11 mai 2007

le sacre

Mardi 8 mai 2007
 
Depuis le temps qu'il en rêvait...
La longue marche du président Sarko
L'élection du candidat de l'UMP est à la fois le triomphe d'un homme, le fruit d'une stratégie audacieuse et l'aboutissement de la reconstruction d'une
vraie droite en France. Pour gagner, Sarkozy a su faire oublier ses trois anciens mentors : Pasqua, Balladur et surtout... Chirac. Comment célébrer l'alliance
majoritaire des très riches et des classes populaires ? C'est la clé d'une victoire imaginée dès le lendemain de la présidentielle de 2002. Un récit de
Carole Barjon
 

Cest une victoire éclatante, presque un triomphe. Un choc pour la France. Pour ceux qui l'attendaient aussi bien que pour ceux qui le redoutaient. 53 %
! Dans ce chiffre, il y a tout l'espoir des uns et la colère des autres. Ce score dessine le visage d'une nouvelle France politique : une droite plébiscitée
et populaire face à une gauche amère, désavouée par le peuple.
Sarkozy-le-rouleau-compresseur a tout écrasé sur son passage. En un dimanche, tout semble avoir été oublié. La violence du personnage, les pressions sur
la presse que l'on dénonçait quelques semaines plus tôt, la menace de main mise sur tous les leviers de l'Etat. Son score est inespéré pour un candidat
issu de la majorité sortante. Depuis que la Cinquième existe, on n'avait jamais vu ça. Dans le livre des records, Sarkozy s'approche du niveau des plus
grands : de Gaulle ( 55, 2 % en 1965 ) et Mitterrand ( 54, 01 en 1988 ) Après douze ans de pouvoir chiraquien et cinq ans au gouvernement, le candidat
de l'UMP était logiquement promis aux enfers de l'opposition, conformément à la loi de l'alternance. Seul Giscard, sorte d'accident de l'histoire, avait
réussi à incarner le changement dans la continuité, en 1974, mais après une campagne éclair due à la mort de Pompidou.
Sarkozy a réussi, après presque cinq ans au gouvernement, à gagner une élection dans laquelle la gauche disposait de formidables atouts. Un véritable tour
de force qui efface toutes les humiliations du passé, la défaite avec Balladur en 1993, son échec personnel aux élections européennes de 1999. Ultime satisfaction
: ce vote, comme l'a noté le sociologue Jean Viard qui parle de « vote restructurant » , n'est pas - pour la première fois depuis longtemps - un choix
par défaut mais un vote d'adhésion.
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Ce sacre, c'est l'aboutissement d'une longue marche vers le pouvoir entamée à la fin des années 1970, à l'époque où, à cet ami qui lui prédisait une carrière
de ministre, Sarkozy répliquait : « Non, président de la République » . Il l'a toujours dit : « Ceux qui réussissent sont ceux qui le veulent plus que
les autres. Et moi, j'en ai plus envie que d'autres . » De cette profession de foi, il a fait sa marque de fabrique. Sarkozy-la-gagne. Un jour qu'il commentait
l'engagement résolu du « Nouvel Observateur » en faveur du référendum constitutionnel européen de 2005, il a eu ce mot qui dit tout : « Vous avez défendu
vos idées , oui, mais vous avez perdu ! » Du Sarkozy tout craché. La culture du résultat, la réussite, le succès, c'est cela qui compte d'abord. Que valent
les idées si on ne les fait pas passer ?
Ses convictions, il en a, à vrai dire, peu changé sur le fond. Chabaniste à ses débuts, il fut chiraquien puis balladurien. Il a souvent changé de mentor,
pas de parti. Après la présidentielle de 1974, sollicité pour rejoindre les troupes du nouveau pouvoir giscardien, le jeune Sarkozy décline l'invitation
: « Non merci. Je ne vais pas à la soupe ». Son interlocuteur, Hugues Dewavrin, alors jeune-giscardien, qui avait tenté cette mission impossible, en est
resté bluffé, convaincu après cela qu'avec un tel tempérament « le petit Nicolas » parviendrait un jour aux sommets de l'Etat.
