17 avril 2007

Des chardons plein les poches:une polémique bien française!

Dimanche 15 avril 2007
La Cathèdrale Industrielle de Nancy en sursis
le Batîment du Tri postal à Nancy est un gros bâtiment intrigant, moitié bureaux, moitié usine, qui se dresse le long des voies ferrées de la gare de Nancy. En plein centre-ville, une
cathédrale industrielle aux clochers de béton, aux murs de verre et aux arcs-boutants d'aluminium. Construit en 1969, le bâtiment du tri postal est au
centre d'une vaste opération d'urbanisme autour de la gare, que le TGV Est mettra à 1 h 30 de Paris à partir du 10 juin. Pas sûr que le tri postal survive
à l'arrivée de la grande vitesse. La Poste déserte ses 11 000 m2 pour aller trier le courrier 40 kilomètres plus loin. Et la ville s'apprête à regagner
les friches laissées le long des voies sur une distance d'un kilomètre.
 

"Le quartier de la gare, c'est le projet urbain le plus casse-gueule pour Nancy, résume Rémi Béchaux, directeur adjoint chargé des grands projets à la
communauté urbaine. C'est la dernière réserve foncière du centre. Et l'opération d'urbanisme des années 1970, qui a vu s'élever un quartier de tours, Saint-Sébastien,
à côté de la gare, n'est toujours pas digérée. Les Nancéens sont méfiants."
 
Pour créer un nouveau morceau de ville autour de sa gare TGV, Nancy a fait appel à l'architecte... de la SNCF, Jean-Marie Duthilleul. "Le tri postal a
été implanté sans véritable tracé urbain, non loin du quartier des années 1970 très introverti. Le sujet, c'est de remettre les lieux dans la continuité
et la cohérence de la ville", analyse l'architecte.
 
Celui-ci propose d'étendre la ville en prolongeant le tracé orthogonal de l'époque de Charles III (fin du XVIe siècle), quitte à enlever quelques bâtiments
gênants. Ces rues découperont "des îlots fermés, pour conserver l'aspect minéral de Nancy, mais dont les bâtiments seront confiés à différents opérateurs,
pour former une ville variée". L'architecte crée une promenade plantée le long des voies ferrées, à la fois écran et parc public, "dans l'esprit de Nancy,
où les quais du chemin de fer étaient traités comme ceux des canaux". Le tout sera limité à 20 mètres de haut : "Le quartier des années 1970 doit être
environné par la ville basse. Des équipements vivants feront la couture."
 
Dans le programme défini par Nancy, un palais des congrès flambant neuf trône à l'entrée du futur quartier. Pile à l'emplacement du tri postal. Seul problème
: des architectes signalent depuis dix ans l'intérêt de l'édifice. L'association internationale Docomomo, vouée à la défense du mouvement moderne, a lancé
une pétition très suivie et a alerté par courrier le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, le 22 janvier.
 
Le tri postal appartient à l'histoire de l'architecture locale : il a été construit par le Nancéen Claude Prouvé. Fils de Jean Prouvé, figure de l'architecture
moderne, il travaillait alors pour l'autre grande famille d'architectes nancéens, chez Jacques André.
 
UN ÉDIFICE LABÉLISÉ
 
" C'est un des bâtiments industriels les plus réussis de cette période en France, estime l'historien Joseph Abram, enseignant à l'école d'architecture
de Nancy. L'alliance remarquable d'une structure en béton et d'un mur-rideau. Prouvé a pris en compte le cadre urbain, pour créer un bâtiment industriel
en centre-ville." Signe de cet intérêt, l'édifice a reçu en 2001 le label "Patrimoine du XXe siècle" du ministère de la culture, et le Centre Pompidou
a fait entrer sa maquette dans ses collections.
 
"Le tri postal va perdre son âme : sa qualité vient de sa parfaite réponse architecturale à sa fonction. Peut-il retrouver cette âme en devenant palais
des congrès ?", interroge M. Duthilleul. Pour le savoir, sous la pression des amateurs de patrimoine, la ville organise pour le palais des congrès un concours
d'architecture qui laisse libre le choix de conserver ou non le tri postal. Le jury doit se réunir le 19 avril pour examiner la centaine de dossiers reçus
et sélectionner une demi-douzaine de candidats. Leurs projets sont attendus pour septembre. Avec ou sans tri postal, le coût du palais des congrès ne devra
pas excéder 50 millions d'euros hors taxes.
 
C'est donc le jury du concours qui décidera du sort du tri postal. "On aurait préféré que la conservation soit une donnée du concours. Là on joue aux dés
la valeur du bâtiment", s'inquiète M. Abram.
 
Grégoire Allix
Article paru dans l'édition du 15.04.07. Le Monde