29 mars 2007

revue de presse:

En entonnant la trompette de l'"identité nationale", Nicolas Sarkozy amorce un tournant stratégique limpide : séduire les électeurs de l'extrême droite.
Mais le candidat de l'UMP ne s'est pas contenté de magnifier les valeurs républicaines comme ferment du "vivre ensemble" dont la France en crise a besoin.
Il a exprimé la volonté de créer un ministère chargé, outre l'immigration, de l'"identité nationale". Ce message a été délivré sur France 2, jeudi 8 mars,
sans susciter sur le moment la moindre interrogation, quelques heures après l'annonce du soutien de Simone Veil à la candidature de M. Sarkozy. Cette dernière
a du reste pris ses distances avec la formule de M. Sarkozy.
Si les mots ont un sens, quelle serait la fonction de cette administration voire, en son sein, du "directeur de l'identité nationale" qui devrait logiquement
y être nommé ? Poser cette question revient à se demander à quels moments de l'histoire une institution française d'Etat a été chargée d'un pareil enjeu.
Vichy n'est pas la seule réponse, car la crainte d'une dénaturation de la nation par l'immigration et la tentation de sélectionner les étrangers "bons pour
la France" est à peu près aussi ancienne que le phénomène des migrations modernes. Dès 1880, les Belges, parmi les premiers migrants, étaient traités de
"vermines". Dans l'entre-deux-guerres, "ritals" et "polaks" ont longtemps été considérés comme "inassimilables" tandis que juifs et Arméniens étaient accusés
d'"abâtardir la race".
Mais il faudra attendre 1945 pour qu'un organe de l'Etat républicain, le Haut Comité de la population, prône une sélection des étrangers basée sur leur
"assimilabilité". Dans cette logique, les Européens du Nord sont les mieux notés, à l'opposé des Africains du Nord, relégués pour cause d'"incompatibilité
entre l'islam et la civilisation européenne". Cette mécanique, défendue par une partie de l'administration, n'a jamais été appliquée. Parce que toute idée
de discrimination ethnique avait été bannie des ordonnances gaullistes de 1945 sur l'entrée et le séjour des étrangers. Et surtout parce que, dans l'euphorie
de la reconstruction puis des trente glorieuses, le patronat a opté pour la main-d'oeuvre bon marché, fût-elle considérée comme "indésirable".
En réalité, seul Vichy a développé des structures administratives à leur manière efficaces pour défendre une certaine conception de l'"identité nationale".
Le Commissariat général aux questions juives (CGQJ), créé en mars 1941, répondait, avant même d'être un outil au service de la politique d'extermination,
à l'objectif de purification de la nation française.
"Le tort que vous avez, c'est de ne pas être intégrés dans la nationalité française", répondait ainsi le maréchal Pétain au grand rabbin Isaïe Schwartz,
venu exprimer ses inquiétudes après la création du CGQJ. (Laurent Joly, Vichy dans la "solution finale", Grasset, 2006). Quant aux dénaturalisations infligées
sous l'Occupation, elles visaient officiellement des "émigrés d'Europe centrale dont l'assimilation était particulièrement difficile (...) avec une notable
proportion d'israélites" (Patrick Weil, Qu'est-ce qu'un Français, Grasset, 2002).
La France d'aujourd'hui n'est évidemment pas celle de 1940 et invoquer l'identité nationale dans le débat politique d'aujourd'hui n'est pas en soi sacrilège.
Pas innocent non plus. Confier à l'Etat la gestion d'une notion mouvante, qui n'appartient à personne en particulier - Ernest Renan comparait la nation
à une "âme" -, réduire la nation aux immigrés et feindre d'ignorer que ces derniers évoluent au contact de la société, c'est courir le risque de l'exclusion
et de l'arbitraire. Car l'organe - le ministère de l'identité - créerait la fonction : le tri de "bons" immigrés. "Lorsque l'Etat se mêle de l'identité,
cela donne des résultats terrifiants, incompatibles avec la démocratie", estime l'historien Gérard Noiriel qui vient de publier Immigration, antisémitisme
et racisme en France (Fayard, 600 p., 29 €). "Confier à l'Etat le soin de préserver une identité nationale qui n'est pas définissable, appuie Danièle Lochak,
professeur de droit à Paris-X et spécialiste de l'immigration, c'est franchir un pas dangereux qui fait penser à Vichy."
CHEVAL DE BATAILLE
La proposition de M. Sarkozy renoue avec une tentation politique plus contemporaine, qui avait saisi la droite dès 1984. Le Front national, inspiré par
les penseurs de la Nouvelle Droite, venait alors d'ériger la défense de l'identité française menacée, en cheval de bataille. Le RPR et Valéry Giscard d'Estaing
lui emboîtèrent le pas en prônant une réforme du code de la nationalité directement inspirée par Jean-Marie Le Pen. Déjà, la rhétorique de l'extrême droite
visait à substituer aux analyses économiques et sociales des difficultés d'intégration des immigrés, une grille identitaire et religieuse. C'est l'époque
où le député (UDF) Alain Griotteray proclamait l'inassimilabilité des "immigrés musulmans" et où Le Figaro magazine se demandait : "Serons-nous encore
français dans trente ans ?" Après la victoire de la droite aux élections législatives de 1986, Jacques Chirac, premier ministre de cohabitation, proposa
de supprimer l'automaticité du droit du sol pour les enfants d'immigrés. La révolte estudiantine contre un projet de réforme universitaire, marquée par
la mort du jeune Malik Oussekine, aura aussi pour conséquence de le contraindre au repli.
Vingt ans après, Nicolas Sarkozy reprend le flambeau, non sans avoir imperceptiblement franchi un cap. Cette fois, il brandit la menace sur l'identité nationale
non pour barrer l'accès à la nationalité française, mais pour empêcher l'entrée de certains étrangers sur le territoire. Oubliant au passage que les valeurs
républicaines dont il se réclame - égalité homme-femme, laïcité -, déjà fermement protégées par la législation, sont loin de ne concerner que les étrangers.
L'obligation de parler français et de suivre une formation civique, elle, est déjà obligatoire pour l'obtention d'une carte de résident. Le candidat UMP
veut en faire une condition a priori du droit au regroupement familial. La mère de Zidane ou les ancêtres de... M. Sarkozy parlaient-ils français à leur
arrivée en France ?
La nouvelle antienne du ministre candidat est pourtant habilement choisie : elle pointe les divisions de la gauche sur la question de l'assimilation, ses
hésitations à accepter la balance des droits et des devoirs. D'ailleurs, l'approbation, par une large partie de l'opinion publique, du lien entre immigration
et identité nationale inclut probablement des électeurs issus de l'immigration, soucieux de refermer la porte derrière eux. Les enfants de ceux-là mêmes
qui, récemment encore, étaient déclarés "inassimilables".
Article paru dans l'édition du Monde du 20.03.07.
De Philippe Bernard