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Sarkozy a gagné seul. Seul contre tous : contre la gauche, contre le Front national, contre Chirac. Dès l'origine, il savait qu'il lui faudrait rassembler,
réaliser la synthèse du gaullisme du pompidolisme et... du mitterrandisme. Il avait deux obsessions : remiser au vestiaire le képi de Pasqua et la chaise
à porteurs de Balladur. Il a réussi parce qu'il a neutralisé ses trois pères en politique : Pasqua, Balladur et Chirac. Il a battu le premier, effacé le
deuxième et vampirisé le troisième. Sur le papier, c'est aussi simple que ça. En pratique, ce fut une tout autre histoire...
« Cette campagne, il la gagnera ou la perdra seul » , assurait-on ces derniers mois à son quartier général parisien de la rue d'Enghien, alors qu'il n'entendait
déjà plus personne. Sarkozy n'a écouté que ses intuitions et son expérience, accumulée depuis des années. Place Beauvau, il possédait une petite armoire
dans laquelle il avait enfermé ses petits secrets. Depuis le début de sa carrière, mais plus encore depuis l'échec de Balladur en 1993, il a gardé tout
ce qui pouvait lui servir un jour : des notations per- sonnelles sur les hommes, des impressions de la rue, de la vie quotidienne, de ce qui fonctionne
ou non dans la société, l'administration, les magasins ou les entreprises, des idées griffonnées à la va-vite, une dépêche AFP, un communiqué, un petit
article de la presse régionale, la relation d'un fait divers, les récriminations des uns et des autres. Bref, tout ce qu'il jugeait significatif de l'état
d'esprit de la population ou de son évolution.
« On s'est tous juré , un jour ou l'autre , de noter ce qui ne marche pas, ce qu'on pourrait améliorer . La plupart du temps, on oublie » , racontait-il,
voici quelques années. Pas lui. Il a tout conservé. Scrupuleusement. Pour pouvoir, le moment venu, étayer ses démonstrations par des exemples, des détails
concrets. C'est dire qu'il est fin prêt lorsqu'il est désigné candidat en janvier 2007.
Car c'est en 2002 que Sarkozy a réellement entamé sa campagne présidentielle. Lorsque Chirac réélu lui donne le choix entre Bercy ou le ministère de l'Intérieur,
il n'hésite pas. C'est place Beauvau, il le sent, qu'il sera en phase avec les aspirations du pays. C'est de là, en luttant contre l'insécurité et l'immigration,
qu'il pourra le mieux réduire le Front national - « Le Pen, je vais le bouffer » , disait-il - et mettre la gauche face à ses contradictions.
Pari tenu. Au premier tour, le 22 avril dernier, il a pulvérisé le Front national. Au second, il a confirmé sa percée dans des secteurs traditionnellement
acquis à la gauche. Certes, le fond de son électorat reste celui le la droite de toujours : les personnes âgées dont le poids est aujourd'hui décisif au
sein de la société française, les hauts revenus ainsi que les artisans, les petits commerçants, agriculteurs. Mais tout de même : il a rallié le vote ouvrier,
notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais. Il a atteint son but : attirer les catégories populaires dans le giron de la droite républicaine.
C'était son objectif depuis 2002. Quelques semaines avant la réélection de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy signe avec Henri Guaino - devenu aujourd'hui
la « plume » de ses discours - une tribune dans « le Monde » intitulée « Pour en finir avec un mythe ». Tout l'esprit de sa future campagne y figure déjà.
Il y fustige « le stéréotype d'une gauche soi-disant morale qui aurait le monopole de la justice sociale et du sens de l'Etat » qui a « déserté le terrain
de la souffrance sociale pour celui des revendications identitaires » . « Laissez dormir la gauche de Jaurès et de Léon Blum » , conclut alors le duo Sarko-Guaino.
Déjà.
Au fond, pour Sarkozy l'élimination de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle, le 21 avril 2002, n'avait rien d'un accident. Il en fait depuis
longtemps l'analyse.
