la gauche se relèvera t'elle, sans refondation profonde et chagement générationnel?
Regards croisés sur la crise de la gauche
L'un rêve, l'autre pas
Razzye Hammadi Stéphane Hessel
Razzye Hammadi Stéphane Hessel
RAZZYE HAMMADI, 28 ANS : contre les « malins »
Il est jeune, il est socialiste et il est en colère. Quand Razzye Hammadi part en guerre, généralement ça fait du bruit. Au PS, c'est encore la drôle de
guerre, et pourtant le président du Mouvement des Jeunes Socialistes ( MJS ) fait déjà un boucan du tonnerre. Depuis le temps qu'il se retient ! Pendant
la campagne, il a rongé son frein. Pas un seul jour sans qu'un propos de Ségolène Royal le fasse sursauter ou, pis, lui donne la nausée. Dictature de l'opinion,
dictature de l'image... Quand il repense à ces mois de frustration où il fallut se taire et faire le boulot militant comme si de rien n'était, Razzye Hammadi
soupire. Plus jamais ça ! Ségolène Royal, c'est sûr, il ne l'aime pas. Mais elle n'est pour lui que l'incarnation d'un mal qui touche presque tous les
leaders du PS. « Ils sont dévertébrés . Ils ne savent plus ce qu'ils pensent. Ils ne savent plus pourquoi ils se battent. » Lors de la dernière université
d'été du PS, fin août 2006, Razzye Hammadi a accueilli les confessions de Lionel Jospin. Et notamment ce mot qui, selon lui, dit tout : « En 2002, je ne
savais pas pourquoi j'étais candidat. » Qu'est-ce qui a vraiment changé en cinq ans ? Gagner ? Mais pour quoi faire ? Quand il regarde ses aînés, le patron
du MJS a le sentiment qu'ils l'ignorent. La victoire est un but qui a fini par se suffire à lui-même. D'ailleurs, ajoute Razzye Hammadi, ils ont appris
à jouer gagnant à tous les coups : « Combien de fois ne les ai-je pas entendus dire qu'après tout une défaite présidentielle n'était pas dramatique dès
lors qu'elle préservait les conditions d'un succès aux municipales ou au prochain congrès du PS ! » Mort du sens critique, épuisement des capacités d'indignation,
perte des repères idéologiques : Razzye Hammadi ne mâche pas ses mots, et c'est pour cela qu'il n'accepte plus de se taire. « Kouchner ? On le vire parce
qu'il accepte un strapontin chez Sarko. Mais il aurait été plus clair et plus compréhensible de l'exclure quand il prenait position pour la guerre en Irak
ou pour le CPE. » On lui a expliqué alors que ce n'était pas le moment, qu'il fallait être patient, et en tout cas plus habile. Pour les « malins » qui
gouvernent le PS, la seule fidélité qui compte dès lors que le débat d'idées disparaît est la « loi du clan » . Et qu'on ne vienne pas dire à Razzye Hammadi
que les idées de la gauche sont désormais obsolètes. « Quand on a élaboré le projet socialiste, l'année dernière , racontet-il, je croyais que tous les
présidentiables patentés allaient arriver avec des charrettes de propositions. Je n'ai rien vu venir. A chaque fois qu'on voulait aller au fond des problèmes
, on me disait que ce n'était pas le moment . » Le président du MJS a une formule qui fait mal : « Trois heures passées sur internet sont plus enrichissantes
que trois mois de débat au PS ! » Razzye Hammadi a 28 ans. Il ne rêve plus beaucoup. C'est bien là son problème...
