28 mars 2007

Reflexions:Bayroupassé au banc d'essai

Mardi 27 mars 2007 
 
Jour j-26
 
Trois experts notent Bayrou
Pas de programme mais un projet. Pas de promesses mais des engagements. Le président de l'UDF a adopté la posture avantageuse du candidat raisonnable. Sur
l'éducation, les institutions, l'économie et le social, la réalité est un peu plus compliquée...
 
Institutions
« Une logique cachée »
par Dominique Reynié
François Bayrou propose de fonder une nouvelle République. Quels en sont les contours ? On note tout d'abord que le président restera élu au suffrage universel,
mais au terme d'une compétition qui maintiendra au second tour les candidats ayant dépassé 10% des suffrages exprimés lors du premier tour. Si ce système
avait été appliqué dès l'origine, trois candidats auraient été sélectionnés au second tour en 1965, 1969, 1974 et 2002, puis quatre en 1981, 1988 et 1995.
Jacques Duclos aurait été présent au second tour de 1969, Georges Marchais en 1981 et Le Pen en 1988, 1995 et bien sûr 2002. Une telle réforme ne peut
que réduire la base électorale du président élu qui pourra se contenter d'une majorité relative en l'emportant, par exemple, avec 38% des voix contre 32%
et 30% aux deux autres finalistes. L'affaiblissement du président sera encore plus marqué si, après avoir été lui-même élu par une majorité
relative, il se trouve face à une solide majorité parlementaire.
Ce nouveau Parlement sera d'autant plus fort que Bayrou veut renoncer aux instruments qui permettent à l'exécutif de tenir en respect une majorité ou d'accélérer
la décision parlementaire. L'article 49.3 et le vote bloqué seront supprimés. Aujourd'hui, ils font cesser les obstructions parlementaires et les débats
interminables. Dans la république de Bayrou, c'est le Parlement, et non plus le gouvernement, qui aura la maîtrise de son ordre du jour. Le gouvernement
devra donc compter sur la bonne volonté de sa majorité pour organiser le travail législatif. Le Parlement se verra également confier le droit de décider
d'un référendum. Autrement dit le président et le Parlement auront un pouvoir conjoint essentiel : celui de convoquer le peuple !
 
cadre sans nom 1
fin du cadre sans nom 1
Il y a en fait dans le projet Bayrou en matière institutionnelle une logique cachée. Elle consiste à radicaliser des évolutions déjà contenue dans le quinquennat.
Le grand perdant de cette nouvelle République ne peut être que le Premier ministre. D'ailleurs, le candidat UDF propose que désormais le chef de l'Etat
détermine et conduise la politique de la nation alors que cette mission est aujourd'hui confiée au gouvernement par l'article 20 de la Constitution. Tout
cela ne fonctionne toutefois que si le président peut s'appuyer sur une majorité fidèle ou tout au moins ouverte au compromis. D'où l'enjeu central de
la réforme du mode de scrutin pour les législatives.
Bayrou propose un système mixte, la moitié des députés étant élue au scrutin majoritaire et l'autre moitié à la proportionnelle. Cela introduit une vraie
rupture dans notre conception du gouvernement représentatif. En effet, la moitié des députés représenteront la nation, comme aujourd'hui, tandis que les
autres représenteront les différents « territoires », sans plus de précision. Le vote blanc sera reconnu comme un suffrage exprimé, ce qui réduira encore
la base électorale des élus. Le vote obligatoire est envisagé. En fait, la loi électorale sera si profondément modifiée qu'il est impossible d'anticiper
les effets sur notre vie politique. La réforme de mécanismes aussi délicats produit souvent des conséquences aussi lourdes qu'inattendues.
 
Professeur des universités à l'Institut d'Etudes politiques de Paris.
 
Economie et social
« Dans la lignée de Barre »
par Philippe Askenazy
Le projet de François Bayrou compose un programme économique financièrement tenable. Les mesures sont peu nombreuses et les dépenses nouvelles sont limitées.
Le revers en est son caractère conservateur. Ses propositions clés l'illustrent.
Sur le plan fiscal, le candidat de l'UDF propose une stabilisation du niveau des prélèvements qui peut apparaître comme une rupture avec la doctrine de
la droite française. Mais les éléments détaillés suggèrent un transfert partiel de la charge fiscale en faveur des plus riches dans le très incertain espoir
de faire revenir en France quelques exilés fiscaux. Sa réforme de l'ISF en est emblématique : d'un côté, il élargit sa base (plus de foyers seront redevables
et des exonérations seront supprimées), et de l'autre, il abandonne sa progressivité (un foyer possédant un patrimoine non professionnel de 100 millions
d'euros pourra gagner à la réforme, chaque année, l'équivalent de 130 années de smic).
Au centre du programme se trouve la réduction de la dette. Mais cette politique s'accompagne d'une dangereuse frilosité de l'investissement de l'Etat pour
le futur. Le cas de la recherche est frappant. Bien que revendiquant l'objectif de Lisbonne de 3% de la richesse nationale dévolue à la recherche, l'UDF
propose une hausse annuelle de 5% du budget de la recherche, bien inférieure aux préconisations du PS ou de l'UMP. Compte-tenu de la croissance économique
et de l'inflation, cela correspond en gros à un modeste 1% de croissance du budget en part de richesse nationale. A ce rythme, il faudrait au moins vingt
ans pour que la France espère se rapprocher des pays technologiques qui gagnent à la mondialisation (Allemagne, Etats-Unis, Scandinavie…). Générer de la
croissance est le vrai défi économique et la condition pour parvenir à réduire la dette.
Le « small business act » de Bayrou, projet ancien que Ségolène Royal porte également, pourrait soutenir la croissance des PME, en leur réservant une partie
des marchés publics. Mais la France ne peut pas décider cette politique, actuellement impossible dans l'Union européenne. En revanche, l'Etat français
serait compétent pour abattre les obstacles concurrentiels dans de nombreux secteurs (commerce, banque…) qui favorisent les rentes de quelques grandes
sociétés, pénalisent lourdement les PME, l'emploi et la croissance et participent de la vie chère en France ; mais Bayrou est muet sur ces barrières que
la droite française a érigées et maintenues, voire renforcées.
 