« La gauche est enfermée dans ses vieux schémas » , observait-il peu après la réélection de Chirac. Sarkozy a beaucoup d'appétit et l'es- prit large...
Il veut séduire les catégories populaires mais aussi les classes moyennes et même l'élite intellectuelle, même les « bobos ».
« C'est aussi vous que je veux convaincre » , lance-t-il ainsi un jour au « Nouvel Observateur », alors qu'il est au zénith dans les sondages. Mais pour
désarçonner la gauche, il doit lui donner des gages. D'où ses prise de position en faveur de l'abolition de la double peine pour les étrangers en situation
irrégulière - qu'il fera voter - ou du vote des étrangers aux élections locales - qu'il avancera un temps avant de l'abandonner prudemment en cours de
campagne pour ne pas trop heurter les électeurs frontistes.
Dès son arrivée place Beauvau, le futur président a pris la gauche à revers. Avec son assentiment. A Sangatte, lorsqu'il va ordonner la fermeture du centre
de réfugiés, on le voit bras dessus, bras dessous avec Jack Lang, devenu plus tard porte-parole de la candidate socialiste. Guy Bedos, Pierre Arditi et
même Bertrand Tavernier, lui apportent leur soutien. Il jubile. Il est sûr d'être dans la bonne direction. Et pas seulement sur le terrain de l'insécurité
ou de l'immigration.
Car Sarkozy n'a jamais pensé que le silence de l'opinion face, par exemple, aux grèves à répétition dans les transports valait approbation. Il n'a jamais
cru, sauf pour les retraites et le CPE, à la thèse des grèves par procuration en vogue depuis les mouvements de 1995. « Quelle bêtise ! disait-il. Les
gens ne disent rien parce qu'ils sont civilisés et démocrates . Mais ils n'en pensent pas moins. Et à la fin ils votent » . Et de conclure souvent : «
La gauche persiste dans l'erreur . Tant mieux pour moi » .
Mêmes certitudes après les élections régionales de 2004. Pour le ministre de l'Intérieur d'alors, la Berezina de la droite ne signifie en rien une adhésion
du peuple français à la gauche ou au PS. Les satisfecit que s'accorde alors le premier secrétaire du PS François Hollande lui semblent « à côté de la plaque
» . A ses yeux, les résultats expriment surtout un double rejet : celui de Jean-Pierre Raffarin et donc de Jacques Chirac qui a maintenu le Premier ministre
à son poste envers et contre tout.
La séquence des émeutes de novembre 2005 ne fait que le conforter dans son analyse. « Heureusement pour nous, la gauche n'a rien compris. Elle conserve
ses réflexes » , observe alors, un mois après les événements, Patrick Devedjian qui redoutait pourtant encore une mue du Parti socialiste : « Si le PS
se blairise, s'il se modernise en économie et évolue sur l'insécurité et l'immigration , nous sommes morts » . A l'époque, Sarkozy décrypte ainsi la situation
: « La gauche ne veut pas comprendre que les gens ne me rendent pas responsable des violences. Ils pensent que c'est d'abord la société qui est violente
et ils me font crédit d'essayer de lutter contre. Oui, ils me font crédit . La gauche n'arrive pas à intégrer ça . C'est pourtant ce qui se passe » .
Lorsque surviendront, fin mars 2007, les violences de la gare du Nord, probablement l'un des tournants de cette campagne présidentielle, il n'a pas changé
d'avis et bondit sur l'occasion que lui offre la première réaction de Ségolène Royal. Comme il avait sauté quelques semaines auparavant sur l'occasion
de prendre à contre-pied François Hollande au moment de l'arrestation de Cesare Battisti, n'oubliant pas que le premier secrétaire du PS était allé visiter
en prison cet ancien membre des PAC ( Prolétaires Armés pour le Communisme ) réfugié en France.
Une analyse de longue date donc, qui vaut pour la gauche mais aussi pour Chirac. Sarkozy n'a pas oublié qu'au début des émeutes de 2005 le président de
la République et les siens avient entonné à mivoix l'air favori de l'opposition : « Sarkozy facteur de désordre ».
