15 octobre 2006

Réflexions:l'Islam, l'esprit critique et la laïcité

Samedi 14 octobre 2006
Le 1er octobre dernier, le journal Respublica initiait une pétition de soutien à Robert Redeker. A ce jour, cette pétition a remporté le soutien de plus
de 2400 signataires. Nous souhaitons relancer aujourd'hui la diffusion de cette pétition pour que le soutien à Robert Redeker soit le plus massif possible.
Nous vous rappelons que le texte de la pétition est accessible à l'adresse suivante :
 
 
Nous avons reçu de nombreux messages d'encouragement, mais certains signataires nous ont aussi fait part d'une interrogation : n'est-il pas contradictoire
de s'abstenir de critiquer l'article de Robert Redeker (article publié dans le Figaro, et qui est à l'origine des menaces de mort dont le philosophe a
fait l'objet) pour défendre la liberté d'expression, et donc la liberté de critique ? L'un des premiers signataires de la pétition, Catherine Kintzler,
a répondu sur son blog (
www.mezetulle.net)
à cette question. Nous profitons de cette relance pour porter son texte à votre connaissance.
 
Nous vous souhaitons bonne lecture, et nous vous remercions de diffuser le plus largement possible la pétition de soutien à Robert Redeker.
 
Nicolas Gavrilenko, pour Les Amis de Respublica
contact@petitionredeker.info
 
Redeker mort ou vivant ? Raisons d’un soutien sans réserve
par Catherine Kintzler
source : blog Mezetulle,
http://www.mezetulle.net
 
De bonnes âmes et même des esprits distingués, devant la question du soutien à apporter à Robert Redeker,
aujourd’hui menacé de mort pour avoir écrit un article sur l'islam qui a déplu à certains, s’interrogent sur la
portée d’un soutien « sans réserve » et reculent devant ce qu’ils considèrent comme un forçage, une sorte de
chantage intellectuel. Ils soulèvent, à juste titre, un problème. Faut-il, au prétexte du soutien à un homme menacé
dans sa vie et sa liberté, faire taire toute critique quant au contenu du texte qui a valu un « contrat » sur sa tête ?
N’est-il pas pour le moins paradoxal de suspendre la critique pour pouvoir défendre l’esprit critique ? Il y aurait
même là une suspension pour motif moral : on arrête de discuter tant que R. Redeker est sous le coup de ces
menaces, ce qui revient à suspendre ce dont il se réclame précisément, la liberté d'opinion et de critique. Ce
scrupule souligne une sorte de cercle dans la position du « soutien sans réserve » : faire taire la critique pour que
la critique existe.
 
J’attire donc l’attention de ceux qui, comme moi, souscrivent à un « soutien sans réserve » : on ne peut le faire
que si on s’attache à briser ce cercle. Et pour briser ce cercle, il ne suffit pas de prononcer une maxime morale
« on ne tire pas sur un homme à terre », ou plutôt il faut établir que cette maxime est en l’occurrence un principe
rationnel, philosophique et politique et non un bon sentiment pouvant se retourner en bâillon.
Je tenterai de le faire en trois points.
 
Ne pas traiter un vivant comme s'il était mort
 
L'état de nature est effectivement une suspension de la pensée. Il est de fait aujourd’hui imposé à R. Redeker.
C'est insupportable (ce sur quoi tout le monde est d'accord et qui anime tous les soutiens, qu’ils soient ou non
sans réserve). On ajoutera à cela que c'est insupportable de continuer à l'exercer tout particulièrement pour s'en
prendre au contenu de son discours, auquel il n'a plus accès dans les conditions où il l'a proféré. L'espace critique
dont il a voulu jouir, et dont nous avons besoin pour lire son texte, est suspendu.
Or l’argument de la suspension de l’espace critique, ainsi présenté, est insuffisant. Il faut aller plus loin. Il faut
aller au-delà de ce qui peut apparaître comme une rhétorique morale.
Ce qui est insupportable me semble tenir plus précisément à la question du statut des auteurs dans cet espace
critique. Morts ou vivants ? ce n'est pas du tout la même chose. En effet, on ne peut se prévaloir en général de
l'exclusion d'un auteur de l'espace critique vivant pour dire « suspendons la critique puisqu'il ne peut pas
répondre », car à ce compte, les morts seraient au-dessus de toute critique. Il faut donc distinguer ici les morts et
les vivants. C'est pour les vivants que l'argument de l'absence et de la réduction au silence vaut pleinement.
Poursuivre la critique maintenant sur le contenu du texte de RR alors qu'il est tenu hors de l'espace critique
vivant, c'est le traiter comme s'il était mort, c'est écrire, en positif et en négatif, son oraison funèbre en le faisant
basculer dans l'espace critique que nous réservons aux morts. C'est une manière de le tuer, c’est une manière
d’obéir aux fanatiques islamistes.
 
