16 mars 2007

Echos de campagne:Sarkozy, la fin de l'ouverture,, direction le Droite extrême!

Jeudi 15 mars 2007
 
 C'est la fin de « l'équilibre »
Sarkozy : à droite toute !
#reaction
Parrainage pour Le Pen, « ministère de l'immigration et de l'identité nationale »... Pour sauver sa campagne, le candidat UMP a choisi sa stratégie : draguer
le FN et ses électeurs
 
Ah, le rire moqueur de l'extrême-droite quand on court après elle ! Quand Marine Le Pen entend, jeudi dernier, Nicolas Sarkozy proposer un « ministère de
l'immigration et de l'identité nationale », elle s'esclaffe : «Compte tenu de la politique qu'il mène et de ce qu'on fait à la France, ce n'est pas un
ministère qu'il doit créer, mais un musée de notre identité nationale!» Jean-Marie Le Pen, lui aussi, a le sourire : «Un ministère de l'Immigration? Quelle
bonne idée! C'est la nôtre depuis si longtemps!»
En lançant cette idée au cours de l'émission « A vous de juger » sur France 2, le jour même où Simone Veil prenait la présidence de son comité de soutien,
Sarkozy a «franchi une frontière», comme l'a immédiatement noté François Bayrou. Un ministère de l'Immigration ? Sarkozy l'avait déjà évoqué à plusieurs
reprises expliquant qu'il fallait, par souci d'efficacité, regrouper tous les services dépendant actuellement d'administrations différentes - Intérieur,
Affaires sociales, Quai-d'Orsay, Coopération, etc. Mais, cette fois, le candidat de l'UMP l'associe à l'identité nationale. L'expression n'est pas fortuite.
Elle sent son Le Pen à plein nez.
La question de l'identité nationale a été au coeur du débat sur la laïcité et le port du voile, il y a trois ans, mais personne alors, hormis le chiraquien
François Baroin, n'avait osé prononcer les mots tabous. Le non-dit arrangeait alors tout le monde à droite et à gauche. En choisissant ce thème, plutôt
que de parler d'intégration, et en l'associant délibérément à l'immigration - «amalgame assez ignoble» selon Ségolène Royal -, Sarkozy a indiqué clairement
qu'il chasse désormais sans vergogne sur les terres du Front national.
 
