Echos de campagne:Interview de Jospin!
8 février 2007
Interview de Lionel Jospin sur R.T.L. le 08/02/2007 animée par Jean-Michel Apathie
Jean-Michel Apathie : Bonjour Lionel Jospin.
Lionel Jospin : Bonjour.
J-M A : Depuis le début de sa campagne, régulièrement Nicolas Sarkozy cite Jean Jaurès, Léon Blum dans ses discours. Des responsables de Gauche s'offusquent de ces emprunts à leur histoire par le ministre de l'Intérieur. Etes-vous choqué, vous, Lionel Jospin ?
LJ : Non, ça m'intéresse, parce que ça montre que Nicolas Sarkozy ne peut pas se présenter devant les Français dans une campagne sans essayer de se référer, d'attirer à lui d'immenses figures de la Gauche.
Oui, comme vous le dites très bien. C'est plutôt le signe que ces hommes ont marqué l'Histoire de même que la Gauche a marqué l'Histoire de ce pays. La manipulation commence lorsqu'il essaie de tourner ces figures contre nous, contre la Gauche, parce qu'à cet égard, il n'y a rien de changé. La Droite d'hier calomniait Jaurès et Blum, et on sait de quelle façon, de la même manière que l'homme de Droite, Sarkozy aujourd'hui, dénigre la Gauche.
J-M A : Mais en quoi est-ce qu'il dénigre
LJ : Donc, il aime la Gauche d'hier. Il n'aime pas la Gauche d'aujourd'hui. On est là dans un classique.
J-M A : Mais en quoi y a-t-il détournement en citant Jaurès ?
LJ : Mais je viens de vous répondre. Je ne vais pas répéter deux fois cette question.
J-M A : Oui, mais qu'est-ce qui vous choque dans l'utilisation de ces figures ?
LJ : Une des raisons pour lesquelles j'ai eu envie d'intervenir ce matin, c'est que je trouve que le numéro de Monsieur Sarkozy sur le travail et les travailleurs, et en passant les critiques qu'il fait à la Gauche à cet égard, dépasse les limites de la décence et surtout du sérieux. J'ai entendu, l'autre jour, et ça a été une de mes motivations vraiment pour venir ce matin, alors que vous m'aviez invité, il y a déjà un certain temps
J-M A : Nous avions déjà un dialogue antérieur.
LJ : Absolument. Je l'ai entendu dire : "La vraie Gauche, la Gauche de Blum, parlait aux travailleurs, aimait le travail. La Gauche d'aujourd'hui - la Gauche de Jospin, la Gauche de Ségolène Royal - parle de statut, fait les 35 heures parce qu'elle n'aime pas le travail". Alors, cette critique ne s'adresse pas à Ségolène Royal puisqu'elle a mis le travail au centre de ses préoccupations dès le début de sa campagne.
Cette critique s'adresse encore moins à moi, qui détiens le record pour un gouvernement - et en cinq ans - de création d'emplois en France depuis la guerre, y compris plus que pendant les Trente Glorieuses. Sous mon gouvernement, on a créé 2 millions d'emplois - 400.000 emplois par an -, et on a fait baisser le chômage.
Et enfin, se réclamer de Blum qui aime le travail pour critiquer les 35 heures quand tous ceux qui se souviennent du Front populaire et de Blum et en particulier, les travailleurs savent que Blum est l'homme des 40 heures et des congés payés : avouez que c'est drôle ! Mais comme c'est drôle, ça veut dire que c'est pas du tout sérieux.
Le reproche que fait Nicolas Sarkozy aux 35 heures notamment, c'est d'avoir découragé les gens de travailler davantage ; et ce qu'il veut, lui, dit-il : "Je veux autoriser les gens à s'affranchir des 35 heures et leur permettre notamment, dit-il, de travailler plus pour gagner plus". Même si je suis poussé par un mouvement un petit peu d'indignation, je ne suis pas venu, ici, pour polémiquer, je suis venu pour essayer de traiter le problème de fond. Et je partirai de la déclaration de M. Sarkozy puisqu'il dit : "les statuts, la Gauche parle des statuts, fait les 35 heures". Si vous le voulez bien, je voudrai dire un mot des statuts, puis ensuite je parlerai des 35 heures.
