26 novembre 2006

Revue de presse:La méthode Royal

Samedi 25 novembre 2006
 
Voici une analyse trés fine de la méthode Royal, toujours trésmaitrisée, controlée, et efficace
 
 
Trois maroquins en dix ans. Trois expériences pour imprimer un style, se façonner une image. Retour sur une pratique du pouvoir qui ne lui a pas toujours
valu que des amis
 
I. Ton rang, tu défendras
«Secrétaire d'Etat? C'est une gifle... une humiliation!» La voix suppliante de Ségolène Royal résonne dans le téléphone de Claude Allègre. En ces premiers
jours de juin 1997, la députée des Deux-Sèvres vient d'apprendre sa nomination au gouvernement. Allègre vient d'hériter de l'Education nationale. C'est
lui qui a demandé au Premier ministre qu'on lui adjoigne «une femme», Ségolène Royal,pour s'occuper du «scolaire» comme il dit. Jospin a d'abord tordu
le nez. Pas question qu'elle siège au conseil des ministres, dit-il. Mais pour Royal, qui fut ministre de plein exercice de Pierre Bérégovoy, la rétrogradation
protocolaire est inacceptable. Alors elle insiste, rappelle, se bat. Allègre obtient que Jospin la nomme ministre déléguée. Ce sera son premier et son
dernier coup de pouce à Ségolène. Incapables de s'entendre, le « dégraisseur de mammouth » et la « ministre des parents » travaillent côte à côte, mais
jamais ensemble. Humiliations et coups médiatiques se répondent, tandis que le feu couve sous les préaux d'école. En 2000, Jospin est contraint de lâcher
du lest face aux enseignants. Pour ne pas donner l'impression d'accabler son ami, il choisit de remercier les deux belligérants. Ségolène à la porte du
gouvernement ? Cette fois-ci, c'est à François Hollande qu'elle chante son couplet sur «la gifle... l'humiliation» ! Le premier secrétaire du PS parvient
in extremis à lui sauver la mise. Ségolène Royal doit se contenter du modeste portefeuille de la Famille, sous la tutelle de Martine Aubry puis d'Elisabeth
Guigou. Elle reste cantonnée au rang de ministre déléguée, mais qu'importe ! l'honneur est sauf.
 
cadre sans nom 1
fin du cadre sans nom 1
 
II. Ton image, tu soigneras
Madame « la » ministre n'a pas son pareil pour prendre le pouls médiatique. A commencer par le sien. Dès son arrivée au ministère de l'Environnement, en
1992, elle s'emploie à faire parler d'elle autant que de sa politique. «On la surnommait «baby Lang», raconte un membre de son cabinet. Elle acceptait
toutes les demandes d'interviews, au point qu'on avait souvent du mal à fournir derrière...» De TF1, France 2 ou « Paris Match » convoqués à la maternité
pour immortaliser les premiers sourires de sa petite Flora - «les Français n'attendent que ça!» explique-t-elle alors à son équipe - jusqu'à une « Sacrée
soirée » spéciale à l'occasion de la sortie d'un de ses livres (1), Ségolène fait feu de tout bois et se construit une popularité en chêne massif. Elle
commence toutes ses réunions par le même rituel : «Qu'est-ce qui intéresse la presse aujourd'hui?» Identifier les sujets dont on parle, repérer ceux qui
montent, choisir ceux qui pourront faire l'objet d'une traduction politique, Ségolène Royal sait y faire. Ses collaborateurs l'ont bien compris : «Quand
on voulait faire passer une idée ou un dossier, ça allait toujours plus vite en lui disant : je l'ai lu dans un article!»
 
III. Le terrain, tu sentiras
Même ses ennemis le reconnaissent : Ségolène Royal a toujours eu un incroyable flair. Très vite, elle sait sortir des sentiers balisés par ses prédécesseurs
pour se pencher sur des dossiers jugés secondaires, mais qui rencontrent un écho dans l'opinion. A l'Environnement, elle se lance ainsi dans la lutte contre
le bruit. «La mobylette qui pétarade, ça faisait rire dans les dîners en ville, mais pas chez ceux qui en souffraient au quotidien», raconte son ancien
conseiller Olivier Le Marois. Rue de Grenelle, elle s'occupe du poids des cartables, du racket, du bizutage, des allergies dans les cantines scolaires...
Des sujets « marginaux », mais qui lui valent des résultats et l'attention des médias. A la Famille, son approche pragmatique des dossiers les plus complexes
(autorité parentale, réforme de l'accouchement sous X...) se nourrit aussi de ce qu'elle entend sur le terrain. Quitte à bousculer ses valeurs ou ses principes,
comme ce fut le cas avec la reconnaissance des familles homoparentales. «C'est paradoxal, résume Alain Piriou, le porte-parole de l'Inter-LGBT, mais elle
est beaucoup plus ouverte sur les droits concrets que sur les symboles.»
 
