14 avril 2007

Echos de campagne:à moins de vingt jours du premier tour!

Jeuri 5 avril 2007
 
 Décryptage à trois semaines du premier tour
Pourquoi c'est dur et comment elle peut gagner
#reaction
 
Points forts
 
Une personnalité « hors norme »
Qu'elle fascine ou qu'elle consterne, Ségolène Royal s'est construit une image et un lien avec les Français qui laisse rarement une impression mitigée.
Audacieuse, intuitive et déterminée, la candidate socialiste a promis qu'avec elle la politique ne serait plus jamais comme avant. Et pour l'instant elle
tient parole. Quitte à bousculer son parti et son électorat traditionnel. De sa proposition d'encadrement militaire pour les jeunes délinquants il y a
un an à son souhait de voir un drapeau tricolore dans chaque foyer le week-end dernier, elle ne craint pas de lever des tabous, ni de chasser sur les terres
de ses adversaires. Depuis sa désignation, elle a su imposer son calendrier, dérouler sa méthode d'écoute participative, tenir le PS à distance, rappeler
les « éléphants », avant de finir par reprendre sa liberté… Tout n'est pas payant, mais son style lui a permis de se distinguer et d'incarner le renouvellement.
 
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Sa popularité reste forte
Après un an d'omniprésence médiatique, Ségolène Royal continue de faire salle comble et de susciter la curiosité. Dans les meetings, on vient encore pour
voir le phénomène. De Dunkerque à Rennes en passant par Dijon, les organisateurs sont souvent contraints de refuser du monde. Même ses scores « canon »
à la télévision témoignent, sinon d'une adhésion, au moins d'un intérêt. Après avoir dominé les sondages l'année dernière, la candidate socialiste a connu
une sérieuse chute en janvier. Mais elle s'est stabilisée depuis – autour de 25% d'intentions de vote au premier tour –, ce qui n'est pas le cas de ses
principaux rivaux. Enfin, Ségolène Royal, qui a fait de la reconquête des couches populaires sa priorité, continue d'enregistrer ses meilleurs scores chez
les jeunes, les employés et les ouvriers, même si son déficit chez les personnes âgées demeure inquiétant.
 
Son diagnostic sonne juste
Que s'est-il passé le 21 avril 2002 ? Mieux que d'autres au PS, Ségolène Royal a compris qu'en 2007 le candidat socialiste ne pourrait se contenter d'une
réponse traditionnelle (à gauche toute !) ou hors sujet (la social-démocratie sinon rien). En revisitant sans complexes le petit livre rose, elle n'a pas
hésité à trancher des débats que son parti avait soigneusement évités. Défiance à l'égard des élites (politiques comme patronales), sentiment de déclassement,
aspiration à l'ordre, elle a mis des mots sur les doutes et les peurs des Français et proposé des concepts pour y remédier : démocratie participative pour
répondre à la crise politique, logique du donnant-donnant pour endiguer la remise en question des solidarités, équité justifiée pour compenser les manques
d'un égalitarisme forcené. « Ordre juste, sécurité durable », « égalité pour tous, respect pour chacun »… ses premiers slogans ont fait mouche.
 
Points faibles
 
Une crédibilité encore fragile
Est-elle taillée pour le job ? Cinq mois après sa désignation par le Parti socialiste, la question reste posée. Victime de ses propres erreurs, d'un vieux
relent machiste, et de la dureté de la campagne interne, Ségolène Royal n'a pas su passer du statut de candidate souhaitable à celui de présidente crédible.
Ses approximations, son esquive des sujets économiques (retraites, fiscalité), ses excursions ratées sur la scène internationale ont semé le doute et fourni
des armes à ses adversaires. La publication de son pacte présidentiel début février a certes fait taire ceux qui lui reprochaient de ne pas avoir de projet.
Mais son brouillage idéologique et ses accents populistes continuent de désorienter une partie de son électorat, en particulier chez les cadres et les
diplômés. Allergique à toute forme de contrainte, Ségolène Royal, qui peut exceller dans les figures libres, est beaucoup moins à l'aise pour les figures
imposées : ses discours publics pèchent souvent autant sur le fond que sur la forme.
 