De quoi Nicolas Sarkozy est-il aujourd'hui le plus fier ? Est-ce d'avoir vaincu la gauche, d'avoir réduit le FN ou d'avoir enfoncé Chirac ? Les trois sans
doute. Mais tout de même ! Quelle incroyable revanche pour le pestiféré, « le traître » de 1995 sifflé ensuite à Vincennes par le conseil national du RPR
! Quelle claque magistrale pour Chirac, « abonné » depuis 1988 à ses 20 % au premier tour, ce fameux noyau dur qu'il n'a jamais su ou pu élargir. Chirac
qui n'a cessé de répéter que Sarkozy n'était « pas un rassembleur » . Chirac tétanisé par son échec à l'élection présidentielle de 1988 et dont la carrière
se sera faite parallèlement à la montée du FN et malgré elle. Chirac dont il pense que la droite - aussi bien son électorat que ses élus - ne lui a jamais
vraiment pardonné la dissolution de 1997.
Chirac devant lequel il a dû mettre un genou à terre, après la trahison de 1993, lorsqu'il a remis les pieds pour la première fois à l'Elysée, à l'occasion
de la cérémonie des voeux du Nouvel An en 1996. Chirac qui ne l'a pas nommé à Matignon en 2002 et ne lui a proposé « que » l'Intérieur. Il lui avait alors
dit, bravache : « Pourquoi me faites-vous confiance pour être votre numéro deux puisque vous ne me faites pas confiance pour être votre numéro un ? » Chirac
qui l'a tenu en lisière pendant cinq ans. Chirac enfin « qui s'est complètement trompé » sur son analyse des résultats de l'élection de 2002. « Ah, ça
oui. C'était même notre objectif de le démontrer . C'est comme ça qu'on a construit la campagne » , souligne aujourd'hui un proche du nouveau président.
 
Dès le 21 avril 2002, la divergence d'analyse entre Chirac et Sarkozy est en effet patente. Le premier s'engage sur un discours à tous les républicains.
Le second pense, en revanche, qu'il faut élargir la majorité, répondre à « l'immense sentiment d'exaspération du peuple » mais ne renoncer en rien au programme
de la droite, selon lui, validé malgré tout lors de ce premier tour. Pour Sarkozy il faut profiter du fait que la gauche est décapitée pour mener, très
vite, quelques réformes difficiles comme celle des retraites, de l'école ou l'instauration du service minimum.
C'est de cette conviction que Chirac s'est trompé qu'il tire la certitude qu'il devra, lui, incarner la « rupture ». Il le martèle alors à ses proches
:
« Si je suis le candidat de la continuité , je suis mort » . Il multiplie donc les provocs en France comme à l'étranger, en Chine ou aux Etats-Unis. Partout
dans le monde, il n'a pas de mots assez durs, en privé, sur la présidence de Chirac. Au point que les diplomates se renseignent auprès de leurs autres
sources :
« Mais qu'est-ce qui se passe en France ? »
Lorsqu'il critiquera, sur le sol américain, la politique de la France sur l'Irak, la question de son départ est posée dans le premier cercle chiraquien.
« Il aurait fallu le virer à ce moment-là , dit un ancien ministre, mais Chirac a eu peur » .
Du coup, Sarkozy se croit tout permis. A l'approche du référendum européen de 2005 et alors que la victoire du non paraît inéluctable, il confie : « Il
y a un ressentiment incroyable contre Chirac » . Puis il se pince les lèvres de crainte d'en dire trop. Mais il va quand même jusqu'à comparer son président,
un jour de 14-Juillet, à « Louis XVI en train de monter ses serrures à Versailles tandis que la France gronde »...