IV. Les serpents de mer, tu délaisseras
Faute de marges de manoeuvre ou de volonté, Ségolène Royal passe parfois à côté de dossiers importants. «On ne peut pas dire qu'elle n'a rien fait, souligne
l'ancienne responsable du Snes, Monique Vuaillat, qui a attendu dix mois avant d'être reçue par la ministre de l'Enseignement scolaire. Mais au regard
de la mission dont elle avait la charge, son bilan sur l'échec scolaire, les inégalités entre les territoires, la stagnation de l'accès au lycée est bien
maigre.» D'un dossier à l'autre, Ségolène Royal a un besoin constant de rebondir. Il faut donc que les résultats soient proches, palpables. Pas le genre
à s'attaquer à des serpents de mer ou à des réformes qu'elle juge trop lentes ou compliquées à mettre en place. «L'intérêt qu'elle portait aux dossiers
était très contrasté», se souvient la sociologue Nacira Guénif-Souilamas, qui a travaillé auprès d'elle à la Famille et dont les travaux sur les familles
migrantes ou la pauvreté n'ont guère rencontré d'écho. «C'était ardu, moins simple que le congé de paternité, poursuit-elle. C'est dommage, car cela concernait
directement les milieux populaires et soulevait des questions aujourd'hui d'actualité sur le logement, le surendettement, la stigmatisation des familles
de ces quartiers. J'ai compris à la longue que cela ne ferait pas partie de son agenda. Pourtant elle était la mieux placée pour se saisir de ces questions.»
 
cadre sans nom 2
fin du cadre sans nom 2
 
V. La couverture à toi, tu tireras
Bonne camarade, madame la ministre ? «Plutôt perso et très tireuse de couverture», rigole son vieil ami et aujourd'hui fidèle soutien Michel Sapin. Ancien
ministre de la Fonction publique de Jospin, il figure, avec d'autres, au tableau de chasse de la femme qui communique plus vite que son ombre. En 2001,
Sapin a ainsi découvert, médusé, que Ségolène Royal annonçait à la presse un accord sur l'emploi des handicapés qu'il avait lui-même négocié avec les syndicats
! Quatre ans plus tôt, à son arrivée rue de Grenelle, elle avait affiché la couleur en se pointant avec dix minutes de retard pour s'assurer que les caméras
n'auraient d'yeux que pour elle. «J'ai mal apprécié son immense ego», rumine aujourd'hui Allègre.
 
VI. Au culot, tu avanceras
Les fonctionnaires du ministère de la Santé en rient encore. Mars 2000, Ségolène Royal, fraîchement nommée à la Famille, se cherche des bureaux. Elle jette
son dévolu sur ceux de sa collègue de la Santé. «En une matinée, tout était fait; elle a donné son avis sur les peintures à rafraîchir, tout le monde obtempérait!»,
se souvient un témoin. Jusqu'à ce que quelqu'un avise... la locataire des lieux, qui refuse de laisser la place. L'affaire est remontée jusqu'à Matignon,
qui a tranché et installé Ségolène, dans un immeuble excentré de la rue de Brancion, dans le 15e arrondissement...
De l'audace, toujours de l'audace ! La ministre ne s'embarrasse guère de convenances lorsqu'elle est sûre de son bon droit. Sensibilisée aux problèmes des
grossesses précoces, elle annoncera ainsi la distribution de la pilule du lendemain dans les lycées sans prévenir personne. Pas le genre non plus à se
soucier d'un arbitrage défavorable. En 1992, pour faire cesser le trafic de pétroliers entre la Corse et la Sardaigne, elle invite son homologue italien
à signer un traité international devant la presse alors que le Premier ministre lui avait imposé de ne rien faire. «Elle s'est fait passer un sacré savon
par Béré, mais sur la durée on a gagné, le trafic a été réduit de 80%», se félicite son ancien conseiller, Olivier Le Marois.
 
