01 mai 2007

Comment battre Sarkozy?

Vendredi 27 avril 2007
 
Presque 26%, c'est un premier succès pour Ségolène Royal. L'affront de 2002 est effacé. Mais le plus dur reste à faire. Appeler à un front anti-Sarko ?
Nécessaire mais pas suffisant. Rassembler, de Besancenot à Bayrou, autour de son pacte présidentiel ? Un impératif. Pour gagner le 6 mai, il faudra aller
plus loin et, pour cela, la candidate socialiste est prête à briser bien des tabous
 

Cela ressemble à quoi une candidate qui se réjouit d'avoir passé l'obstacle et qui déjà regarde le suivant, sans qu'une fois encore elle fasse figure de
favorite ? Melle, dimanche 22 avril sur le coup de 18h40. Le verdict de cinq mois de campagne harassante, c'est un simple coup de fil. Premières estimations
des sondeurs. Soulagement et angoisse, dans un même mouvement. Avec 25,87% des voix, Ségolène Royal est qualifiée pour le second tour de la présidentielle.
L'humiliation de 2002 est désormais effacée. Jamais, si l'on excepte Mitterrand en 1988, un représentant du PS n'avait recueilli autant de voix dans une
compétition de ce type. Mission accomplie. Le vote utile a joué à plein. La machine socialiste est sauve et son avenir, pour l'instant, garanti. Le peuple
de gauche n'en espérait pas moins !
Mais il y a aussi le score de Sarkozy et il n'est guère réjouissant. Le candidat de l'UMP fait la course en tête. C'était prévisible. Ce qui l'était moins,
en revanche, c'est l'avance qu'il s'est assurée. 31,18%, soit cinq points de plus que Ségolène Royal. Dans l'entourage de la candidate, beaucoup avaient
jugé, jusqu'à la veille du scrutin, qu'au-delà, avec un écart plus large, la messe serait dite. On y est presque. D'où ce mot qui dit tout et qui sera,
à chaud, celui de la candidate avant d'être bientôt, sur tous les plateaux de télé, celui de ses porte-parole. Le second tour, fixé au 6 mai prochain ?
Il est encore «ouvert».
Dans ce genre de situation, la prudence commande d'abord de se taire pour mieux écouter les autres. A Melle, dans le huis clos de sa permanence où seuls
ont été admis sa garde rapprochée - Dray, Mennucci, Peillon... - et ses plus proches collaborateurs, Ségolène Royal va attendre plus de trois heures avant
d'abattre publiquement les premières cartes d'une partie à haut risque. A Paris où les éléphants du PS, réunis autour de Hollande, cachent mal leur pessimisme
(voir encadré), Bianco, l'un des directeurs de campagne de la candidate, dévide, impassible, la feuille de route qui lui a été dictée. «Courage» et «compétence» :
c'est sur ces deux thèmes-là qu'il va falloir broder dans la promotion de la nouvelle Ségo.
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Rien de bien original. A ce moment-là de la soirée électorale, alors que les dés commencent à peine à rouler sur le tapis vert de la politique, c'est ailleurs
que tout le monde regarde. Chez Sarkozy qui, devant les siens, au comble du bonheur, met son coeur sur la table sans pouvoir s'empêcher de rouler les mécaniques.
Chez Bayrou qui, fort de ses 18,55%, a choisi de camper sur l'Aventin pour ne pas gâcher, en quelques instants, un succès dont il ne sait encore que faire.
Chez Le Pen, dépouillé par l'UMP, comme le PC le fut autrefois par François Mitterrand. Chez les petits candidats de gauche et d'extrême gauche, enfin,
laminés dans les urnes et qui pourtant, les uns après les autres, vont apporter au PS et à sa candidate ce qu'ils n'avaient jamais offert à quiconque avec
une telle célérité, c'est-à-dire les quelque 11% de voix échappées à leur propre désastre (voir encadré).
Ce dimanche soir, à Melle, alors que Ségolène Royal lit et relit les notes qu'on lui a envoyées et qui forment la trame de sa première intervention publique,
tout est déjà sur la table. Des chiffres et des mots. Des dits et des non-dits. Tout cela forme l'équation du second tour. La candidate socialiste s'était
préparée au choc avec Sarkozy qui a toujours été pour elle l'hypothèse la plus probable. Avait-elle imaginée en revanche que le rassemblement qu'elle allait
devoir constituer dans l'urgence serait d'une telle complexité ? Deux questions le résument. Comment mettre sur pied un front anti-Sarko qui ne soit pas
dicté par la simple diabolisation d'un homme ? Comment entraîner, dans un rassemblement victorieux, des électorats aux attentes diverses et aux motivations
disparates sans donner pour autant l'impression d'un patchwork sans principe ni véritable élan ?
