme réel. Jeudi 15 mars, en
milieu d'après-midi. Dans quelques heures, la candidate socialiste sera sur le plateau de France 2 pour une émission que l'on annonce décisive. Une de
plus ! Les sondages sont médiocres. La menace Bayrou se précise. Ségolène Royal en a marre. Comment tout gérer en même temps ? Les fiches qu'il faut relire.
Les argumentaires qu'il faut trier. Les conseillers qu'il faut écouter. L'éditeur de son livre qu'il faut rassurer et qui attend, au téléphone, d'ultimes
arbitrages. Quel titre ? Une photo sur la couverture ? A quand le bon à tirer ? Dans ce genre de situation, Ségolène Royal n'est pas du style à calmer
les esprits et à faire retomber le stress de ses proches. C'est son mode de fonctionnement. Pour se concentrer, elle a besoin d'aller jusqu'au bord du
gouffre. Là, sans crier gare, elle reprend sa chère liberté. «Maintenant, ça suffit. Je vais aller prendre l'air. Respirer. Courir...» Seule.
Même lieu, autre ambiance. Ce lundi 19 mars, la candidate a repris des couleurs. Le Conseil constitutionnel, en publiant la liste définitive des candidats
à la présidentielle, vient de lancer la vraie campagne. Fini le virtuel. Pour Ségolène Royal, c'est une autre histoire qui commence. Elle le dit, elle
le sent. Et, puisque les sondages sont à nouveau à la hausse, pourquoi laisser à d'autres le soin de commenter ce qui, au fond, ne relève que d'elle ?
Devant une poignée de journalistes convoqués dans l'urgence, Ségolène fait du Royal. Ah, les gammes ségolénistes à l'heure des confidences ! Une Assemblée
constituante pour fonder la VIe République ? Pourquoi pas ! Un jury populaire tiré au sort pour juger chaque année l'action de la présidente ? Et alors...
Plus tard sans doute faudra-t-il recadrer, préciser, nuancer ces propos. Mais tout cela semble tellement secondaire pour une femme qui croit à son destin,
reste persuadée de sa victoire et finit par dire l'essentiel au détour d'une phrase : «Ma liberté, c'est de ne pas me laisser formater l'esprit, et pour
cela j'ai besoin de rester au contact direct du peuple français.»
 
cadre sans nom 1
fin du cadre sans nom 1
Pour Ségolène Royal, la politique est un combat, et la présidentielle, la mère de toutes les batailles. Elle a choisi de la livrer à sa façon, sans s'en
laisser compter, et c'est sans doute ce qui inquiète tant les vieux pros du circuit et les adeptes impénitents des campagnes à l'ancienne. Pour comprendre,
il faut remonter aux conditions de sa désignation par les militants socialistes. A la Ségo des origines ! Au fond d'elle-même, la candidate n'a pas changé
depuis cette chevauchée victorieuse qui lui a permis d'écarter tous les éléphants du parti. Esprit de novembre 2006, esprit de mai 2007. La martingale,
à ses yeux, reste la même. Ou plutôt elle aurait dû rester la même. Jeanne d'Arc n'est pas, sous sa plume, une référence innocente. « La France présidente
», va-t-on lire sur ses affiches officielles. Les hiérarques du PS auraient préféré : « Le changement, le vrai ». Quant au bandeau en forme de programme,
il en a fait tousser plus d'un : « Familles, éducation, emploi, écologie ».
Quand elle commente, en cercle très privé, son parcours depuis le début de l'année, Ségolène Royal n'exprime qu'un seul regret. Celui d'avoir trop concédé.
Les débats participatifs ? Si cela n'avait tenu qu'à elle, ils auraient duré encore plus longtemps. L'appareil du parti ? Si cela avait été possible, elle
l'aurait tenu encore plus à distance, quitte à installer son siège de campagne beaucoup plus loin de cette rue de Solférino où, décidément, elle se sentira
toujours une intruse. Son pacte présidentiel, enfin ? Avec un peu plus de culot, elle l'aurait rédigé dans une rupture beaucoup plus nette avec les tables
de la loi du PS à l'ancienne.
Il y a quinze jours - c'était un samedi soir -, alors qu'il revenait d'une tournée dans le Nord, François Hollande l'a appelée sur son portable. La candidate
était dans sa cuisine et préparait à dîner pour un couple d'amis. Tu reviens à quelle heure ? On te garde à manger ? Le premier secrétaire, que les militants
du cru attendaient pour un couscous... royal, a quand même eu le temps de livrer quelques conseils avant de raccrocher. «Il faut que tu conserves ta petite
musique.» Du Mauroy dans le texte ! Et pour cause... Mais lorsqu'il a prononcé ces mots, Hollande n'était-il pas précisément au coeur du malentendu. Et
si, plus qu'une « petite musique », sa compagne avait décidé de faire entendre sa propre partition, avec si besoin tambours et trompettes, comme une «
Marseillaise » revisitée ?
On peut le dire autrement : Ségolène Royal ne se voit pas comme une petite cerise qu'on aurait posée sur le gros gâteau socialiste. Le caractère souvent
flottant de sa campagne, qui fait parfois douter les électeurs les mieux disposés à son égard, découle bien sûr de cette manière toute personnelle qu'elle
a de ne jamais laisser se figer la moindre situation, de cette mise en danger perpétuelle qui est aussi une façon de se construire dans la prise de risque.
Mais, avec la candidate socialiste, la psychologie n'explique pas tout. Quand ça flotte, ça n'est pas toujours dans sa tête. Entre elle et les siens, entre
la candidate et les dirigeants de son parti, il y a depuis toujours une tension implicite. Ils la regardent de haut, elle les observe du plus loin qu'elle
peut.
Dans leur comité de campagne du mardi après-midi, elle ne fait que passer. Et encore ! De moins en moins souvent. Comme pour une corvée. Quand elle a regroupé
les principaux d'entre eux dans un « comité stratégique », qui ne s'est jamais réuni, ils ont considéré qu'ils lui faisaient un cadeau dans l'urgence d'une
campagne qui tournait au vinaigre. Elle n'a pas attendu bien longtemps pour confier, sans sourciller, que cette réserve d'éléphants finalement portait
assez bien son nom et qu'il ne fallait pas compter sur elle pour la rouvrir à l'heure de la victoire. Tout cela est dit publiquement, avec parfois un peu
plus de formes. Quoique... Dominique Strauss-Kahn en a fait récemment la cruelle expérience. Il s'était vu comme le sauveur suprême, le joker de luxe de
la candidate. Celle-ci a laissé dire, et puis l'autre jour elle l'a fait venir à son côté, dans les Ardennes, pour le traiter illico comme un simple comparse.
«Dominique est étonnant, a-t-elle confié à un proche, en marge de cette petite virée. Il se croit plus intelligent que moi. Mais alors comment peut-il
vouloir être mon numéro deux?»
 