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Côté travail, comme le candidat de l'UMP, Bayrou est flou sur l'évolution du contrat de travail et refuse une hausse rapide du smic. Toujours comme Nicolas
Sarkozy mais de manière plus réaliste, il organise sans le dire la mort des 35 heures. En supprimant les charges sociales sur les heures supplémentaires
(sauf 10% retraite), une entreprise devient indifférente à payer une heure supplémentaire ou une heure normale. Une telle mesure pourrait participer d'un
« travailler plus pour gagner plus » ; mais, dans un pays qui détient avec la Grande-Bretagne le record d'inégalités de salaire mensuel en Europe, le candidat
de l'UDF n'aborde pas le cœur du problème : le temps partiel contraint. Il propose seulement un temps partiel plancher pour les hôtesses de caisse… que
les principales branches du commerce ont déjà mis en œuvre. Enfin, Bayrou retient un dispositif coûteux d'emplois francs ; il est pourtant démontré que
les effets d'aubaine associés à de tels outils non ciblés sont massifs.
Au total, ni libéral ni social, François Bayrou dessine un programme de droite classique dans la lignée d'un Raymond Barre. Trop prudent face aux enjeux
économiques de ce nouveau siècle.
 
Professeur à l'Ecole d'Economie de Paris, chercheur associé l'Institute for the Study of Labor de Bonn.
 
Education
« Aura-t-il le courage ? »
par Claude Allègre
Le Nouvel Observateur. – Comment jugez-vous les propositions de François Bayrou en matière d'éducation ?
Claude Allègre. – François Bayrou place la question de l'éducation au cœur de son programme. Cela correspond à sa sensibilité. Il ne propose ni de diminuer
le nombre d'enseignants ni d'augmenter leurs horaires. Il reprend la démarche que nous avons initié avec Jospin d'abord, moi ensuite d'une gestion prévisionnelle
des emplois pour éviter les coups d'accordéon. J'approuve ces choix.
N. O. – Plus précisément, y a-t-il dans son programme des propositions qui retiennent plus particulièrement votre attention ?
C. Allègre. – Oui, il y en a une qui me paraît essentielle et qu'il est le seul à proposer de manière aussi nette : c'est le rétablissement d'un examen
de lecture à l'entrée du collège. Je me félicite également qu'il ne rejette pas – comme d'autres ! – la carte scolaire aux orties mais qu'il se propose
de la rénover. Ce sont là des mesures qui, à mon sens, contribuent à stabiliser l'école républicaine telle que je la conçoit.
N. O. – Pas de désaccord donc ?
C. Allègre. – Surtout des interrogations. Bayrou aura-t-il le courage – ou l'habilité – de bousculer les corporatismes et les conservatismes pour faire
les réformes utiles ? La cogestion pour réformer est une bonne idée en principe lorsqu'on a affaire à des syndicats ouverts, comme pouvait l'être la CFDT
de Nicole Notat, mais j'ai des doutes que ça puisse marcher avec le Snes. Même s'il évolue actuellement dans le bon sens ! J'ai fait beaucoup plus de réformes
que François Bayrou, mais je ne recommande pas pour autant la stratégie d'affrontement que j'ai adoptée à l'époque et que je regrette. Mais tout cela est
du passé. François Bayrou n'est pas candidat pour être ministre de l'Education nationale mais pour être président. Je peux comprendre qu'il fasse de la
cogestion une ligne politique. Il se place là en héritier de Jacques Delors.
N. O. – Et en matière de recherche ?
C. Allègre. – Augmenter les moyens de la recherche publique c'est bien. Mais le problème numéro un, ce sont les universités, les salaires des enseignants,
la situation matérielle des étudiants, la gouvernance, etc. Il faut doubler leurs moyens financiers. C'est là que se prépare la France de demain sa capacité
à innover et à répondre au défi de la mondialisation. Et puis, François Bayrou doit s'exprimer sur les dossiers de fond qui détermineront notre avenir
: le nucléaire, les OGM, les cellules souches, les nanotechnologies… La France doit choisir entre la modernité et la peur de l'avenir.
N. O. – Ce programme éducatif est-il néanmoins réaliste ?
C. Allègre. – Il peut l'être mais à condition de donner au ministre chargé de l'Education nationale le temps d'engager une vraie action réformatrice en
lui garantissant d'emblée un maintien dans ses fonctions durant toute la durée du quinquennat. Je précise tout de suite que je ne suis pas candidat !
Propos recueillis par François Bazin
Ancien ministre, auteur de « 10 + 1 questions sur l'école », Michalon.
 
François Bazin
Le Nouvel Observateur