VII. Les experts, tu écouteras
Ça a commencé dans les cartons, le premier jour de l'arrivée de Ségolène Royal au ministère de la Famille. «J'avais été contactée, je suis passée, rien
n'était défait et on s'est mises à travailler, c'était assez inhabituel», raconte la sociologue Irène Théry. Pour nourrir sa réflexion, la ministre décide
d'emblée de rencontrer chercheurs et intellectuels. Tous les jeudis en fin d'après-midi, Royal arrive avec son cahier, écoute son invité, dans une ambiance
simple et studieuse qui en désarçonnera plus d'un. «Elle a su exploiter vingt ans de recherches pour irriguer son action, témoigne Nacira Guénif-Souilamas.
Elle a tout de suite vu ce qu'il y avait d'intéressant, ce qui pouvait être transformé en projet politique.» Réforme du droit de la famille - sur les plates-bandes
de sa collègue Marylise Lebranchu ! -, congé de paternité... beaucoup de mesures d'hier et de projets pour demain en découlent.
 
VIII. Tes collaborateurs, tu épuiseras
Dangereuse, autocrate, obsédée par son image... Ségolène Royal ne trouve guère grâce aux yeux du philosophe Alain Etchegoyen, qui fut membre de son cabinet
(2). Beaucoup de ses anciens collaborateurs restent pourtant des inconditionnels. Malgré un rythme d'enfer. Christophe Chantepy, son directeur de cabinet
à l'Enseignement scolaire, a ainsi refusé de la suivre à la Famille en 2000. «Il n'en pouvait plus», raconte un témoin de l'époque. Sa très proche collaboratrice
Sophie Bouchet-Petersen quittera, elle, la rue de Brancion en 2001 pour rallier le cabinet du ministre de l'Outre-Mer Christian Paul. Ce qui ne les empêchera
pas, l'un comme l'autre, de la rejoindre quelques années plus tard pour devenir les chevilles ouvrières de sa campagne présidentielle. Directe, peu soucieuse
du protocole, la ministre Royal préfère les entretiens individuels aux conclaves et décide souvent en solitaire. «Elle n'a pas le côté lisse et bien élevé
du ministre techno qui a peur de bousculer son administration, se souvient un ancien membre de son équipe. Elle est plutôt du genre à ressortir des dossiers
qui roupillent dans l'armoire pour les faire avancer à coups de pied dans le derrière!»
 
IX. Toujours plus vite, tu agiras
La ministre sait que pour se faire entendre il vaut mieux frapper fort et la première, quitte à ne pas toujours assurer ses arrières. Pénélope Komitès,
ancienne présidente de Greenpeace-France, se souvient de l'avoir vue s'emparer de l'affaire du pyralène australien. «Nous avions bloqué le bateau, elle
est tout de suite montée au créneau.» Trop vite... Désavouée deux jours plus tard par Pierre Bérégovoy au profit du ministre de l'Industrie, Dominique
Strauss-Kahn, Ségolène en pleurera de rage à Matignon. «On lui a donné tort, mais elle avait raison», poursuit Komitès, qui la recroisera quelques années
plus tard à la mairie de Paris pour régler un cas difficile d'intégration d'enfants handicapés à l'école. «Cette fois-ci, ça a marché. En une semaine,
elle a résolu un problème qui durait depuis des mois.» Efficacité et précipitation, le cocktail est parfois explosif. On lui a ainsi reproché d'être intervenue
imprudemment sur la pédophilie lors de son passage à l'Enseignement scolaire.
 
X. Le service après-vente, tu assureras
Y a-t-il une vie après le ministère ? Contrairement à beaucoup de ses collègues, la ministre n'a jamais cherché à recaser ses collaborateurs. Quant aux
dossiers ? «Avec elle, quand un accord est acquis, il tient. Ça peut paraître banal, mais 20% seulement des ministres de l'Environnement le font!» certifie
Patrick Legrand, ex-président de France Nature Environnement. «Je me souviens de l'avoir vue batailler à nos côtés sur la question de l'immersion des déchets
nucléaires en 1993 alors qu'elle n'était plus que simple députée, ajoute Pénélope Komitès. Quand un sujet l'intéresse, elle le suit.»
 
(1) Voir la biographie de Daniel Bernard « Madame Royal », Editions Jacob Duvernet, 2005.
(2) « Votre devoir est de vous taire », L'Archipel, juin 2006.
 
