13 juin 2007

Allègre amertume!

Allègre: «Le PS a fait de l'incompétence le gage de la démocratie»
Claude Allègre, fidèle de Jospin, critique François Hollande et Ségolène Royal.
Par Alain AUFFRAY
Aplusieurs reprises, Claude Allègre, fidèle de Lionel Jospin, a été contacté à par Nicolas Sarkozy qui aurait souhaité le nommer dans le gouvernement Fillon.
L'ancien ministre de l'Education nationale explique les raisons de son refus.
Que vous a proposé Nicolas Sarkozy ? 
Il m'a proposé d'être ministre. Le projet de réformer la recherche et l'enseignement supérieur français en y mettant des moyens importants, sur lesquels
il s'est engagé, est pour moi fondamental pour l'avenir de notre pays. Ce projet doit dépasser les clivages politiques. Pourtant j'ai décliné l'offre.
C'était une décision difficile. Il y a d'abord des réserves personnelles : je me suis beaucoup réinvesti dans des recherches que j'ai besoin de concrétiser.
Mais il y a, sur le fond, une autre réserve : mes convictions de gauche étant intactes, je pouvais difficilement m'engager à être solidaire de l'ensemble
de la politique gouvernementale. Cette politique, je ne la vois pas encore clairement. Même si Sarkozy a donné des garanties démocratiques.
Lesquelles ? 
Renforcer les droits de l'opposition parlementaire, lui confier la présidence de la commission des finances, l'associer aux nominations qui relèvent aujourd'hui
du seul président, limiter à deux les mandats du Président. En s'engageant sur tous ces points, il démontrait au moins qu'il ne commençait pas une carrière
de dictateur.
Où était, alors, le problème ?
Etre membre d'un gouvernement, c'est être solidaire. Or j'ai des interrogations sérieuses sur divers projets. Je n'ai pas envie de laisser démolir le code
du travail même si, c'est clair, il faut le modifier largement. L'instauration de peines incompressibles me pose aussi problème, même si je comprends qu'on
soit choqué par le laxisme de certains juges. Je n'exprime pas une hostilité de principe, je demande à voir... Il y a aussi de très bonnes choses dans
le programme de Sarkozy : les heures supplémentaires exonérées de charges. Et ce grand ministère confié à Juppé. C'est un projet formidable que j'avais
essayé de vendre à Jospin. Avec du courage et de l'imagination, il y a là un vivier d'un million d'emplois nouveaux ! Le ministère des Comptes de la nation,
c'est aussi une bonne idée.
Sarkozy aurait aussi voulu vous confier une mission de conseil et de préparation de la réforme de l'Université. Pourquoi avoir refusé ? 
Pour réformer l'Université et la Recherche je lui ai dit qu'il fallait au préalable s'engager à augmenter les salaires des enseignants et élever de 10 %
par an le budget. Il était prêt à signer, à l'écrire dans la lettre de mission. Je lui ai aussi expliqué que pour être efficace, il fallait un secrétariat
d'Etat rattaché à François Fillon, qui connaît parfaitement ces questions. Il est capable d'arbitrer en trois minutes. Et la mission ne pouvait exister
qu'en contrepoint d'une structure légère. Pour des raisons de quotas et d'équilibre politique, Sarkozy a décidé de créer un ministère de l'Enseignement
supérieur et de la Recherche. Dans ces conditions, il m'était difficile d'accepter une simple mission, même placée auprès de lui, car les interférences
et conflits possibles étaient trop probables.
Les législatives s'annoncent calamiteuses pour le PS, cela vous réjouit-il ? 
Bien sûr que non ! Sarkozy lui-même a besoin d'une véritable opposition. Sinon, il finira par avoir des problèmes avec les extrémistes de sa majorité. Pour
limiter la casse, il faut que le PS arrête avec l'opposition frontale pratiquée par François Hollande. Cela conduit à la catastrophe. Il faut que le PS
ait le courage de dire : «Nous serons l'opposition, mais chaque fois que des projets seront bons pour la France, nous les voterons.»
Hollande a donc tout faux ? 
Hollande a été un ami. Mais là, je suis vraiment fâché contre lui. Il nous a pris pour des imbéciles. Il a accumulé les combines, pensant qu'il finirait
par être désigné candidat. Il croyait que Royal allait s'arrêter. Elle n'a pas le talent nécessaire, mais une niaque pas possible. Mitterrand puis Jospin
avaient su, avec les groupes d'experts, attirer des talents. Hollande, lui, a préféré s'entourer de magouilleurs incompétents. On reste confondus d'apprendre
que le PS n'a rien demandé pour élaborer son programme à des gens comme Martin Hirsch, Jacques Attali, Hubert Védrine, Bernard Kouchner, Denis Olivennes
et tant d'autres, tous membres du PS. Le parti a fait de l'incompétence le gage de la démocratie, Ségolène disant même : «Nous n'avons pas besoin d'experts
!» Sarkozy a, lui, récupéré les compétences, en ayant le courage d'affronter ses partisans. Que Jean-Pierre Jouyet, le meilleur ami de Hollande soit passé
chez Sarkozy, c'est symbolique.
Si les socialistes sont si nuls, pourquoi voter PS ? 
Ce ne sont pas les socialistes qui sont nuls, c'est la direction du PS. Avant le congrès du Mans, nous avons eu le plus faible secrétariat national de notre
histoire. Mais il y a des députés, des maires qui font du très bon travail, qui défendent un idéal, des gens formidables. C'est cela le PS, pas les apparatchiks
parisiens !
Que va-t-il selon vous se passer ? 
Ségolène Royal risque de prendre le leadership de la gauche. Elle va tenter de refaire une sorte de FGDS (1). La seule personnalité qui puisse lui résister
aujourd'hui, c'est Bertrand Delanoë entouré de quelques jeunes comme Benoît Hamon, Stéphane Le Foll, Annick Lepetit, Clotilde Valter ou Harlem Désir. Il
pourrait rénover le PS. Il a des convictions authentiquement socialistes mais aussi la compétence et le talent. Car la rénovation du PS, ce ne sont pas
les vieux qui la feront. C'est aux jeunes de prendre la main.
Restez-vous au PS ? 
Je paie toujours mes cotisations. J'attends de voir ce qui va se passer. Si Bertrand Delanoë se lance...
(1) Leader de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste, François Mitterrand s'était porté candidat à la présidentielle de 1965, et rapproché du
PCF.