Quand Sarkozy dénonce, pendant toute sa campagne présidentielle, « l'inertie » et « l'immobilisme » , il désigne le PS et sa candidate mais c'est aussi
à Chirac qu'il pense. Il estime avoir tellement bien réussi à se différencier de ce dernier qu'il se permet de jouer franc jeu à la télévision lorsqu'on
l'interroge sur son bilan et ses échecs ( la Corse ou l'augmentation des violences contre les personnes ). « Je parie sur l'intelligence des Français ,
dit-il. Les gens ne sont pas bêtes . Ils savent bien qu'on ne résout pas tout d'un coup de baguette magique. Ils me laissent une chance parce que je désigne
les objectifs qui sont aussi les leurs, parce que je parle de leurs problèmes comme eux » .
Reste à incarner cette rupture mais sans effrayer le bourgeois. Première étape : faire oublier Balladur. Sarkozy est un homme qui sait tirer les leçons
de ses échecs passés. La campagne de Balladur qui fut aussi la sienne, il l'a disséquée, décortiquée, analysée sous toutes les coutures. « L'erreur de
Balladur est d'être resté immobile , accroché à son bilan gouvernemental , a-t-il souvent expliqué. Il n'a pas su être audacieux » . Et, ajoutait-il en
confidence : « Il n'a pas assez donné de lui-même . Dans une campagne, il faut se donner. »
Autre enseignement : les balladuriens, et notamment le clan Sarkozy, ont donné d'eux une image détestable à l'époque, notamment au Parlement avec le fameux
« t'es avec nous ou contre nous ? » , prononcé sur un ton menaçant. Depuis son arrivée place Beauvau, Sarkozy s'est employé cette fois, sinon à séduire
les parlementaires - ceux de l'UMP comme ceux de l'UDF - du moins à les convaincre du bien-fondé de sa stratégie. « Le ralliement massif des députés UDF
entre les deux tours n'est pas le fruit du hasard , observe Frédéric Lefebvre, conseiller parlementaire de Sarkozy. On travaille avec eux depuis des années
. »
Soit. Disons plutôt que les députés ont compris d'eux-mêmes où se trouvait la puissance. Et on sait que Sarkozy ne plaisante pas avec les rapports de force...
 
Deuxième étape : opérer une métamorphose à la hauteur de l'enjeu présidentiel. « J'ai changé ... » Pour cela, il s'en remet à Henri Guaino, le véritable
artisan de la victoire de Sarkozy. Sarkozy a plusieurs fois croisé la route, ou plutôt le fer, de cet économiste gaulliste féru d'histoire. Souverainiste,
séguiniste, pasquaïen, Guaino est, sous l'ère Balladur, le chantre de « l'autre politique » qui donne des boutons à l'ancien Premier ministre. Il apportera
sa pierre au projet présidentiel de Chirac en 1995 et à la fameuse « fracture sociale ».
Sarkozy est alors ministre du Budget puis porte-parole du candidat Balladur. Tout les oppose donc. Ils se revoient au RPR lorsque Séguin en prend la tête
et apprennent à s'apprécier. Mais ils ne se rencontrent vraiment qu'à la veille de la présidentielle de 2002 lorsqu'ils décident d'écrire ensemble leur
tribune dans « le Monde ». Au début de l'année 2006, Guaino vient trouver Sarkozy.
« Tu ne seras jamais élu si tu es un candidat libéral , atlantiste et communautaire , lui dit-il. Aux Français , tu dois parler de la France. Je peux t'y
aider » . Quelques mois plus tard, Sarkozy prononce à Nîmes un discours remarqué sur la France. Depuis, Guaino est devenu son unique parolier. Jaurès (
dont le nom fut prononcé 27 fois à Toulouse ), Blum, de Gaulle, Jules Ferry, tout cela, c'est Guaino. L'ancien commissaire au Plan a ramené la République,
la France et la Nation dans la campagne. La mue du candidat est telle qu'il y croit lui-même. « J'ai changé... »
Retour sur terre au moment du débat de l'entre-deux-tours contre Ségolène Royal. Oublier Balladur ? Pas si facile apparemment. Tétanisé à l'idée de commettre
la faute, Sarkozy se cramponne. Et réduit le champ de ses réponses à leur plus simple expression. Plutôt petit bras que gaffeur ou roquet. C'est ainsi
qu'on passe de De Gaulle à Pompidou, de la France de Victor Hugo à celle de Balzac ( une France de propriétaires ). Sarkozy a fait la campagne déguisé
en Jean Jaurès. Voici que resurgit l'ancien ministre du Budget de Balladur. « Le seul objectif était d'éviter l'agressivité . Du coup, il a fonctionné
sur ses automatismes » . En effet. Mais qu'importe, pour lui, si Ségolène le double sur son propre terrain, celui du volontarisme. Tant pis s'il déçoit
un électorat séduit par son discours musclé ! Sarkozy estime qu'il pouvait se le permettre. Parce qu'il a commencé cette campagne il y a bien longtemps,
parce qu'il avait installé son personnage, parce qu'il avait déjà convaincu de sa poigne et de son autorité, il a fait le pari qu'il pouvait passer, l'espace
d'une joute télévisée, pour un demi-sel et que les Français, là encore, lui feraient crédit et comprendraient sa tactique.