Matthieu Croissandeau
Le Nouvel Observateur
#reaction
Trois maroquins en dix ans. Trois expériences pour imprimer un style, se façonner une image. Retour sur une pratique du pouvoir qui ne lui a pas toujours
valu que des amis
 
I. Ton rang, tu défendras
«Secrétaire d'Etat? C'est une gifle... une humiliation!» La voix suppliante de Ségolène Royal résonne dans le téléphone de Claude Allègre. En ces premiers
jours de juin 1997, la députée des Deux-Sèvres vient d'apprendre sa nomination au gouvernement. Allègre vient d'hériter de l'Education nationale. C'est
lui qui a demandé au Premier ministre qu'on lui adjoigne «une femme», Ségolène Royal,pour s'occuper du «scolaire» comme il dit. Jospin a d'abord tordu
le nez. Pas question qu'elle siège au conseil des ministres, dit-il. Mais pour Royal, qui fut ministre de plein exercice de Pierre Bérégovoy, la rétrogradation
protocolaire est inacceptable. Alors elle insiste, rappelle, se bat. Allègre obtient que Jospin la nomme ministre déléguée. Ce sera son premier et son
dernier coup de pouce à Ségolène. Incapables de s'entendre, le « dégraisseur de mammouth » et la « ministre des parents » travaillent côte à côte, mais
jamais ensemble. Humiliations et coups médiatiques se répondent, tandis que le feu couve sous les préaux d'école. En 2000, Jospin est contraint de lâcher
du lest face aux enseignants. Pour ne pas donner l'impression d'accabler son ami, il choisit de remercier les deux belligérants. Ségolène à la porte du
gouvernement ? Cette fois-ci, c'est à François Hollande qu'elle chante son couplet sur «la gifle... l'humiliation» ! Le premier secrétaire du PS parvient
in extremis à lui sauver la mise. Ségolène Royal doit se contenter du modeste portefeuille de la Famille, sous la tutelle de Martine Aubry puis d'Elisabeth
Guigou. Elle reste cantonnée au rang de ministre déléguée, mais qu'importe ! l'honneur est sauf.
 
cadre sans nom 3
fin du cadre sans nom 3
 
II. Ton image, tu soigneras
Madame « la » ministre n'a pas son pareil pour prendre le pouls médiatique. A commencer par le sien. Dès son arrivée au ministère de l'Environnement, en
1992, elle s'emploie à faire parler d'elle autant que de sa politique. «On la surnommait «baby Lang», raconte un membre de son cabinet. Elle acceptait
toutes les demandes d'interviews, au point qu'on avait souvent du mal à fournir derrière...» De TF1, France 2 ou « Paris Match » convoqués à la maternité
pour immortaliser les premiers sourires de sa petite Flora - «les Français n'attendent que ça!» explique-t-elle alors à son équipe - jusqu'à une « Sacrée
soirée » spéciale à l'occasion de la sortie d'un de ses livres (1), Ségolène fait feu de tout bois et se construit une popularité en chêne massif. Elle
commence toutes ses réunions par le même rituel : «Qu'est-ce qui intéresse la presse aujourd'hui?» Identifier les sujets dont on parle, repérer ceux qui
montent, choisir ceux qui pourront faire l'objet d'une traduction politique, Ségolène Royal sait y faire. Ses collaborateurs l'ont bien compris : «Quand
on voulait faire passer une idée ou un dossier, ça allait toujours plus vite en lui disant : je l'ai lu dans un article!»
 
III. Le terrain, tu sentiras
Même ses ennemis le reconnaissent : Ségolène Royal a toujours eu un incroyable flair. Très vite, elle sait sortir des sentiers balisés par ses prédécesseurs
pour se pencher sur des dossiers jugés secondaires, mais qui rencontrent un écho dans l'opinion. A l'Environnement, elle se lance ainsi dans la lutte contre
le bruit. «La mobylette qui pétarade, ça faisait rire dans les dîners en ville, mais pas chez ceux qui en souffraient au quotidien», raconte son ancien
conseiller Olivier Le Marois. Rue de Grenelle, elle s'occupe du poids des cartables, du racket, du bizutage, des allergies dans les cantines scolaires...
Des sujets « marginaux », mais qui lui valent des résultats et l'attention des médias. A la Famille, son approche pragmatique des dossiers les plus complexes
(autorité parentale, réforme de l'accouchement sous X...) se nourrit aussi de ce qu'elle entend sur le terrain. Quitte à bousculer ses valeurs ou ses principes,
comme ce fut le cas avec la reconnaissance des familles homoparentales. «C'est paradoxal, résume Alain Piriou, le porte-parole de l'Inter-LGBT, mais elle
est beaucoup plus ouverte sur les droits concrets que sur les symboles.»
 