L'agressivité ou l'hostilité de M. Sarkozy à l'égard de ce qu'il appelle les statuts est à mon sens assez révélatrice parce que ça représente quoi les statuts dont il parle de façon méprisante pour les travailleurs ? Ca représente la sécurité. Ca représente la stabilité. Les ouvriers, les employés, les enseignants, les cheminots, ils n'ont pas de parachute doré, ils n'ont pas de "golden parachute". Leur parachute, leur sécurité, c'est le statut. Dans les entreprises publiques, naturellement, ça les protège. Et dans le secteur privé, me direz-vous, c'est quoi le statut ? Il n'y a pas de statut ; mais c'est le contrat. Et évidemment, si on a un contrat à durée indéterminée, on est plus protégé que si on a un emploi précaire ou même un contrat à durée déterminée. Or, les propositions de Nicolas Sarkozy visent sous le vocable contrat unique
J-M A : à droits progressifs, dit-il.
LJ :
à droits progressifs, en fait à recycler le contrat nouvel embauche, et le contrat première embauche, c'est-à-dire des contrats qui prévoient que dans les deux premières années de l'embauche d'un salarié, il peut être licencié sans justification. Et donc, c'est un mirage que cette histoire de droits progressifs parce que si pendant les deux ans, on peut se débarasser d'un salarié sans avoir à le justifier, il aura peu de chance de progresser dans ses droits progressifs.
Et la proposition des socialistes et de Ségolène Royal, qui fera ses propositions dans peu de jours, c'est au contraire, de valoriser les contrats à durée indéterminée. Alors, il peut rester des contrats à durée déterminée, à condition qu'ils reposent sur des fonctions précises : remplacer un salarié, par exemple, pendant une période : congés de maternité, ou autres
Donc, il vaut mieux avoir comme socle : le contrat à durée indéterminée et puis des contrats déterminés, spécifiques et contrôlés plutôt que ce contrat qui va introduire la précarité dans le droit du travail français.
J-M A : Et la critique des 35 heures ? Elle fait toujours mal celle-là ?
Non, elle ne me fait pas mal. Je vais vous dire pourquoi. Parce que quand les Français parlent des 35 heures, c'est une des deux mesures phares des vingt-cinq dernières années qu'il mentionne. Quand ceux qui ont bénéficié des 35 heures en parlent, ils sont 85% à dire qu'ils en sont satisfaits.
Quand nous avons fait les 35 heures, cela a procuré 500.000 emplois supplémentaires (350.000 dans le privé, 150.000 dans le public). Mais nous avons dans la même période créé 2 millions d'emplois. Donc, nous n'avons pas partagé le travail. Nous avons multiplié le travail pendant cette période. La critique de M. Sarkozy porte sur les heures supplémentaires. Mais les 35 heures n'ont jamais interdit de faire des heures supplémentaires. Le plafond d'heures annuelles que nous avions prévues était 130. La Droite l'a fait passer à 230. Savez-vous qu'elle est la moyenne effective d'heures supplémentaires annuelles faite par les salariés français aujourd'hui ? 55 heures. Donc, on est loin des plafonds. Et on peut toujours faire des heures supplémentaires en France.
Quel est l'argument central sur cette question du travail de M. Sarkozy ? Elle est de dire : travailler plus, et vous gagnerez plus. Mais les conditions dans lesquelles on travaille, le salaire pour lequel on travaille, la précarité dans ce travail, la question de savoir si on est au travail ou si on est chômeur, ces questions sont escamotées par M. Sarkozy. Elles sont pourtant présentes dans les manifestations qui ont lieu aujourd'hui.
Et à cet égard, Nicolas Sarkozy procède à trois mystifications. La première, c'est qu'il fait comme si c'était le salarié qui décidait de son temps de travail, qui décidait s'il allait faire ou non des Heures Supplémentaires. La réalité pour ceux qui la connaissent est toute différente, c'est naturellement le chef d'entreprise qui dit si en fonction des plans de charge, il y aura des heures supplémentaires à faire.
La deuxième mystification, c'est que vous noterez que M. Sarkozy parle travail mais il ne parle jamais emploi. On comprend pourquoi. Le bilan de la Droite, c'est 60.000 emplois créés par an en cinq ans. Le nôtre, le mien, c'était 400.000 emplois créés par an en cinq ans. Donc, je termine
On ne peut pas avoir de travail si on n'a pas d'emploi. Donc le problème de la création d'emploi reste fondamental.
