20 avril 2007

Echos de campagne:une explication de l'indécision!

Vendredi 20 avril 2007
 
plus que deux jours pour se décider
 
Les Français ne veulent pas voter à la légère
 

Trois Français sur dix ne sont pas encore sûrs de leur choix pour le premier tour de l'élection présidentielle. «La Croix» a enquêté sur la manière dont
les électeurs tranchent
 

Une employée met sous pli les programmes des candidats à Marseille, jeudi 12 avril (Photo Claude/AP).
 
L'année 2007 sera-t-elle celle du triomphe du « moi, je » ? Ce serait l'une des caractéristiques de cette élection présidentielle. Il y en aurait d'ailleurs
des signes palpables : la multiplication des émissions télévisées donnant la parole à « monsieur et madame tout-le-monde », la tendance des candidats à
s'adresser à des catégories d'électeurs (Nicolas Sarkozy et les pêcheurs de Lorient, le 3 avril, François Bayrou et les petits patrons, le 15 mars, Ségolène
Royal et plusieurs autres prétendants devant les chasseurs, en février, etc.)…
 
Les Français voteraient en fonction de leurs intérêts personnels. Ils ne verraient, dans cette élection, pas plus loin que le bout de leur nez. Faux, estiment
plusieurs politologues, contrecarrant une idée largement répandue. Selon eux, les ressorts du vote sont plus complexes qu'il n'y paraît, expliquant pour
partie le grand nombre d'indécis de cette élection.
 
Comme par le passé, nous votons, bien sûr, en fonction de ce que nous sommes. « Nous avons tous une histoire, un itinéraire de vie, un réseau familial
qui influencent notre vote, souligne Pierre Bréchon, professeur de sciences politiques à l'Institut d'études politiques de Grenoble (1). Le statut socioprofessionnel
compte toujours, comme l'état du patrimoine ou encore le rapport à la religion. »
 
Sans pour autant, poursuit le chercheur, mener automatiquement au vote catégoriel. Selon lui, cet environnement conduirait plutôt l'électeur à défendre
une vision de la société et les valeurs dont il se sent proche. « Autrement, il n'y aurait guère d'électeurs de gauche puisque l'intérêt de chacun, c'est
de payer le moins d'impôts possible », fait remarquer Pierre Bréchon.
 
"Le vote est moins conformiste"
 
Il convient donc d'être prudent dans l'appréhension du comportement électoral. D'autant que les fidélités partisanes reculent. « Le vote est moins conformiste,
moins influencé par les facteurs culturels et sociaux, indique encore l'universitaire. L'électeur réfléchit, tient compte de l'offre électorale, de la
personnalité des candidats et des enjeux qui lui apparaissent fondamentaux. »
 
Une tendance de fond qui explique les hésitations de nombreux citoyens à trois jours du premier tour. « Dans leur grande majorité, ce ne sont pas des indécis
apathiques, éloignés de la politique mais au contraire des personnes qui hésitent parce qu'elles sont soucieuses de bien voter. Elles s'intéressent, s'informent
et ne votent pas de façon automatique », confirme Thierry Vedel, du Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences-Po.
 
Si ce n'est pas par réflexe catégoriel ou par atavisme politique, comment les citoyens opèrent-ils leur choix ? Pour le sociologue Alain Mergier (2), qui
se fonde sur des entretiens approfondis et individuels avec des électeurs, le sentiment de vulnérabilité, en particulier dans les milieux populaires, constitue
l'une des données essentielles de cette élection. « Beaucoup de Français redoutent de dégringoler sur l'échelle sociale. Ils souhaitent avant tout qu'on
les aide à reprendre en main leur destin, en matière d'emploi, de logement, de niveau de vie », explique cet expert, l'un des rares à avoir mis en garde
contre la prégnance du vote frontiste au début de l'année 2002.
 
Une analyse confortée par la Sofres, dont une étude récente indique que « la lutte contre le chômage », « l'amélioration du pouvoir d'achat » et « la lutte
contre l'insécurité » sont les trois thèmes les plus déterminants dans le choix du futur président (3). 
 
Plus que jamais, l'électeur est devenu stratège
 
Selon Alain Mergier, pour départager les candidats, les électeurs se fondent sur leurs propositions phares mais aussi sur l'image qu'ils renvoient. « On
ne retient pas le détail de toutes les mesures mais deux ou trois marqueurs : pour Nicolas Sarkozy, la "valeur travail" par exemple, pour Ségolène Royal,
l'idée du "donnant-donnant" ou le conditionnement des aides aux entreprises. »
 
Surtout, on s'intéresse à leur personnalité. « Dans une logique de défiance plutôt que d'adhésion, précise le sociologue, les électeurs cherchent avant
tout à se prémunir d'un risque. En ce qui concerne les deux principaux candidats, certains s'interrogent sur la capacité de Nicolas Sarkozy à se maîtriser
en toutes circonstances, d'autres sur la carrure de Ségolène Royal et sur sa capacité à décider. »
 
De fait, plus que jamais, l'électeur est devenu stratège. Surtout depuis le séisme politique du 21 avril 2002 qui a vu le candidat du Front national, Jean-Marie
le Pen, accéder au second tour de l'élection présidentielle. « L'attention portée aux sondages est particulièrement forte aujourd'hui du fait de cet événement,
note Thierry Vedel. Avant de se décider, on jauge les rapports de force. »
 
Une analyse largement partagée. « Le vote utile a toujours existé : en 1981, par exemple, on pouvait pour partie expliquer le faible score du communiste
Georges Marchais par la volonté des électeurs de gauche de donner le maximum de voix à François Mitterrand dans la perspective du second tour. Mais ce
type de vote s'est incontestablement développé », conclut Pierre Bréchon.
 
Marine LAMOUREUX
 
(1) Auteur de Comportement et attitudes politiques, Presses universitaires de Grenoble, 2006, 192 p., 15 €.
 
(2) Coauteur, avec Philippe Guibert, du Descenseur social, enquête sur les milieux populaires, Plon, 2006, 145 p., 10 €.
 
(3) Enquête TNS Sofres réalisée par téléphone les 11 et 12 avril 2007 auprès d'un échantillon national représentatif de 1 000 personnes.