IV. Les serpents de mer, tu délaisseras
Faute de marges de manoeuvre ou de volonté, Ségolène Royal passe parfois à côté de dossiers importants. «On ne peut pas dire qu'elle n'a rien fait, souligne
l'ancienne responsable du Snes, Monique Vuaillat, qui a attendu dix mois avant d'être reçue par la ministre de l'Enseignement scolaire. Mais au regard
de la mission dont elle avait la charge, son bilan sur l'échec scolaire, les inégalités entre les territoires, la stagnation de l'accès au lycée est bien
maigre.» D'un dossier à l'autre, Ségolène Royal a un besoin constant de rebondir. Il faut donc que les résultats soient proches, palpables. Pas le genre
à s'attaquer à des serpents de mer ou à des réformes qu'elle juge trop lentes ou compliquées à mettre en place. «L'intérêt qu'elle portait aux dossiers
était très contrasté», se souvient la sociologue Nacira Guénif-Souilamas, qui a travaillé auprès d'elle à la Famille et dont les travaux sur les familles
migrantes ou la pauvreté n'ont guère rencontré d'écho. «C'était ardu, moins simple que le congé de paternité, poursuit-elle. C'est dommage, car cela concernait
directement les milieux populaires et soulevait des questions aujourd'hui d'actualité sur le logement, le surendettement, la stigmatisation des familles
de ces quartiers. J'ai compris à la longue que cela ne ferait pas partie de son agenda. Pourtant elle était la mieux placée pour se saisir de ces questions.»
 
cadre sans nom 4
fin du cadre sans nom 4
 
V. La couverture à toi, tu tireras
Bonne camarade, madame la ministre ? «Plutôt perso et très tireuse de couverture», rigole son vieil ami et aujourd'hui fidèle soutien Michel Sapin. Ancien
ministre de la Fonction publique de Jospin, il figure, avec d'autres, au tableau de chasse de la femme qui communique plus vite que son ombre. En 2001,
Sapin a ainsi découvert, médusé, que Ségolène Royal annonçait à la presse un accord sur l'emploi des handicapés qu'il avait lui-même négocié avec les syndicats
! Quatre ans plus tôt, à son arrivée rue de Grenelle, elle avait affiché la couleur en se pointant avec dix minutes de retard pour s'assurer que les caméras
n'auraient d'yeux que pour elle. «J'ai mal apprécié son immense ego», rumine aujourd'hui Allègre.
 
VI. Au culot, tu avanceras
Les fonctionnaires du ministère de la Santé en rient encore. Mars 2000, Ségolène Royal, fraîchement nommée à la Famille, se cherche des bureaux. Elle jette
son dévolu sur ceux de sa collègue de la Santé. «En une matinée, tout était fait; elle a donné son avis sur les peintures à rafraîchir, tout le monde obtempérait!»,
se souvient un témoin. Jusqu'à ce que quelqu'un avise... la locataire des lieux, qui refuse de laisser la place. L'affaire est remontée jusqu'à Matignon,
qui a tranché et installé Ségolène, dans un immeuble excentré de la rue de Brancion, dans le 15e arrondissement...
De l'audace, toujours de l'audace ! La ministre ne s'embarrasse guère de convenances lorsqu'elle est sûre de son bon droit. Sensibilisée aux problèmes des
grossesses précoces, elle annoncera ainsi la distribution de la pilule du lendemain dans les lycées sans prévenir personne. Pas le genre non plus à se
soucier d'un arbitrage défavorable. En 1992, pour faire cesser le trafic de pétroliers entre la Corse et la Sardaigne, elle invite son homologue italien
à signer un traité international devant la presse alors que le Premier ministre lui avait imposé de ne rien faire. «Elle s'est fait passer un sacré savon
par Béré, mais sur la durée on a gagné, le trafic a été réduit de 80%», se félicite son ancien conseiller, Olivier Le Marois.
 