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C'est Hollande, alors que sa compagne n'avait encore rien dit, qui au nom du PS a esquissé la première réponse. Sarkozy ? Il est «le candidat sortant».
Celui qui porte seul, sur ses épaules, le bilan des années Chirac. Bref, il est l'unique obstacle au «vrai changement». Sur le danger représenté par le
champion de l'UMP, en raison de son caractère et de ses méthodes, le premier secrétaire n'a pas voulu trop en faire. Simple affaire de timing dans un second
tour qui ne fait que commencer ? Rien n'est moins sûr. Tant il est vrai qu'il y a chez les stratèges du PS, rejoints sur ce plan par Ségolène Royal, un
vrai doute sur l'efficacité d'une charge sans nuance visant à présenter l'adversaire sarkozyste comme un ennemi du même tonneau que Le Pen. Avant le premier
tour, les proches de la candidate signalaient déjà le risque de vouloir trop en faire dans l'anti-Sarko primaire. Au soir du 22 avril, ils n'avaient pas
changé d'avis. Avec toutefois cette interrogation qui dit la difficulté de l'exercice : y at-il encore le choix ?
Derrière la question Sarkozy, il y en a une autre qui, elle, relève de la pleine responsabilité de la candidate. Que faire avec Bayrou à partir du moment
où les réserves de la gauche sont désormais insuffisantes pour espérer franchir, le 6 mai, la barre de la majorité ? Avant le premier tour, il y avait
un doute. D'où les gammes discrètes de DSK ou les pavés inconscients de Rocard. Désormais, c'est une certitude. Sans l'appoint d'une large fraction de
l'électorat centriste, pas de salut possible. Pour les pointeurs ségolénistes, l'enjeu quasi unique de l'entre-deux-tours se situe dans la gestion politique
de ce capital en jachère que l'un d'entre eux découpait dimanche soir en trois parts inégales : «Sur ses 18%, il y a 10% d'UDF pur sucre qui reviendront
vers Sarko, 4% de bayrouistes de gauche qui devraient revenir à leur camp d'origine, 4% d'anti-sarkozystes de droite enfin qui jusqu'au bout balanceront
entre deux refus et dont le choix, au final, dira le nom du vainqueur. »
C'est sans doute là, dans cette arithmétique subtile des soutiens annoncés et des reports espérés, que Ségolène Royal a joué seule, dimanche soir, quand
il a bien fallu parler devant les caméras, l'essentiel de son destin. Entre le dédain affiché d'un Bayrou qui jusqu'au bout s'était imaginé comme le Henri
IV d'une Ve rénovée et la crispation d'un appareil PS plus apte à dresser des herses qu'à jeter des ponts, la voie était étroite et la ligne Royal, du
coup, est tombée en deux temps. Le premier, depuis Melle, sous la forme d'une longue intervention, pesée au trébuchet et qui visait à établir les bases
d'un programme commun de tous les anti-Sarko. Autour du même «pacte présidentiel» certes mais avec une autre hiérarchie des thèmes. Afin de bousculer «le
système», de déverrouiller la démocratie française, de garantir «l'Etat impartial», d'assurer sur l'Europe ou la question sociale le respect de «la parole
donnée».
Dans la captation explicite du discours bayrouiste, rarement Ségolène Royal n'avait été aussi loin et cela sans bousculer, pour autant, les subtils équilibres
du rassemblement de toutes les tribus de la gauche. L'exercice était compliqué. Il exigeait un registre notarial. Ce fut fait avec application et sans
aucun complexe. Mais c'est aussi parce qu'il ne se suffisait pas à lui-même que la candidate, à peine rentrée à Paris, passé minuit, a filé rue de Solférino
pour y prononcer, au milieu des siens, un rapide discours, beaucoup plus hétérodoxe et qui, potentiellement, ouvre la porte à d'autres initiatives autrement
décoiffantes.
«Je n'appartiens plus seulement aux militants socialistes, mais au-delà.» Dans l'affirmation de sa liberté vis-à-vis du PS, de ses règles et de ses tabous,
Ségolène Royal n'avait plus fait aussi fort, depuis l'époque de sa désignation par les militants. Ce faisant, elle a dit, tout simplement, qu'elle ne se
contenterait pas d'une défaite honorable qui arrangerait tant de monde dans son propre parti. S'il le faut, si elle le croit nécessaire pour gagner coûte
que coûte, la candidate est prête à renverser d'autres tables. C'est la vraie leçon qu'elle a tirée de son score du 22 avril. Ne plus bouger, se couler
dans le moule, c'est déjà mourir.
 
 François Bazin, Matthieu Croissandeau
Le Nouvel Observateur