11 mai 2007

l'aprés campagne sera difficile!

    Jeudi 10 mai 2007
 
La chronique de Jacques Julliard
 

Feu sur le quartier général !
Ségolène Royal a tout fait pour sauver la gauche du désastre, mais l'archaïsme des caciques du PS a été le plus fort
 

Encore battue, et bien battue ! Depuis les débuts de la V e République ( 1958 ), soit presque un demi-siècle, la gauche n'aura porté à la présidence qu'un
seul de ses champions, François Mitterrand, contre cinq à la droite : de Gaulle, Pompidou, Giscard, Chirac, Sarkozy. A la fin du mandat de ce dernier,
en 2012, elle n'aura occupé l'Elysée que quatorze ans sur cinquante-quatre. Pourquoi ? Parce qu'elle est minoritaire, répondrait M. de La Palice. Mais
pourquoi est-elle minoritaire ?
- Parce qu'il y a un écart béant entre les positions de ses chefs et les aspirations de son électorat.
- Parce que la gauche est trop à gauche pour s'élargir vers le centre, seul lieu où elle pourrait gagner des renforts. En dépit de François Bayrou, le
centre vient de refluer vers la droite. En dépit de Ségolène Royal, l'archaïsme de ses positions de base a rebuté les centristes.
- Parce que le PS est mené par de grands bourgeois humanistes et humanitaires qui tendent la main aux exclus par-dessus leur électorat populaire d'ouvriers,
d'employés, de fonctionnaires et de petits bourgeois.
- Parce que le PS est devenu, pour les premiers, synonyme d'alourdissement de la fiscalité et, pour les travailleurs, de stagnation des salaires à cause
des sacrées 35 heures.
- Parce que le programme du PS sacrifie systématiquement la production des richesses à leur répartition. Ce mélange de christianisme social et de gauchisme
altermondialiste constitue un excellent programme d'opposition, mais ne parviendra jamais à rassembler la majorité des électeurs. Il est fait pour un régime
de despotisme éclairé, non de démocratie d'opinion.
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Regardons les choses en face. Depuis le début de sa campagne, il a fallu à Ségolène Royal, pour gagner un minimum de crédibilité, ruser avec les positions
de son parti, les contourner, parfois les contredire, le plus souvent les édulcorer. Sur la sécurité, les 35 heures, la carte scolaire, les salaires, la
valeur travail, le hiatus entre la princesse du peuple et les cardinaux roses a été patent. Ségolène n'a dû sa désignation qu'à l'appoint des adhérents
à 20 euros, en révolte contre les apparatchiks. Ce que l'on a appelé le flou de ses positions n'était que l'effet des contradictions entre le programme
de son parti et les aspirations de ses électeurs. Ce tiraillement permanent l'a empêchée de développer un programme social-démocrate cohérent.
Depuis 2005, les grandes intelligences du PS n'ont cessé de développer des analyses stupides. Interprétant à tort le non au référendum comme une poussée
de l'extrême-gauche, alors que ce n'était qu'une bouffée de protectionnisme et de nationalisme, une véritable surenchère tint lieu d'organisation du débat
dans le parti. On vit Fabius courir derrière Bové, DSK derrière Fabius, et Hollande derrière DSK, dans une course à la radicalité qui comprenait la généralisation
des 35 heures, la hausse des impôts, la re-nationalisation provisoire des grandes entreprises, la régularisation de tous les sans-papiers, et j'en passe.
On donna l'hégémonie intellectuelle sur la gauche à un faux paysan à moustaches qui, à chaque fois, remettait une thune dans le bastringue. Tout cela est
bien mou, bien insuffisant, clamait-il. L'Attila des OGM vient de se retrouver avec 1, 32 % des voix parce que les concierges de l'immeuble ont plus de
bon sens que les professeurs au Collège de France, mais le mal est fait.
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Et maintenant quel avenir pour Ségolène Royal ? On ne la remerciera jamais assez d'avoir évité à la gauche l'humiliation d'une deuxième élimination, qui
lui pendait au nez, au premier tour de la présidentielle. On veut espérer que dans les semaines à venir tous les chefs du parti auront la dignité, à défaut
de dignité l'intelligence, à défaut d'intelligence l'instinct de survie pour faire bloc autour de Ségolène Royal et de François Hollande. Qui, de ce couple
étonnant ou de Dominique Strauss-Kahn, conduira la modernisation intellectuelle du parti, dont le besoin est devenu criant ? Toutes ces questions se poseront
après les législatives, car il s'agit d'abord d'y faire bonne figure et d'empêcher un seul homme, un seul parti de s'emparer de tous les leviers de commande
politiques, économiques, financiers et médiatiques de la société française. Mais il ne sera que temps, ensuite, pour le Parti socialiste de s'engager dans
la voie ouverte par sa candidate. Sinon, si rien ne bouge, tout sera en place pour la prochaine déroute, programmée pour 2012.
 
 Jacques Julliard
Le Nouvel Observateur