Il est jeune, il est socialiste et il est en colère. Quand Razzye Hammadi part en guerre, généralement ça fait du bruit. Au PS, c'est encore la drôle de
guerre, et pourtant le président du Mouvement des Jeunes Socialistes ( MJS ) fait déjà un boucan du tonnerre. Depuis le temps qu'il se retient ! Pendant
la campagne, il a rongé son frein. Pas un seul jour sans qu'un propos de Ségolène Royal le fasse sursauter ou, pis, lui donne la nausée. Dictature de l'opinion,
dictature de l'image... Quand il repense à ces mois de frustration où il fallut se taire et faire le boulot militant comme si de rien n'était, Razzye Hammadi
soupire. Plus jamais ça ! Ségolène Royal, c'est sûr, il ne l'aime pas. Mais elle n'est pour lui que l'incarnation d'un mal qui touche presque tous les
leaders du PS. « Ils sont dévertébrés . Ils ne savent plus ce qu'ils pensent. Ils ne savent plus pourquoi ils se battent. » Lors de la dernière université
d'été du PS, fin août 2006, Razzye Hammadi a accueilli les confessions de Lionel Jospin. Et notamment ce mot qui, selon lui, dit tout : « En 2002, je ne
savais pas pourquoi j'étais candidat. » Qu'est-ce qui a vraiment changé en cinq ans ? Gagner ? Mais pour quoi faire ? Quand il regarde ses aînés, le patron
du MJS a le sentiment qu'ils l'ignorent. La victoire est un but qui a fini par se suffire à lui-même. D'ailleurs, ajoute Razzye Hammadi, ils ont appris
à jouer gagnant à tous les coups : « Combien de fois ne les ai-je pas entendus dire qu'après tout une défaite présidentielle n'était pas dramatique dès
lors qu'elle préservait les conditions d'un succès aux municipales ou au prochain congrès du PS ! » Mort du sens critique, épuisement des capacités d'indignation,
perte des repères idéologiques : Razzye Hammadi ne mâche pas ses mots, et c'est pour cela qu'il n'accepte plus de se taire. « Kouchner ? On le vire parce
qu'il accepte un strapontin chez Sarko. Mais il aurait été plus clair et plus compréhensible de l'exclure quand il prenait position pour la guerre en Irak
ou pour le CPE. » On lui a expliqué alors que ce n'était pas le moment, qu'il fallait être patient, et en tout cas plus habile. Pour les « malins » qui
gouvernent le PS, la seule fidélité qui compte dès lors que le débat d'idées disparaît est la « loi du clan » . Et qu'on ne vienne pas dire à Razzye Hammadi
que les idées de la gauche sont désormais obsolètes. « Quand on a élaboré le projet socialiste, l'année dernière , racontet-il, je croyais que tous les
présidentiables patentés allaient arriver avec des charrettes de propositions. Je n'ai rien vu venir. A chaque fois qu'on voulait aller au fond des problèmes
, on me disait que ce n'était pas le moment . » Le président du MJS a une formule qui fait mal : « Trois heures passées sur internet sont plus enrichissantes
que trois mois de débat au PS ! » Razzye Hammadi a 28 ans. Il ne rêve plus beaucoup. C'est bien là son problème...
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STÉPHANE HESSEL, 90 ANS : feu sur la V e République !
Stéphane Hessel a une façon très charmante de relativiser les défaites. C'est le fruit de l'expérience. Quand on lui parle de l'élection de Sarkozy, du
désarroi des socialistes et des éléphants en furie qui déjà pointent le bout de la trompe, il sourit et il raconte. La mort du Front populaire - il avait
alors un peu plus de 20 ans - et la montée des périls extérieurs. La chute de Mendès en 1955. L'éclatement des gauches en 1958, le retour de De Gaulle...
Stéphane Hessel a tout vécu, tout connu. Le plus souvent, à la place qu'il préfère : celle du simple militant. Aujourd'hui, l'ancien ambassadeur est devenu
le défenseur intraitable de la dignité des immigrés. Il parle de la présidentielle perdue comme d'un « choc », sans doute, mais qui ne lui rappelle en
rien ces moments « douloureux » d'autrefois où le sol semblait s'ouvrir sous ses pas. Gauche année zéro ? L'expression l'intrigue. Défaite de la pensée
? Allons donc ! « Nos fondamentaux n'ont pas changé . Justice, égalité , démocratie . Pourquoi aller chercher plus loin ? » Stéphane Hessel préfère parler
de cycle. Il y en a un qui s'achève et un autre qui s'ouvre. Et puisqu'il faut donner des noms, ce sera ceux de François Hollande et de Ségolène Royal.
Le premier secrétaire incarne « une période révolue » : « C'est cruel, car en partie injuste. Mais c'est ainsi... » L'ex-candidate, elle, a commencé à
« renouveler la pensée de gauche » au cours de sa campagne : « Il faut qu'elle continue. » Stéphane Hessel pose sur son parti - le PS - un regard à la
fois indulgent et sans illusions. Du 14 e arrondissement de Paris, où il milite, il n'est guère compliqué, il est vrai, de vérifier à la fois ses vertus
et ses tares . « Il y a de la démobilisation dans l'air », reconnaît-il. Mais il considère que tout cela est très conjoncturel. Ou tout au moins secondaire
par rapport à d'autres enjeux qui, eux, mettent en cause la vitalité du parti. Quand il parle du PS, Stéphane Hessel évoque, bien sûr, son incapacité à
ouvrir les fenêtres : « Nos camarades européens ont évolué plus vite et plus fort. Qu'est-ce qui nous empêche de suivre leur chemin ? » Ces blocages découlent,
selon lui, du mode de direction du PS. « Pas assez de fermeté . Trop d'entorses à la solidarité . » Tout a commencé lors du référendum sur le traité européen,
quand quelques camarades - et non des moindres - ont combattu ouvertement la position du PS, voulue démocratiquement par ses militants. Cela, Stéphane
Hessel ne l'a pas oublié. Ni d'ailleurs pardonné. Mais pour aller au fond des choses, il préfère pointer la responsabilité de la Constitution de la V e
République dans le malaise persistant de la gauche. Mendésiste un jour, mendésiste toujours ! Stéphane Hessel, sur ce plan-là, n'a jamais changé d'avis.
