Quand Sarkozy veut remettre en place l'ORTF, y compris à TF1Médiatiques
Médiatiques
Par Daniel SCHNEIDERMANN
Par Daniel SCHNEIDERMANN
C'est une intuition. Rien qu'une intuition. Une intuition idiote, irraisonnée, inexplicable, têtue, comme sont les intuitions : ça se terminera mal. L'idylle
entre le nouveau président et la vorace machine médiatique se terminera dans la douleur. La violence du lâchage, et du lynchage, sera un jour à la mesure
de la violence des fascinations et des complaisances d'aujourd'hui. Il y aura des déballages, des révélations rétrospectives, des battages de coulpe, des
rancoeurs sordides. Dans cinq ans, ou dix, peu importe. Mais ça se terminera dans la haine. C'est une question de physique. Il faudra, un jour ou l'autre,
que s'équilibrent les énergies de l'adoration et de la détestation. Ce n'est, rappelons-le, qu'une intuition.
En attendant, on en est loin. En attendant, chaque soir, le journal télévisé jogge consciencieusement. Les éditorialistes transpirent. Les reporters souffrent
dans les côtes. Les sémiologues s'essoufflent dans les faux plats. Les opposants décrochent avant l'arrivée, en hypoglycémie. En attendant, la foulée présidentielle
laisse tout le monde sur place. En attendant, l'hyper-président est tout à la fois le titre, le message, le média, la marque, le slogan.
En attendant, le joggeur ne laisse aux autres que les clameurs. Alerte orange : des journalistes sont débauchés par les cabinets de l'Elysée et Matignon.
Se rend-on bien compte ? Des jour-na-listes ! Alerte rouge : un homme de Sarkozy est parachuté à la direction de TF1. Emotion générale. Ce haut lieu de
l'insolence, ce quartier général de la rébellion contre tous les pouvoirs, ce réseau de résistance au nivellement par le bas, qu'on appelle TF1, serait
sur le point d'être réduit par la dictature sarkozyste ? Mobilisation syndicale. Reporters sans frontières appelle à la «vigilance». François Hollande
monte au front et, six mois après Bayrou, menace les conglomérats de projets de loi vengeurs, c'est dire si l'heure est grave.
Comment donc ? Les médias seraient menacés par le souffle brûlant du pouvoir ? Bouleversante découverte ! Et chacun d'oublier que l'information, sur la
même chaîne, TF1, est dirigée depuis des lustres par un Robert Namias, dont l'épouse était conseillère en communication de Bernadette Chirac, sans que
cela émeuve quiconque. Et chacun d'oublier, entre le Président et les oligarques français, les liens de parenté, de baptême, de fraternité, qui préexistaient
au parachutage, et lui survivront.
La proximité avec le pouvoir des grandes chaînes de télévision, publiques et privées, leur incapacité à être autre chose que des machines à mettre en images
le discours du pouvoir, tout cela s'explique certes par la porosité des milieux, les affinités idéologiques conscientes, la convergence d'intérêts économiques,
et tout ce qui ressort de la peur (autocensure, intimidations, licenciements). En d'autres termes, si Christine Ockrent, recevant François Bayrou dans
France Europe Express, jogge à l'unisson, et déploie l'essentiel de son énergie d'intervieweuse à tenter de lui faire reconnaître les mérites de l'ouverture
sarkozyenne, c'est certes, pour une part, parce qu'elle est la compagne du bénéficiaire le plus en vue de cette opération politique, et qu'elle sympathise
idéologiquement avec cette démarche de consensus.
Mais pas seulement.
Pourquoi le JT jogge-t-il quotidiennement dans la foulée présidentielle ? Pas seulement parce qu'il y est convoqué par le pouvoir. Ce ne sont ni Lagardère,
ni Bouygues, ni Carolis, ni demain le parachuté de TF1 Laurent Solly qui convoquent les journalistes au jogging présidentiel. Le JT jogge d'abord parce
qu'il est avide d'images. Mais il ne lui faut pas n'importe lesquelles. Il lui faut des images de mouvement, plus attirantes pour l'oeil que des plans
statiques : miracle, le joggeur bouge. Il lui faut des images neuves : alléluia, le joggeur innove en France. Les Américains ont vu, pendant des années,
jogger Clinton. Et quand s'usera le jogging, le jogger inventera autre chose. C'est une machine à inventer des ruses pour être au centre de l'image.
Pourquoi s'attarder, ici, sur ces innocentes scènes de jogging, dont on dénonce justement le pouvoir hypnotique ? Parce qu'elles sont bien moins innocentes,
justement, qu'elles ne le prétendent. Leur pouvoir de séduction leur permet de statufier, de ringardiser, d'expulser hors champ tout ce qui n'est pas elles.
En comparaison de la séquence jogging, tout le reste semble statique, poussiéreux, grisâtre, et comme désincarné.
Ainsi, c'est la même mécanique naturelle qui pousse le JT à jogger, et à quasi-ignorer les premiers couacs et les premières dissidences du nouveau règne.
Huit historiens démissionnent avec éclat de leurs fonctions officielles, pour protester contre l'appellation du nouveau ministère de l'Immigration et de
l'Identité nationale ? Ils passent quasi inaperçus. Que n'ont-ils pensé à jogger ? Une réforme des universités est annoncée pour le mois de juillet. Les
étudiants, les enseignants s'inquiètent. L'avez-vous entendu au JT ? Le nouveau haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté se déclare
opposé à la franchise médicale prévue dans le programme de Nicolas Sarkozy, pour renflouer la Sécu. Le JT s'en moque. Tant qu'il ne le dit pas avec des
foulées !
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