Faut-il que le candidat de l'UMP se sente menacé pour s'exposer ainsi et prendre le risque de choquer ! A gauche bien sûr : Hollande, Fabius ou Strauss-Kahn
ont ainsi dénoncé «un flirt poussé avec les thèses du FN» ou une attitude «détestable». Mais pas seulement à gauche. Jacques Chirac, dans son message d'adieu,
a mis en garde contre «les extrémismes». Visait-il Sarkozy ?
Quelques sarkozystes - très rares, il est vrai - expriment, sous le sceau de l'anonymat, un vrai malaise. «Il va trop loin», dit l'un de ceux-là. «Qu'est-ce
qu'on y fera, dans son ministère? On passera des tests d'identité nationale? Lesquels?» Un autre, député UMP qui n'est pas suspect de gauchisme, remarque
à mi-voix : «Il aurait pu parler d'identité républicaine. Ç'aurait été mieux» Mieux ? Sans doute. Mais tout dépend du but recherché.
Intervention personnelle pour débloquer des parrainages en faveur de Jean-Marie Le Pen, annonce d'un durcissement des conditions du regroupement familial
et maintenant l'identité nationale : le tout en une semaine ! Le virage est pris et bien pris. Certes, le ministre de l'Intérieur, fort de son analyse
sur le séisme du 21 avril 2002, n'a cessé, depuis son installation place Beauvau voici près de cinq ans, de traiter de sécurité et d'immigration au point
même d'élaborer une nouvelle loi - jugée inutile par les spécialistes - lors de son retour dans ce ministère. Il le proclame alors sans fard : il faut
récupérer les électeurs du Front national, «ramener les brebis égarées dans le camp républicain».
Mais, à cette époque, Sarkozy prenait encore des précautions. La suppression de la double peine ou sa prise de position en faveur du vote des étrangers
en situation régulière aux élections locales étaient destinées à séduire à gauche et au centre. «L'équilibre», disait-il. Manière de mieux faire passer
ses projets de loi et de se prémunir pour l'avenir : il avait déjà l'esquisse de sa stratégie présidentielle en tête. En résumé : après avoir fixé l'électorat
de droite, il ferait une campagne de rassemblement. «Je surprendrai», prévenait-il. En effet. Mais pas comme il le pensait.
Car rien dans cette campagne ne se passe tout à fait comme prévu. Nicolas Sarkozy demeure bien sûr le favori des sondages et il continue d'être en tête
au premier tour. Reste que, parmi les grands candidats, c'est lui qui a le plus perdu dans la dernière période. Est-ce l'effet de sa surexposition médiatique
pendant cinq ans ? Ou celui de sa campagne de rassemblement ? Le champion de la « rupture » déçoit-il lorsqu'il se mue en candidat de la continuité ? Malgré
des prestations médiatiques réussies, ses interventions ne font plus l'événement comme avant. Tout se passe comme si les Français, lassés de ne voir que
lui, avaient l'impression de le connaître par coeur. Et puis surtout il continue d'inquiéter.
Les ingrédients étaient réunis pour la percée de François Bayrou. Sarkozy ne l'a pas vue venir. Désormais, pour lui, l'enjeu est vital. Le candidat UMP
prend désormais au sérieux ce premier tour de la présidentielle, qu'il croyait jusqu'à présent acquis. Il l'aborde par la droite puisque Bayrou occupe
tout le centre. Chasser sur les terres de Le Pen, pense-t-il, est le seul moyen de se maintenir en tête du premier tour. Pour l'équipe Sarkozy, il «était
devenu urgent de contrer la progression - irrésistible? - du candidat UDF ».
Depuis quelques semaines, Sarkozy et les siens, encalminés dans une campagne atone, cherchaient une ou deux idées neuves pour réveiller l'opinion. Voilà
qui est fait ! Rien de tel que les bonnes vieilles recettes ! Entre 2002 et 2006, Sarkozy a pu éprouver les effets de ses « transgressions ». A chaque
fois qu'il a brisé des tabous - sur la loi de 1905, la discrimination positive ou la responsabilité des magistrats -, il en a tiré profit. En tout cas
dans les sondages.
«Le voilà revenu au centre du débat, se félicite le très droitier député UMP de Paris Claude Goasguen. Il fallait arrêter ce robinet d'eau tiède car, pour
l'eau tiède, Bayrou sera toujours plus fort que nous.» Aux yeux de l'équipe Sarkozy, la polémique aurait donc un double avantage. Tactique. Et électoral.
«Nicolas met la gauche face à ses lacunes et ses contradictions. Pendant longtemps, elle a refusé de voir le problème de l'immigration. On a vu le résultat!»,
dit Patrick Devedjian, conseiller politique de Sarkozy. Le calcul électoral, lui, est évident : «Sarkozy a soigneusement fabriqué une phrase pour notre
électorat, constate Olivier Martinelli, directeur de cabinet de Le Pen. Ou pour ces électeurs de droite qui hésitent encore entre lui et nous... Ce n'est
pas malhabile. Mais cela montre qu'il est coincé et qu'il cherche à se donner de l'air.»
 
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Corollaire de la montée de Bayrou, Sarkozy s'inquiète aussi pour la gauche ! L'ancien ministre Gérard Longuet, autre conseiller de Sarkozy, se dit ainsi
«extrêmement préoccupé par l'effondrement [sic] de Mme Royal». La perspective d'une présence de Bayrou au second tour est désormais prise très au sérieux.
«C'est une vraie crainte, poursuit Longuet, Bayrou n'hésitera pas à se faire élire par n'importe qui, sur n'importe quoi. Si Sarkozy devait affronter Bayrou,
il aurait tout le monde contre lui. Il devra alors gagner contre tous les autres.» Donc ne rien négliger : ratisser à droite et à l'extrême-droite. Et
se prémunir contre toute éventualité.
Sarkozy n'en est pas encore à envisager l'apocalypse : être éliminé dès le premier tour par la montée conjuguée des deux « troisième homme », Le Pen et
Bayrou... Pourquoi pas alors un second tour Royal- Bayrou ou Royal-Le Pen. Toutes les hypothèses courent, surtout si l'on estime, comme le porte-parole
du candidat UMP, Xavier Bertrand, que le FN est sous-estimé dans les sondages. Si Le Pen est plus haut qu'on ne le dit, alors Sarkozy n'est-il pas plus
bas qu'on ne le pense ?
Comme le dit Claude Goasguen, reprenant là une expression du politologue socialiste Gérard Le Gall : «La campagne est une vraie patinoire.» La sortie de
Sarkozy sur France 2 montre que lui-même n'exclut plus rien. Côté FN, on savoure du reste la panique de l'UMP : «J'avais dit en plaisantant qu'on aurait
peut-être un second tour Bayrou-Le Pen, s'amuse Marine Le Pen. Ça peut finir par être vrai, tant le système est rejeté!»
Jusqu'où ira Sarkozy ? Lorsqu'on posait cette question voilà deux ou trois ans, c'était à propos de son ascension. Aujourd'hui, la question vaut pour ses
dérives.
 
Carole Barjon, Claude Askolovitch
Le Nouvel Observateur