Une force de frappe trop molle
Cogner l'adversaire, rendre les coups, décocher des petites phrases ? Sûre de sa force, Ségolène Royal s'y refuse depuis toujours. La semaine dernière à
Marseille, elle a même interdit à ses partisans de huer le nom de ses rivaux. Ne parler que de soi, jamais de l'autre. La méthode lui avait plutôt réussi
dans la campagne interne, quand le combat tournait pour l'essentiel autour de ses propositions. Mais dans la confrontation présidentielle, c'est une autre
affaire. Faute de ripostes ajustées, elle a laissé Nicolas Sarkozy s'exonérer du bilan gouvernemental. Et à force de ne pas attaquer François Bayrou, elle
l'a laissé monter dans les sondages. Frustrante pour les militants, cette incapacité à porter le fer se double d'une impuissance à exploiter durablement
les dossiers d'actualité : l'affaire Airbus ne lui aura permis de reprendre la main que pendant trois jours. Quant à l'escamotage des chiffres du chômage
par le gouvernement, elle ne l'a même pas relevé…
 
cadre sans nom 1
fin du cadre sans nom 1
 
Un discours à géométrie variable
Elle parle, ils expliquent… C'est devenu un rituel chez les socialistes. Ségolène Royal réduira-t-elle la part du nucléaire dans notre production d'énergie
à 50% d'ici à 2017 ? Refusera-t-elle d'engager la construction d'un second porte-avions ? Convoquera-t-elle dès la prochaine législature une assemblée
constituante ? Régularisera-t-elle tous les parents sans papiers d'enfants scolarisés ? La « liberté » que prend la candidate avec son propre programme
donne du fil à retordre à ses porte-parole, qui ont parfois bien du mal à atténuer ou corriger ses propos sans la mettre en porte-à-faux. A mesure que
la campagne avance, de nouvelles propositions jaillissent, comme la VIe République, pourtant refusée par le Parti socialiste au congrès du Mans, quand
d'autres s'évanouissent : l'augmentation du smic à 1 500 euros, mal perçue dans l'opinion selon une étude menée par l'institut Médiascopie, a ainsi carrément
disparu du dernier tract de la candidate.
 
Et maintenant ?
 
Recadrer ou pas ?
100 propositions, c'est sans doute ce qu'il fallait en février pour faire taire les critiques sur l'absence d'idées de la candidate. Mais à trois semaines
du scrutin le pacte présidentiel se révèle presque trop copieux pour faire campagne. Tout se passe comme si la candidate avait brûlé les étapes, sautant
d'un discours sur les valeurs à un catalogue de mesures pragmatiques, sans jamais être passée par la case « projet ». Résultat, les militants ne savent
plus par quel bout prendre le pacte présidentiel. Certaines mesures restent obscures pour l'opinion : qui sait exactement ce que sont les 500 000 « emplois
tremplins » promis aux jeunes ? Comment fonctionnera la Sécurité sociale professionnelle ? Plus embêtant : Royal n'a pas su jusqu'à présent faire tourner
le débat autour de ses propositions, comme Bayrou l'a fait avec la dette, ou Sarkozy avec l'identité nationale. D'où l'idée avancée par certains socialistes
de recadrer son discours autour de quelques mesures fortes qui traduiraient un changement immédiat en cas de victoire.
 
Parler à la gauche ou parler aux Français ?
« Je suis une femme libre, ancrée dans mes convictions de gauche, mais ouverte sur le socialisme du réel et soucieuse de rassembler les Français bien au-delà
des clivages. » En brossant son autoportrait la semaine dernière à Aix-en-Provence, Ségolène Royal a montré qu'elle entendait dépasser dès à présent le
précepte de son mentor François Mitterrand : rassembler son camp avant de rassembler les Français. Depuis le début de sa campagne, la candidate a donné
quelques gages à la gauche, notamment sur le volet institutionnel, mais elle a refusé de se livrer à une surenchère sur le terrain économique et social.
Réaliste et moderne, ce refus des vieilles recettes et des clivages forcés comporte néanmoins un risque : il dilue les effets mécaniques de l'alternance
et cantonne Ségolène Royal dans le rôle de la candidate du renouvellement plus que du changement.
 
Avec qui gagner, avec qui gouverner ?
Depuis le début de sa campagne présidentielle, Ségolène Royal se garde bien de poser la question des alliances. Comme si l'essentiel avait été fait avant,
avec le ralliement automnal du trublion de 2002, Jean-Pierre Chevènement, et celui du Parti radical de Gauche. Le problème, c'est que cela ne suffit pas
: le total d'intentions de vote cumulé par les partis de gauche reste très faible (à peine 40% selon les sondages) et l'irruption d'un candidat centriste
à 20% a rebattu les cartes. « Tous ceux qui se reconnaîtront dans le pacte présidentiel auront vocation à rejoindre le gouvernement et la majorité présidentielle.
Je souhaite qu'elle soit la plus large possible », se contente de répondre la candidate socialiste. Avec qui gouverner ? La question se pose aussi en interne.
En rudoyant les poids lourds du PS, Ségolène Royal a renforcé son image de « femme libre » mais aussi souligné une certaine forme de solitude.
 
Matthieu Croissandeau
Le Nouvel Observateur