21 novembre 2006

réflexions:l'éthique est elle soluble dans l'entreprise?

Dimanche 19 novembre 2006
Le discours sur les valeurs de l'entreprise vire à la langue de bois
 
La prise de parole publique des entreprises et de leurs dirigeants est largement dominée par le credo de l'entreprise " responsable ". Un registre lexical
fourre-tout, qui ne parvient pas, loin de là, à combler le déficit de confiance des salariés.
 
L'homme, premier capital de l'entreprise ", " la valeur au coeur de l'entreprise citoyenne ", " l'entreprise, levier d'engagement solidaire "... À tendre
l'oreille vers les micros des conventions, à survoler la prose des services de relation presse, à capter les slogans des communications corporate, pas
de doute : le credo éthique a investi la prise de parole publique des entreprises " responsables ", forcément responsables. Et, si l'on en juge de l'écho
médiatique, la sauce semble prendre. La communauté de formation, de culture et d'intérêt entre la presse et les élites économiques et politiques participe
de l'amplification d'un discours mégaphonique ayant pris valeur de norme. " Quand les mondes sont consanguins, les langues le sont aussi ", lâche Serge
Perez, coprésident de Publicis Consultants France.
 
Mais qui est dupe ? Dès 2002, TNS- Sofres constate un renversement dans la courbe affinitaire entre l'opinion et le monde des entreprises : en 2001, 52
% des Français déclaraient avoir confiance dans les chefs d'entreprise. En 2005, ils ne sont plus que 43 %. " La fracture est née avec l'affaire Messier,
note Muriel Humbertjean, directrice générale adjointe de TNS-Sofres. Et le fossé n'a cessé de se creuser. " Un hiatus que l'on retrouve très nettement
entre les dirigeants et les salariés (voir ci-dessous). " Face à ce constat, la réaction des patrons est la même : haro sur le management intermédiaire,
incapable de faire passer les messages ", poursuit Muriel Humbertjean.
 
En attente d'argumentation. Toutes les études montrent que les salariés sont en attente d'argumentation et de preuves, d'un modèle où le discours se nourrit
de l'action. " Il y a du côté des entreprises un réflexe d'évitement. On s'étourdit de concepts pour masquer la réalité, les plans sociaux qui se préparent
", souligne Anne Mazoyer, présidente de Fair Value Corporate. Cette langue de bois éthique trouve des facteurs convergents d'explication : sacre du " politiquement
correct ", prise de pouvoir des services de communication, diktat de la sphère financière qui, si elle oblige à la transparence dans la publication des
comptes, réduit la communication quotidienne au positivisme.
 
Autre paramètre : la porosité de publics - salariés, citoyens, actionnaires, relais d'opinion - régis par des intérêts contradictoires. " Les entreprises
ne savent pas gérer cette diversité d'intérêts qui réduit leur marge de manoeuvre. D'où un discours de plus en plus minimaliste ", commente Muriel Humbertjean.
Enfin, la globalisation a généré une vulgate internationale pas toujours adaptée aux contextes locaux. Il est plus facile de chanter la dimension centrale
de l'homme dans l'entreprise dans un pays qui a réduit son taux de chômage à 4 % que dans une société marquée par la récession sociale. " Les dirigeants
se sont construit un système de protection. Pourtant, dire les choses simplement, argumenter en ancrant le discours dans les faits, ce n'est pas se mettre
en danger ", remarque Serge Perez, coprésident de Publicis Consultants France.
 
Impératifs économiques. Dans un climat plus que jamais sous-tendu par l'économie, les patrons ont-ils encore seulement les moyens de défendre des ambitions
éthiques et sociétales. " On est arrivé au bout d'un raisonnement, constate Anne Mazoyer. Le vent tourne : les entreprises sont en train de se réapproprier
des notions beaucoup plus ancrées dans leur réalité : le savoir-faire, l'expertise... " Plus que la pression sociale, c'est sans doute le poids des impératifs
économiques qui poussera les entreprises, sinon à se démarquer de la langue de bois éthique, du moins à soutenir le discours par des faits avérés et expliqués.
Les périodes de crise obligent à l'argumentation. " Quand il leur a fallu exposer leurs projets, Carlos Ghosn ou Anne Lauvergeon n'ont pas fait dans la
langue de bois. Parce qu'ils savent que dire les choses, qui plus est avec conviction, c'est la seule manière de motiver les troupes " , note Muriel Humbertjean.
 
Mais, de manière plus structurante, la prise de parole publique des entreprises pourrait bien également bénéficier d'un regain de réalisme sous l'effet
d'un modèle nouveau de communication et d'échange alimenté par Internet et les nouvelles technologies numériques digitales. Les directions marketing le
constatent déjà : les entreprises perdent le contrôle de leurs propres messages au profit de publics de plus en plus éclatés et matures qui se les réapproprient
parfois jusqu'à la dénaturation. " Internet va participer d'une décontraction du langage, y compris, par la force des choses, chez les dirigeants, soutient
Serge Perez. Et la langue de bois véhiculaire des entreprises devrait en prendre un coup. "
 
Salariés-entreprises : le grand fossé
41 % des managers trentenaires n'adhèrent pas aux valeurs de leur entreprise.
75 % des salariés de 25 ans ne veulent pas ressembler aux dirigeants en poste, jugés peu courageux et peu soucieux des hommes.
78 % des entreprises se déclarent satisfaites du climat social, contre
47 % des salariés.
91 % des DRH estiment avoir une image positive quand les salariés leur attribuent une note de 8/20.
Les moins de 25 ans et les plus de 45 ans souhaiteraient rejoindre une entreprise de moins de 250 salariés.
Source : Ipsos, Publicis Consultants, 2005.