Soutenir les musulmans laïques
 
La question devient alors politique : comment travailler à rétablir cet espace critique et à faire revenir Robert
Redeker dans le monde vivant de la discussion ?
L'objectif est de faire cesser les menaces, de faire lever l'appel au meurtre. Or à mon avis la seule stratégie
efficace, outre les soutiens sous forme de pétition, etc., c'est de favoriser une division publique et réfléchie au
sein des musulmans et des personnes de culture musulmane. C'est que les musulmans laïques et de façon
générale les personnes de culture musulmane attachées à la laïcité se lèvent et disent : « ça suffit, nous sommes
laïques, il n'y a pas à nos yeux de délit de blasphème, la critique contre l'islam est possible, y compris sous des
formes qui peuvent être perçues comme choquantes. » Je crois que cela seul est capable de faire reculer les
fascistes verts partout et les islamogauchistes ici.
Or à la lumière de cette analyse, le schéma « je soutiens, mais il n'aurait pas dû… ; je soutiens, bien qu’il dise
des âneries... » se retourne en soutien de ceux qui ne veulent pas cette division des musulmans et qui approuvent
les mesures de censure et d'autocensure qui progressent un peu partout dans le monde, et en soutien du
communautarisme en général. C'est pourquoi je pense que le soutien à Robert Redeker doit être « sans réserve »,
de même que le soutien aux caricaturistes devait être « sans réserve ». Ce « sans réserve » s'applique aussi à ce
qui peut être perçu comme « âneries », et qui est précisément la mesure de l'effectivité du droit de libre opinion,
c'est une condition de possibilité de l'espace critique en général, que nous devons travailler à restaurer.
 
Il faut souligner du reste que l'activité critique ne déclenche aucun tollé lorsqu'elle vise d'autres textes considérés
comme sacrés, comme la Bible. Serai-je visée par un contrat sur ma vie si je dis que Josué est un chef de guerre
féroce, que Jephté est un imbécile d’avoir promis un sacrifice à son dieu, et que le « sacrifice d’Abraham » est
l’indice d’une foi aveugle qui peut devenir dangereuse ? A-t-on vu un seul gauchiste bien-pensant jouer les
vertus outragées au sortir d'un film de Scorsese ? Bien au contraire, il manifestera contre l’intégrisme catholique
qui veut l’interdire ! Il semble qu'il y ait là deux poids et deux mesures : devant le fascisme brun on est très
ferme, mais le fascisme vert a droit à toutes les indulgences (« l'islam est la religion des pauvres »). C'est
l'essence même de l'islamogauchisme : antifasciste tant que le fascisme se présente sous sa couleur brune, mais
complice du fascisme vert.
 
L'antithétique des morts et des vivants et l'espace critique
 
Avec la question du fascisme vert soutenu par l'islamogauchisme on retrouve l'aspect philosophique soulevé tout
à l’heure : analyser le cercle « faire taire la critique pour que l'espace critique existe » mais aussi le cercle
symétrique « maintenir l'espace critique au risque de s'associer à un geste meurtrier » à la lumière de la question
« mort ou vivant ? » Comme je l’ai souligné, le maintien de l'espace critique pour viser le contenu du texte de
Robert Redeker, tant qu'il est en état de nature, consiste à le traiter comme un mort, alors qu'il est vivant. Mais la
réciproque mérite d'être examinée : car ceux qui menacent les vivants de mort pour délit d'opinion
symétriquement traitent les morts qui les dérangent comme des vivants en les tuant une seconde fois, en les
censurant, en brûlant leurs livres, en retirant leurs pièces de l'affiche des théâtres... Que ferions-nous si un décret
extrémiste interdisait ici la diffusion des textes de Voltaire, de Bayle, de Spinoza, de Nietzsche, etc. ? Nous
aurions le devoir de traiter ces auteurs morts comme s'ils étaient vivants et de soutenir tout ce qu'ils ont écrit et
fait « sans réserve », davantage : nous devrions soutenir tout ce qui peut s'écrire, y compris les âneries. Nous
devrions empêcher les autodafés quand bien même ils ne s’en prendraient qu’aux magazines people.
 
Alors ne laissons pas les fascistes verts et les islamogauchistes nous embarquer dans le brouillage de l'espace
critique, et ne nous laissons pas aller à traiter avec eux les vivants comme s'ils étaient morts. Car nous serions
bientôt obligés, contre eux mais comme eux, de traiter les morts comme s'ils étaient vivants: dans les deux cas ce
serait leur victoire, le moment de la pensée critique serait aboli.
 
« Ecrasons l’infâme ! »
 
© Catherine Kintzler 7 octobre 2006.