Et la troisième mystification à laquelle procède Nicolas Sarkozy, c'est qu'il dit : "Si vous travaillez plus, toi individu tu pourras gagner plus, mais il ne parle jamais des salaires, de la question des salaires. Or, on sait que la part qui va aux salaires dans le revenu national par rapport à ce qui va au capital a diminué, sauf pendant une brève période : celle où j'étais au gouvernement. Et cette question du pouvoir d'achat des salaires, de la hausse des salaires, elle est passée sous silence par Nicolas Sarkozy. C'est pourquoi je pense qu'il nous fait au fond autour du travail le coup de la fracture sociale que nous avait fait Chirac il y a douze ans ou treize ans maintenant
Je ne pense pas que les travailleurs aient intérêt à s'y laisser prendre.
J-M A : Nous avons beaucoup parlé de la campagne de Nicolas Sarkozy
LJ : Non, non, non On n'a pas parlé de la campagne Je n'ai pas dit un mot sur la J'ai dit un mot sur la campagne de Nicolas Sarkozy
J-M A : Nous avons beaucoup parlé de Nicolas Sarkozy, d'accord ?
LJ : Non. On a beaucoup parlé Non. On a beaucoup parlé du travail, de l'emploi, des 35 heures, des statuts, de ce que ça représente, c'est-à-dire de questions de fond dans la vie des travailleurs et on a parlé à propos d'une déclaration fallacieuse de M. Nicolas Sarkozy. Voilà la réalité de notre entretien.
J-M A : D'accord. Alors, je voulais juste faire une petite transition.
LJ : Oui.
J-M A : Qu'est-ce qui ne va pas dans la campagne de Ségolène Royal, Lionel Jospin ?
LJ : Mais Ségolène Royal a déterminé une stratégie, un calendrier et une méthode. Elle s'y tient ; et cela est bien. Qu'elle s'y tienne. Elle est dans sa logique.
J-M A : Ca ne marche pas très bien. Vous le voyez comme nous ?
LJ : Je suis intervenu pour la raison que je vous ai dite. Ca m'a un peu
Chauffé l'esprit ! Oui.
J-M A : Oui. Oui, enfin l'intellect. Il faut quand même introduire un peu de vérité dans ce débat. Et puis, aussi, c'est peut-être un moment qu'on nous dit un tout petit plus difficile. Ca tombe bien si c'était un moment pour s'engager.
C'est pour l'aider que vous avez souhaité intervenir ?
LJ : Pardon !
J-M A : C'est pour l'aider que vous avez souhaité intervenir ?
Il me semble que quand je rappelle quels sont le caractère fallacieux des propositions de la Droite, et que je rappelle aussi quelles sont les propositions de Ségolène Royal sur le travail, sur le CDI, le contrat à durée indéterminée, il me semble que c'est effectivement une façon d'agir positivement. Et c'est mon sens. J'entends gloser là ces derniers jours sur être ou ne pas être à tel endroit Je veux dire
J-M A : C'est une belle question : "Etre ou ne pas être ?" Et vous n'y êtes pas.
LJ : Non. Je n'y étais pas le 6 et je n'y serai pas non plus le 11.
J-M A : Vous n'y êtes pas ?
LJ : Alors, vous ne pouvez pas me dire à la fois que je suis avec vous en train de parler du fond et me dire que je n'y suis pas. Ces histoires d'éléphants, ça ne m'intéresse pas. C'est plus de mon âge, si j'ose dire. Donc, j'interviendrai dans la campagne de façon positive, à ma façon ; et honnêtement, c'est le mieux que je puisse faire. De temps en temps. Je pense que ça sera plus utile que de m'asseoir sur une chaise.
J-M A : Bernard-Henri Lévy, dans "Le Point" qui sort aujourd'hui, raconte son dîner avec Ségolène Royal, vendredi à l'Hôtel Monceau. Et il cite Ségolène Royal : "Je comprends Lionel Jospin qu'une fille comme moi, qu'une Bécassine, dit-elle, réussisse des choses où il s'est, lui, cassé les dents. Je conçois que ça le fasse rager".
LJ : Ecoutez, je ne peux pas me rapporter à des propos rapportés à un dîner. Je peux vous dire qu'en tout cas quand moi, j'ai lu dans la bouche de certains journalistes, d'un journaliste qui avait fait de grands compliments à Ségolène Royal, qu'il utilisait, lui, maintenant ce terme "Bécassine", j'ai été profondément choqué. Donc, je ne sais pas comment quelqu'un s'est exprimé dans un dîner. En tout cas, moi j'interviendrai autour de valeurs, de principes de façon positive. Non seulement on n'entendra rien de négatif venant de moi mais comme j'ai essayé de le faire, ce matin, et comme je le ferai sans doute encore - un peu - à ma façon - librement -. C'est du positif qui viendra de moi parce que l'enjeu est important.
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