Le candidat a surtout parié, en cette fin de campagne, sur l'échec de la stratégie de diabolisation - « Sarkozy pire que Le Pen » - menée par la gauche
et surtout l'extrêmegauche. Qui s'est levé pour condamner les propos de Le Pen le qualifiant de « candidat
venu de l'immigration , juif par sa mère ? », interroge un proche conseiller de Sarkozy. Pas grand-monde, à dire vrai. Il n'a pas échappé au président
de l'UMP, que, hormis une brève condamnation de Ségolène Royal ellemême un matin à la radio, la gauche avait été bien discrète sur le sujet. Il ne lui
a pas échappé qu'au Parti socialiste un simple communiqué de Faouzi Lamdaoui, obscur secrétaire national à l'Egalité et au Partenariat équitable, a dénoncé
« ces propos inacceptables » qui « relèvent de la xénophobie exprimée régulièrement par cet homme d'extrême-droite » , mais qu'il a ajouté : « Sarkozy
(...) est pris au piège de sa propre surenchère identitaire malsaine avec Jean-Marie Le Pen » . Sous-entendu : il ne l'a pas volé. Commentaire sur le moment
d'un proche conseiller du candidat : « Ce jour-là , la gauche a perdu son âme » . Le même s'indigne : « A part quelques éditorialistes ( NDLR : notamment
Jean Daniel dans " le Nouvel Observateur" ), qui, à gauche, se réjouit du recul historique de Jean-Marie Le Pen ? »
Voilà pourquoi Nicolas Sarkozy s'est senti autorisé à dénoncer à plusieurs reprises en fin de campagne « la faillite morale » et « la dérive sectaire d'une
petite gauche qui n'admet pas de pouvoir avoir tort » . En privé, il n'est pas en reste. « Ça me sert, confie-t-il à ses fidèles, la semaine dernière .
Les gens ne supportent plus le sectarisme » . Voilà pourquoi il pensait aussi obtenir une victoire franche, voire massive. Voilà pourquoi il apparaissait
aux siens étonnamment calme cette dernière semaine, songeant à se mettre au vert quelques jours avant de prendre ses fonctions le 16 mai.
« Oser être de droite » : c'était le titre d'une interview du député-maire de Neuilly aux « Echos » en 1998. Sarkozy a tenu son pari : rendre sa fierté
à une droite désormais décomplexée. Mais, déjà, les amis du nouveau président préviennent, comme s'il fallait se méfier de cette large victoire. « On ferait
une grave erreur de penser que c'est celle de la droite sur la gauche » , remarque Henri Guaino. C'est d'abord une victoire du volontarisme politique.
« On ne s'y trompe pas, c'est l'élection de la dernière chance, relève l'ex-ministre de la Santé Xavier Bertrand. La participation massive et le recul
du Front national sont un appel des Français aux partis de gouvernement . C'est comme s'ils nous avaient dit : bon, on essaie encore une fois. Après ,
si on ne répond pas aux attentes, on aura les extrêmes ».
Comment mieux dire que Sarkozy n'a pas droit à l'erreur ?
 
Carole Barjon
Le Nouvel Observateur