29 novembre 2006

Revue de presse:l'édito de Jean Daniel

Il n'y a pas grand chose à rajotuer à l'édito de Jean Daniel dans le nouvel obs de cette semaine à propos de l'investiture de Ségolène
alors autant le lire
 
L'éditorial de Jean Daniel
Les incertitudes du charme
#reaction
Plus rayonnante qu'aucune personnalité victorieuse ne l'ajamais été au moment de sa victoire, Ségolène Royal a dit deux choses qui devraient être retenues.
La première est qu'elle «resterait elle-même». La seconde, que c'était le peuple qui, selon elle, était au coeur de sa victoire. D'une part, elle annonce
qu'elle ne changera pas d'image. D'autre part, elle fait comme si elle avait déjà été plébiscitée par la nation.
Avec la candidature de cette femme jeune, belle au point de pouvoir incarner le buste de Marianne dans toutes nos mairies, et sur laquelle absolument personne
ne pariait il y a moins d'un an, n'oublions pas que nous avons été, que nous sommes encore, dans le domaine de l'image et du spectacle, donc de l'émotion.
Plus précisément, dans le domaine de l'irrationnel. Cela n'empêche nullement la diversité de ceux qui la soutiennent. Les désirs consensuels de féminisation,
de renouvellement et de rajeunissement du personnel politique ont très bien pu s'accompagner du sentiment intense de mieux comprendre celle qui parle et
de se sentir concerné par ce qu'elle dit et par sa manière de le dire.
Pourquoi elle ? Que peut-elle faire mieux que les autres ? Ces questions s'inscrivent dans un rationnel qui n'a pas été de mise. Car on ne peut pas dire
que les nouveaux militants du Parti socialiste se soient vraiment posé la question de savoir ce qui pouvait être raisonnable et ce qui ne l'était pas,
ou même de savoir qui était le mieux placé pour battre un Sarkozy en 2007. Nous pouvons bien tirer, nous, après coup, des conclusions sur le sens de leur
vote, mais je suis persuadé que même les spéculations sur la victoire finale n'ont pas été déterminantes.
 
cadre sans nom 1
fin du cadre sans nom 1
Lorsque Ségolène dit qu'elle restera elle-même, on peut tout en déduire, y compris le fait qu'elle ne changera ni d'allure ni de méthode. Simple et juste
fidélité stratégique ? Sans doute. Mais lorsqu'elle parle du peuple, négligeant le fait qu'elle ne vient d'être adoubée que par les seuls militants de
son parti, elle fait comme si elle avait traduit la volonté de la nation tout entière pour bousculer la « vieille maison ». Comme si, fidèle à Jean-Jacques
Rousseau, elle voulait que la « souveraineté populaire » (des individus) corrige sans cesse la « souveraineté nationale » (des élus). On sait que la controverse
sur les mérites comparés de la démocratie représentative et de la démocratie participative ne date pas d'hier. On avait largement agité la question au
moment des appels de De Gaulle à la nation par-dessus la tête du Parlement. Mais en fait, ce débat est vieux comme la Révolution. Et il est passionnant
de relire aujourd'hui la forme qu'il a prise dès l'adoption de la première Constitution, celle de 1793. Autrement dit, Ségolène, toujours dans le sillage
de Rousseau, a fait comme si les représentants élus de la nation pouvaient cesser de représenter le peuple et la volonté générale des individus qui seuls
la composent.
Les doctrines ne servent d'ailleurs ici que des intérêts de circonstance. Par exemple, les partisans du non à la Constitution européenne avaient demandé
que la gauche soit davantage à l'écoute de la nation, c'est-à-dire de la « France d'en bas » et du vrai peuple. On se rappelle que lorsque François Hollande,
un jour, avait fait allusion au vote positif des Allemands en faveur de la Constitution européenne, Henri Emmanuelli, pourtantancien président de l'Assemblée
nationale, s'était abandonné à dire : «Le Bundestag? Peut-être! Mais le peuple allemand n'a pas été consulté!» Ségolène pourrait dire aujourd'hui, en somme,
qu'elle ne fait que suivre les injonctions des anciens partisans du non à la Constitution. Et si elle est trop astucieuse pour raviver un tel débat, on
peut compter sur elle pour continuer de parler au peuple en préconisant, par exemple, pour lui donner plus souvent la parole, de multiplier les référendums.
Sans quitter l'irrationnel, on peut observer que les reproches qu'on lui fait ou les mérites qu'on lui attribue concernent seulement le probable, le vraisemblable
et l'approximatif. On a compris, par exemple, qu'elle se voulait plutôt du côté de l'ordre, de l'autorité, de la famille et de la sécurité. Mais si c'était
le cas, aurait-elle forcément tort ? Car il y a plusieurs façons d'écouter le peuple en ces domaines. Notons que le zèle intempestif et brouillon du ministre
de l'Intérieur a été freiné par le Premier ministre et par le ministre de la Justice.
A contrario, les bienveillants commentaires d'un Jean-Pierre Chevènement sur les velléités de Ségolène en matière de sécurité et d'immigration montrent
l'intérêt d'affronter les problèmes plutôt que de cataloguer ou stigmatiser ceux qui y proposent des remèdes. Sur toutes ces questions, il importe que,
grâce à de fortes précisions de Ségolène, la logique l'emporte sur l'émotion. D'autant que pour elle, et pour faire durer l'image, la séduction doit désormais
s'arrimer à de vraies propositions. La familiarité revendiquée avec le réel doit se confirmer par l'imagination et la compétence.
Maintenant, je voudrais dire mon sentiment personnel sur le véritable artisan de cette réhabilitation d'une grande formation politique française. Je parle
de François Hollande, dont le parcours a été sans faute alors que l'on voulait le piéger de tous côtés et que chacun se demandait si, grâce à sa chute
éventuelle, l'équilibriste allait mettre en cause l'élan de Ségolène et le principe même des primaires. La presse étrangère apporte parfois des lumières
rassérénantes. Pour la première fois depuis longtemps, on a pu lire à la une de tous les grands journaux du monde pas seulement une célébration du « phénomène
Ségolène » mais aussi, bien souvent, un hommage à la démocratie française. Or ce sont les débats télévisés entre les trois candidats socialistes qui ont
illustré la force de notre démocratie. On a pu regretter ici et là que, sur l'Europe, sur l'Iran, sur la fiscalité, sur l'environnement, la densité des
échanges ait été faible. Mais le monde a découvert le niveau intellectuel des leaders d'un grand parti français, hier encore discrédité, et la considération,
au moins courtoise, que les uns avaient pour les autres.
 
cadre sans nom 2
fin du cadre sans nom 2
Maintenant, rappelons que rien n'est joué, que tout peut se passer pendant les cinq mois à venir. Toutes les questions sont ouvertes et mes amis les posent
dans le dossier que l'on va lire. Mais je ne veux pas finir ce couplet d'optimisme sans le tempérer par la crainte que j'ai de voir la multiplicité des
candidatures favoriser encore une fois un Le Pen qui cherche à se banaliser. Car lui aussi, il a montré qu'il savait « écouter » le peuple. Mais cela est
une autre histoire...
 
Jean Daniel
Le Nouvel Observateur