VII. Les experts, tu écouteras
Ça a commencé dans les cartons, le premier jour de l'arrivée de Ségolène Royal au ministère de la Famille. «J'avais été contactée, je suis passée, rien
n'était défait et on s'est mises à travailler, c'était assez inhabituel», raconte la sociologue Irène Théry. Pour nourrir sa réflexion, la ministre décide
d'emblée de rencontrer chercheurs et intellectuels. Tous les jeudis en fin d'après-midi, Royal arrive avec son cahier, écoute son invité, dans une ambiance
simple et studieuse qui en désarçonnera plus d'un. «Elle a su exploiter vingt ans de recherches pour irriguer son action, témoigne Nacira Guénif-Souilamas.
Elle a tout de suite vu ce qu'il y avait d'intéressant, ce qui pouvait être transformé en projet politique.» Réforme du droit de la famille - sur les plates-bandes
de sa collègue Marylise Lebranchu ! -, congé de paternité... beaucoup de mesures d'hier et de projets pour demain en découlent.
 
VIII. Tes collaborateurs, tu épuiseras
Dangereuse, autocrate, obsédée par son image... Ségolène Royal ne trouve guère grâce aux yeux du philosophe Alain Etchegoyen, qui fut membre de son cabinet
(2). Beaucoup de ses anciens collaborateurs restent pourtant des inconditionnels. Malgré un rythme d'enfer. Christophe Chantepy, son directeur de cabinet
à l'Enseignement scolaire, a ainsi refusé de la suivre à la Famille en 2000. «Il n'en pouvait plus», raconte un témoin de l'époque. Sa très proche collaboratrice
Sophie Bouchet-Petersen quittera, elle, la rue de Brancion en 2001 pour rallier le cabinet du ministre de l'Outre-Mer Christian Paul. Ce qui ne les empêchera
pas, l'un comme l'autre, de la rejoindre quelques années plus tard pour devenir les chevilles ouvrières de sa campagne présidentielle. Directe, peu soucieuse
du protocole, la ministre Royal préfère les entretiens individuels aux conclaves et décide souvent en solitaire. «Elle n'a pas le côté lisse et bien élevé
du ministre techno qui a peur de bousculer son administration, se souvient un ancien membre de son équipe. Elle est plutôt du genre à ressortir des dossiers
qui roupillent dans l'armoire pour les faire avancer à coups de pied dans le derrière!»
 
IX. Toujours plus vite, tu agiras
La ministre sait que pour se faire entendre il vaut mieux frapper fort et la première, quitte à ne pas toujours assurer ses arrières. Pénélope Komitès,
ancienne présidente de Greenpeace-France, se souvient de l'avoir vue s'emparer de l'affaire du pyralène australien. «Nous avions bloqué le bateau, elle
est tout de suite montée au créneau.» Trop vite... Désavouée deux jours plus tard par Pierre Bérégovoy au profit du ministre de l'Industrie, Dominique
Strauss-Kahn, Ségolène en pleurera de rage à Matignon. «On lui a donné tort, mais elle avait raison», poursuit Komitès, qui la recroisera quelques années
plus tard à la mairie de Paris pour régler un cas difficile d'intégration d'enfants handicapés à l'école. «Cette fois-ci, ça a marché. En une semaine,
elle a résolu un problème qui durait depuis des mois.» Efficacité et précipitation, le cocktail est parfois explosif. On lui a ainsi reproché d'être intervenue
imprudemment sur la pédophilie lors de son passage à l'Enseignement scolaire.
 
X. Le service après-vente, tu assureras
Y a-t-il une vie après le ministère ? Contrairement à beaucoup de ses collègues, la ministre n'a jamais cherché à recaser ses collaborateurs. Quant aux
dossiers ? «Avec elle, quand un accord est acquis, il tient. Ça peut paraître banal, mais 20% seulement des ministres de l'Environnement le font!» certifie
Patrick Legrand, ex-président de France Nature Environnement. «Je me souviens de l'avoir vue batailler à nos côtés sur la question de l'immersion des déchets
nucléaires en 1993 alors qu'elle n'était plus que simple députée, ajoute Pénélope Komitès. Quand un sujet l'intéresse, elle le suit.»
 
(1) Voir la biographie de Daniel Bernard « Madame Royal », Editions Jacob Duvernet, 2005.
(2) « Votre devoir est de vous taire », L'Archipel, juin 2006.
 
Matthieu Croissandeau
Le Nouvel Observateur