cadre sans nom 2
fin du cadre sans nom 2
On ne peut rien comprendre de la campagne hors normes que mène Ségolène Royal si on oublie cette dimension interne. Dans l'histoire du PS, c'est la première
fois que son champion n'est pas un ancien premier secrétaire. La candidate n'a réussi à s'imposer qu'en tordant le bras à l'appareil dans un rapport très
complexe avec l'opinion militante, à la fois éblouie par tant de popularité et séduite par cet art consommé de la transgression. Tout cela a laissé des
traces profondes que seul vient atténuer un désir commun de victoire. Si elle perd, ils plongeront tous. Si elle gagne, certains seront sauvés. Mais lesquels
?
Par tempérament, mais aussi par construction, Ségolène Royal vit dans la hantise de la mise sous tutelle. Ceux qui pensaient pouvoir introduire leur propre
logiciel dans une campagne qu'ils jugeaient soit inconsistante, soit insuffisamment structurée en ont été pour leurs frais. Combien ont cru un jour ou
l'autre qu'avec un peu de persévérence, une once d'habileté ou un brin de courtisanerie, ils allaient voir s'ouvrir toute grande la porte de la candidate
? Le ségolénisme est un cimetière d'ambitions déçues ou frustrées. Seul peut-être Chevènement, parce qu'il n'était plus rien et que tout lui est bonheur,
a su trouver discrètement cette distance complice qui est aussi chez lui le fruit d'une très longue expérience. Les autres vont, viennent et parfois disparaissent.
Comme le dit crûment Ségolène Royal : «C'est moi la patronne.»
C'est d'ailleurs avec ces mots-là qu'au plus dur du combat, alors que tout semblait prendre l'eau, elle a relancé - de manière décisive ? - cette campagne
que certains tentaient de lui soustraire. Le 14 mars au matin, en ouvrant les journaux, Ségolène Royal a constaté qu'elle faisait les gros titres mais
que les articles étaient remplis de propos tenus par les éléphants du parti. La veille, Hollande, Fabius, DSK et les autres avaient longuement débattu
du cas Bayrou devant le comité de campagne. Un adversaire de premier tour ou un allié de second ? Un homme de droite ? Un supplétif de demain ? Ce débat-là
avait des allures de précongrès. On revenait aux choses classiques. Sans la candidate. Juste au moment où elle comptait, dans une semaine décisive, installer
son «pacte» et sa logique du «donnant-donnant» au coeur de la présidentielle.
Les proches de Ségolène Royal jurent que ce jour-là elle a décidé de reprendre toute sa liberté et de ne plus s'essayer aux concessions boiteuses. Si l'on
regarde de près ses déclarations, si l'on observe l'allure de ses meetings, quelque chose en effet a changé. Plus qu'un virage, c'est une tentative de
retour aux sources afin de rallumer la magie d'autrefois. Celle qui s'était progressivement éteinte lors des premiers pas laborieux de cette étrange campagne.
La virée provençale de la semaine dernière est l'exact reflet de cette nouvelle ambition avec une candidate sans complexe, moins guindée, plus proche du
terrain et surtout capable, dans ses gammes sur l'identité nationale, de hisser bien haut les couleurs de son projet réel. Ce faisant, Ségolène Royal s'assume
totalement dans une dernière ligne droite où se joue son destin. Déconstruire toujours des synthèses qu'elle juge obsolètes. Tenter constamment d'en proposer
de nouvelles, plus baroques sans doute, mais toutes guidées par l'idée que, sans renouveau de la démocratie, il n'y a pas de solution à la grande dépression
française.
Tout cela arrive tard. Tout cela est risqué. Tout cela mériterait une précision dans l'expression que la candidate ne peut - ou ne veut - assumer. Tout
cela est ségolénien. Pour la suite, une chose au moins est claire : qu'elle gagne ou qu'elle perde, ça sera d'abord sa responsabilité. C'est d'ailleurs
bien comme ça qu'elle l'entend.
 
François Bazin