Comment faire vivre l'esprit démocratique dans des institutions qui, au fond, ne le sont guère ? Comment gagner et durer avec ces règles-là sans vendre
son âme au diable ? Comment favoriser la participation des citoyens dans un système où le pouvoir personnel règne en maître ? Plus qu'une autre gauche,
Stéphane Hessel appelle une autre République. Il a 90 ans. Il rêve encore.
Stéphane Hessel a une façon très charmante de relativiser les défaites. C'est le fruit de l'expérience. Quand on lui parle de l'élection de Sarkozy, du
désarroi des socialistes et des éléphants en furie qui déjà pointent le bout de la trompe, il sourit et il raconte. La mort du Front populaire - il avait
alors un peu plus de 20 ans - et la montée des périls extérieurs. La chute de Mendès en 1955. L'éclatement des gauches en 1958, le retour de De Gaulle...
Stéphane Hessel a tout vécu, tout connu. Le plus souvent, à la place qu'il préfère : celle du simple militant. Aujourd'hui, l'ancien ambassadeur est devenu
le défenseur intraitable de la dignité des immigrés. Il parle de la présidentielle perdue comme d'un « choc », sans doute, mais qui ne lui rappelle en
rien ces moments « douloureux » d'autrefois où le sol semblait s'ouvrir sous ses pas. Gauche année zéro ? L'expression l'intrigue. Défaite de la pensée
? Allons donc ! « Nos fondamentaux n'ont pas changé . Justice, égalité , démocratie . Pourquoi aller chercher plus loin ? » Stéphane Hessel préfère parler
de cycle. Il y en a un qui s'achève et un autre qui s'ouvre. Et puisqu'il faut donner des noms, ce sera ceux de François Hollande et de Ségolène Royal.
Le premier secrétaire incarne « une période révolue » : « C'est cruel, car en partie injuste. Mais c'est ainsi... » L'ex-candidate, elle, a commencé à
« renouveler la pensée de gauche » au cours de sa campagne : « Il faut qu'elle continue. » Stéphane Hessel pose sur son parti - le PS - un regard à la
fois indulgent et sans illusions. Du 14 e arrondissement de Paris, où il milite, il n'est guère compliqué, il est vrai, de vérifier à la fois ses vertus
et ses tares . « Il y a de la démobilisation dans l'air », reconnaît-il. Mais il considère que tout cela est très conjoncturel. Ou tout au moins secondaire
par rapport à d'autres enjeux qui, eux, mettent en cause la vitalité du parti. Quand il parle du PS, Stéphane Hessel évoque, bien sûr, son incapacité à
ouvrir les fenêtres : « Nos camarades européens ont évolué plus vite et plus fort. Qu'est-ce qui nous empêche de suivre leur chemin ? » Ces blocages découlent,
selon lui, du mode de direction du PS. « Pas assez de fermeté . Trop d'entorses à la solidarité . » Tout a commencé lors du référendum sur le traité européen,
quand quelques camarades - et non des moindres - ont combattu ouvertement la position du PS, voulue démocratiquement par ses militants. Cela, Stéphane
Hessel ne l'a pas oublié. Ni d'ailleurs pardonné. Mais pour aller au fond des choses, il préfère pointer la responsabilité de la Constitution de la V e
République dans le malaise persistant de la gauche. Mendésiste un jour, mendésiste toujours ! Stéphane Hessel, sur ce plan-là, n'a jamais changé d'avis.
Comment faire vivre l'esprit démocratique dans des institutions qui, au fond, ne le sont guère ? Comment gagner et durer avec ces règles-là sans vendre
son âme au diable ? Comment favoriser la participation des citoyens dans un système où le pouvoir personnel règne en maître ? Plus qu'une autre gauche,
Stéphane Hessel appelle une autre République. Il a 90 ans. Il rêve encore.
François Bazin
Le Nouvel Observateur
Le Nouvel Observateur
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