29 novembre 2006

Revue de presse:un point de vue particulier

Voici un point de vue original de René Remond
dans le Point d'aout dernier qui éclaire sur le parcours spirituel  de Ségolène Royal.
 
Le Point : que ségolène Royal se réfère à "l'ordre juste", expression tirée de Saint Thomas d'Aquin et reprise dans une encyclique par Benoît XVI : coïncidence
ou ancrage spirituel.
René Rémond : Difficile de découvrir ses motivations profondes? On ne connaît guère son itinairaire intellectuel. Son positionnement est assez singulier
: elle défend les valeurs familiales, mais refuse le mariage bougeois. Certaines de ses affirmations rejoignent certaines orientations du catholicisme
social : il n'y a d'ordre valable que s'il est juste. Mais de là à en faire une thomiste... On s'abstiendra de la écupérer. Si elle a été imprégnée de
catholicisme par son éducation familiale, y a t-il eu pour elle appropriation de ces valeurs ? François Hollande fut, il est vrai, proche de Jacques Delors.
Mais on ne peut pas situer sa campagne dans la galaxie de la deuxième gauche chrétienne.
Le Point : Ségolène Royal ferait-elle alors du saint Thomas d'Aquin sans le savoir ?
René Rémond : Elle se situe à mon avis, tout autant dans l'héritage de IIIe République que dans une tradition spirituelle. Les valeurs qu'elle préconise
ne sont pas seulement chrétiennes mais largement partagées : "éducation du respect", goût de l'effort, amour du travail, appel à la discipline. Les anticléricaux
d'avant-hier défendaient ces mêmes valeurs, et ils auraient été offusqués qu'on y voie une influence religieuse. Si droite et gauche s'opposaient sur la
religion, la morale les rapprochait. On a oublié que l'école publique enseignait "la morale de nos pères". Il a longtemps existé une tradition moralisatrice
de la gauche, en particulier contre l'individualisme de droite. Il faut se rappeler à quel point le Parti communiste fut puritain !
Le Point : Ségolène Royal s'inscrit dans cette tradition puritaine ?
René Rémond : Il y a chez elle - est-ce conscient, délibéré ? - une volonté de réconcillier la gauche avec des valeurs que celle-ci n'excluait pas autrefois
et qu'elle a laissées partir à droite.... Pour tout un courant à gauche, la politique devait être l'implication d'une morale. Jaurès, Blum et nombre de
prophètes du socialisme s'inpiraient de préoccupations éthiques. Il y avait un large consus sur les vertus privées, la subodination des intérêts particuliers
à des causes altruistes. Le contexte aujourd'hui est tout autre : les aspirations individuelles sont le test de la modernité. Depuis les années 60, tantôt
par conviction, tantôt par calcul, la gauche s'est convertie à l'idéologie libertaire, majoritaire aujourd'hui. Ségolène s'inscrit à contre-courant de
cette évolution et - ce qui est inattendu - elle rencontre une partie de l'opinion.
Le point : Comment ?
René Rémond : Sa candidature est moins polique que sociale. elle fait le diagnostic que nous vivons plus une crise de société qu'une crise institutionnelle.
C'est pourquoi elle met l'accent sur l'éducation morale, axe de son discours contre l'incivilité : l'objectif est plus large que la sécurité des personnes
et des biens... Ségolène royal parle d'"ordre juste" dans cette perspective. A la question de Goethe sur le choix entre l'ordre et la justice, elle répondrait
sans doute qu'il n'y a pas à choisir entre l'un et l'autre.
René Rémond Historien et président de la Fondation nationale des sciences politiques